L’homme de pouvoir

À 20 ans, j’étais moniteur d’une colonie de vacances pour jeunes délinquants. Une nuit, trois d’entre eux ont volé un fusil de chasse dans un chalet pas très loin. Ils sont revenus au camp. Pointant leur fusil, ils se faisaient servir par nous, les moniteurs. De temps en temps, ils tiraient dans le vide pour garder leur pouvoir ou juste pour le plaisir de nous voir sursauter. Un coup d’État. Heureusement, un jeune ne s’était pas réveillé avec tout le monde, il se rendit compte de la situation, s’enfuit et téléphona. La police arriva à notre secours.

Bien armée, une personne peut se croire indépendante. Elle a faim, soif, elle obtient ce qu’elle veut sans effort. Si elle a beaucoup d’argent, elle peut se payer n’importe quoi. Si elle contrôle l’information, elle peut garder son trône. Pas besoin de travailler, je suis parfaitement indépendant, j’ai la force. Ce sont les autres qui dépendent de moi. Je pille le travail d’autrui, j’élève mon trône, je détermine le résultat des élections, j’écris la nouvelle constitution…

Peinture de Michel Casavant

Croire que je me sens indépendant pour touts mes besoins et envies, cela enlève toute valeur aux personnes qui m’entourent, sauf leur utilité. Et même les banquets, les villas, les voitures, les services sexuels n’ont aucune valeur autre que leur prix monétaire. Le problème, c’est que même moi, je n’ai plus aucune valeur, les gens qui m’entourent sont là par peur ou pour l’argent, leurs sourires sont faux, leurs paroles, mensonges. Je suis seul dans mon bagne de luxe.

En réalité, je porte maintenant le poids de tout ce qui va mal dans le pays. Tous sont délivrés de leurs responsabilités, tous peuvent se laver les mains dans le bénitier de l’obéissance, mais pas moi. Je suis pointé du doigt, un jour héros, demain peut-être assassiné. Je plane tel un dieu au-dessus du monde, seul et ravalant ma salive. En réalité, rien ne m’est cher et je ne suis cher à personne. 

Une réflexion sur “L’homme de pouvoir

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