La paix, l’accomplissement de la justice

J’ai dit que la paix est une valeur, mais qu’elle dépend de la justice. Si je vais chez le maraîcher du village et que je réalise une transaction vraiment satisfaisante pour lui, pour moi et pour notre relation, cela procure une joie en moi, en lui et entre nous qui assure la bonne entente à long terme qu’on appelle la paix. Si la transaction est injuste, qu’elle me donne plus qu’elle lui donne, c’est déjà une petite guerre en moi, en lui et entre nous.

Peinture de Pierre Lussier

Dans une société où pratiquement aucune opération économique ne recherche la justice, mais l’avantage de l’un sur l’autre, l’accumulation des petites guerres est simplement inévitable. Un jour, c’est la révolte intra-nationale ou la guerre internationale.

La grande difficulté est de passer du système qui nous rend malheureux parce que notre bien-être dépend de la misère de l’autre (et donc je sens que je suis assis sur un volcan), à un système qui rend heureux, en paix avec soi et avec les autres. Bref comment me vêtir, me nourrir, me construire en toute justice? Acheter à proximité n’est pas une solution en soi, il faut aller à la ferme et s’assurer que l’agriculteur vive aussi bien que moi. Son bonheur sera le mien.  L’achat personnalisé et direct est rare, mais c’est le seul qui mène à la paix. La paix est un accomplissement collectif résultant de la justice.

Si on veut un jour vivre, dans des sociétés en paix avec elles-mêmes, avec les autres et avec la nature, cela se fera par mille efforts concrets pour des transactions justes. Personne ne s’en sortira en méditant en pleine conscience puisque dans un tel état, l’injustice devient insupportable. La paix intérieure ne vient que parallèlement à tous nos actes révolutionnaires pour changer le système injuste de l’exploitation des uns par les autres.J’appelle à tous les vieux qui, comme moi, ont moins à perdre, à sortir de leur antre, à se révolter avec la jeunesse montante pour la justice économique qui seule peut conduire à une réelle démocratie.

Les fondements de la barbarie

On sait que Heidegger a soutenu le nazisme. En 1928, dans sa leçon inaugurale à l’université de Fribourg, il lançait : « Le Néant est originellement présent à l’intérieur de l’Être. Cette contradiction brise définitivement l’entendement. Jamais, la philosophie ne peut être mesurée à la mesure de l’Idée. Il faut tourner le dos à l’héritage de la raison… » De mon point de vue, Heidegger venait de fonder le nazisme qui n’est rien d’autre que la Volonté de Puissance l’emportant sur la déconfiture de la raison.

Michel Casavant

Or, ce « fondement » n’a aucun sens, plus que cela, il sonne l’entrée du non-sens dans la culture occidentale. On peut dire que l’idée de néant est nécessaire à la compréhension de l’idée de l’être, mais justement, l’idée de l’être que nous obtenons alors ne contient aucun néant. Pourquoi y a-t-il de l’être plutôt que rien? La réponse est simple : s’il n’y avait rien, il n’y aurait pas d’être du tout, pas même une seule vibration. L’Être et le néant sont deux absolus incompatibles, et cela est justement le fondement de la logique et de la raison.

Heidegger fait une grave erreur logique et ensuite il affirme que la logique ne peut rien fonder. Non seulement cette distorsion cognitive laisse la volonté de puissance libre de tout dévaster, elle l’encourage. Heidegger lance l’angoisse à l’assaut de l’esprit par l’intermédiaire de la force.

Ce qui reste de cela est présent dans notre culture comme l’air que nous respirons, cela consiste à affirmer que toute valeur n’est qu’une opinion et que toutes les opinions se valent puisqu’il n’y a aucun fondement. Tout jugement est la simple expression d’un préjugé, et notre faculté de jugement n’est qu’une poche de préjugés. Ainsi restons-nous collectivement paralysés devant la puissance de la force et pourtant la force n’existe que parce que nous sommes paralysés.Il faut que cela cesse. Le droit et la justice qui sont l’exercice de la raison appliqué à des totalités doivent se placer au-dessus de la loi du plus fort, et elles ne peuvent le faire que si chacun d’entre nous y participe.

La Valeur de la paix

Qu’est-ce qu’une valeur? Ce n’est ni un objet social qu’on peut décrire par un mot, ni un concept, c’est une aspiration ressentie dans la conscience, un désir qui peut entrer dans l’existence si jamais nous le tissons jour après jour entre personnes complices. Comme lorsqu’on enfante, le résultat nous étonnera et semblera avoir sa propre vie. Les valeurs ne vivent pas isolément les unes des autres, au contraire, elles sont le réseau même qui forme peu à peu notre humanité.

La guerre n’est pas une valeur, la paix en est une. Cette valeur est si fortement liée à la justice, qu’une paix injuste n’est pas la paix, mais au contraire, une violence parachevée. Lorsqu’un lien de domination, donc un lien d’injustice est arrivé à sa forme achevée, il n’est plus nécessaire de faire agir les canons; l’emprisonnement, l’endoctrinement, l’ensorcellement des salaires et des privilèges suffisent. La violence s’arroge le mot « paix » comme dans l’expression « Pax romana ». Beaucoup pensent qu’il n’existe pas d’autres formes de paix. C’est tout à fait vrai pour le moment. Comme je le disais, une valeur est une possibilité. Aujourd’hui, armés comme nous le sommes, cette possibilité est nécessaire. Et elle se joue maintenant et pas seulement en Ukraine. La Russie a attaqué le point faible des États-Unis par la désinformation. Le trumpisme a visé juste : directement dans une des failles mortelles de la constitution américaine : la non indépendance de la justice vis-à-vis de la politique partisane. Et maintenant, le clivage américain approche de son paroxysme. Libération des armes d’assaut, criminalisation de l’avortement, blocage de la lutte contre la crise climatique, la bombe est en pleine explosion. Peut-être que l’Ukraine gagnera sa guerre, mais les Etats-Unis la perdront certainement si nous ne faisons rien pour la paix, c’est-à-dire pour la justice. Seule la paix fera fuir la guerre.