Philosophie spirituelle

Deux mots, deux sous-titres.

1- Philosophie…

Il y a beaucoup de préjugés à propos de la philosophie. On dit que c’est un exercice cérébral inutile qui n’aboutit à aucune conclusion définitive. Mais qui aimerait vivre dans le définitivement clos!

Revenons à la signification du mot philo-sophie : Amour de la Sagesse.

  • L’amour est un élan affectif vers la beauté qui entraîne tout notre être (corps, cœur*, esprit formant un seul être). 
  • La sagesse (du latin sapere) consiste à avoir du goût. Le goût est un sens comme l’odorat, c’est-à-dire un rapport avec le réel.Le goûtest aussi une expérience, c’est-à-dire un rapport réciproque avec le réel.

Mais la philosophie est le goût de quoi? Qu’est-ce qu’on goûte lorsqu’on philosophe? 

On goûte des prises de conscience. Il s’agit de comprendre comme lorsqu’on dit que l’utérus comprend le fœtus et que lui-même, l’utérus, est compris dans le corps. Comprendre veut dire inclure en se percevant inclus

Comprendre est l’expérience…

  • corporelle de contenir et d’être contenu;
  • affective d’étreindre et d’être étreint;
  • intellectuelle d’embrasser des significations qui nous embrassent. 

En réalité, la philosophie veut tout comprendre parce que l’acte de compréhension est forcément total et s’adresse à une totalité* qui nous comprend. Ce qui signifie d’arrêter d’imaginer que la pensée s’arrête là où moi, je pense.

Notre besoin de comprendre ne peut pas être atteint par un acte partiel, par exemple : comprendre une fonction physiologique n’a de sens que si on peut la situer dans son ensemble et dans l’ensemble de la biologie, et ensuite situer l’ensemble de la biologie dans l’ensemble de la vie, et saisir l’ensemble de la vie dans l’univers, puis se situer soi-même dans l’univers. Ce qui signifie que l’univers n’est pas mon étranger et que je ne suis pas son étranger.

La philosophie ne peut donc pas se contenter d’analyses et de synthèses, c’est un acte qui commence par des perceptions pour aller jusqu’à des prises de conscience. La conscience* garde un pied dehors et un pied dedans si bien que son champ embrasse la pensée et le réel comme s’il s’agissait d’une même réalité.

Peinture de Pierre Lussier

Tout le monde vit dans une philosophie, c’est-à-dire dans un organe de compréhension, dans une organisation de préalables à partir de laquelle nous tentons de nous comprendre nous-mêmes et de comprendre le monde qui nous entoure. Mais rares sont les gens qui connaissent la philosophie dans laquelle ils vivent et par laquelle ils tentent de comprendre le monde. 

Au début, on comprend d’abord le monde dans la philosophie et par la philosophie qui nous a été donnée, que la majorité partage plutôt inconsciemment. Nous ne connaissons pas la philosophie dans laquelle nous croyons pensons et dans laquelle nous ne pensons pas vraiment du fait des habitudes de penser. Notre philosophie commune constitue l’ossature de nos conditionnements.

Actuellement, dans notre culture, nous tentons de nous comprendre nous-mêmes et le monde, dans et par une philosophie dite matérialiste. Nous imaginons que c’est notre cerveau qui pense, que la pensée est un effet des mécanismes matériels, qu’on dit « matériel » justement parce qu’on suppose qu’il ne s’agit pas de pensée, mais autre chose, quelque chose qui ne pense pas et qui même n’a jamais été pensé, mais qui, organisé en cerveau par hasard et par évolution, produit des flux électriques que nous appelons pensées.

En réalité, notre philosophie matérialiste n’est que la moitié d’une philosophie dualiste plus englobante. Cette philosophie dualiste sépare matière et esprit, corps et âme*, sujet et objet… Comme elle est dualiste (deux principes premiers* parallèles qui ne se rejoignent pas), il y a forcément des contradictions idéologiques qui donnent lieu à de dangereux clivages sociaux :

  • les matérialistes pensent que la réalité est matérielle et que la pensée n’est qu’un effet abstrait de la matière*;
  • les spiritualistes pensent que la réalité est spirituelle et que la matière* n’est qu’un effet de l’esprit.

Si le matérialisme se concrétise dans le scientisme* (l’idéologie* voulant que seule la science dit vrai), le spiritualisme se concrétise dans le fondamentalisme religieux (seule la religion dit vrai). Matérialisme et fondamentalisme religieux sont les deux côtés d’une même philosophie et forment une seule mentalité, c’est pourquoi beaucoup de sociétés (comme les États-Unis) sont très polarisées entre fondamentalisme religieux (associé à la droite) et matérialisme scientiste (associé à la gauche).

On cherche toute sorte de causes à la crise humanitaire et écologique, c’en est certainement une.

Pourquoi ce dualisme est-il fondamentalement dangereux? Parce qu’il sépare la matière* et l’esprit et pour faire cela, il faut d’abord s’être culturellement découplé du réel. Ce sont donc, tous les deux, des idéologies*. Elles empêchent l’expérience réfléchie du monde réel et donc la prise en considération des effets de notre pensée agissante sur le réel.

L’expérience du réel exige de comprendre la différence extraordinaire entre le réel et le représenté que la conscience (cette étonnante dimension de la pensée) perçoit clairement.

Le réel est toujours au-delà de nos capacités de le représenter parce qu’un être réel est infini en détail (avec son organisation moléculaire et atomique), en temporalité (en métamorphose depuis le début de l’évolution), en complexité* (pensez à la pyramide organisationnelle d’une seule cellule), en interactions (pensez à toutes les interactions entre un brin d’herbe et tout l’environnement jusqu’au soleil), en significations (en lui-même et avec tous les êtres qui l’entourent), en valeurs* (sa valeur propre et sa valeur pour tous les êtres qui l’entourent), etc.;

Nos représentations (que souvent nous appelons connaissances) sont schématiques, réductionnistes, simplistes. Elles ne peuvent pas être autrement.

Or le matérialisme comme le spiritualisme confondent le monde des représentations (toujours rachitiques) et le monde réel (toujours insondable). Pour cela, il faut soustraire la conscience de la pensée. La conscience est justement ce perçoit cette différence extraordinaire.

Aussi, si nous désirons réconcilier la pensée et la réalité, il faut d’abord restituer la conscience dans la pensée, et se rendre compte que si les représentations de la pensée sont loin de la réalité, cela démontre que la conscience est prégnante dans la réalité, elle en a une sorte de prescience, elle partage avec elle la même expérience de l’infini. Et c’est par cela qu’elle voit la différence existentielle entre une représentation et une réalité. Le dualisme réalité-pensée existe parce que la pensée est confondue avec les représentations qui elles, sont des schémas abstraits, et évidemment, ces schémas abstraits ne sont pas du même ordre que la réalité. Et justement, la conscience s’en aperçoit.

La vie consiste à affronter l’infinie réalité. Les connaissances toujours doivent être utilisées avec d’infinies précautions, parce qu’effectivement elles sont très en deçà de la réalité.

Le propre de la pensée habitée de conscience est de pouvoir se penser elle-même, voir les limitations de ses représentations. Elle peut les voir, car elle touche à la réalité qui est, elle aussi réelle. Elle ressent son être dans l’être et saisit son infinité.

***

Pour aimer la sagesse, il faut la goûter, percevoir qu’une image de fraise ne goûte pas la fraise, mais la fraise, oui. Les vrais scientifiques (ceux qui ne sont pas contaminés par le scientisme) n’oublient jamais cet écart, ils ont la tête dans leurs connaissances, mais sentent leurs limites, font avancer les connaissances vers la réalité parce qu’ils gardent le nez dans l’infini des détails, des dimensions, des nuances, des complexités, des relations…

La conscience (con-science) est l’aspect de la pensée « sciente » du réel. Cela suppose une expérience de tous les sens qui sont les organes préhensiles de la pensée. L’enfant est nu sur le balcon, il sent le vent. Il baigne dans l’infini de ses sensations, il reçoit du réel une infinité d’informations : thermiques, gravitationnelles, de pressions, de proprioceptions… Et ce, dans des milliers de nuances très subtiles et en mouvement. En trente secondes, il reçoit des influences sensorielles impossibles à réduire sans une perte qui peut nous perdre. À partir de là, la conscience est capable d’entendement, c’est-à-dire qu’elle est capable d’entendre ce qui se passe en elle quand le monde la traverse de ses influx sensoriels. La conscience commence par l’entendement.

Pour la conscience les mots sont insuffisants, chaque mot est un peu faux. Heureusement, nous sommes tous capables de repérer dans notre vie des expériences qui nous permettent de comprendre au-delà des mots. 

Le critère pour savoir si je suis en philosophie est le suivant : si j’avance dans l’inconnu, je suis philosophe. Si je reste dans la maison des connaissances, je ne le suis pas.

La philosophie consiste à sortir des philosophies ambiantes pour voir, entendre, sentir, comprendre notre réalité intérieure et la réalité extérieure en tant qu’expérience d’une même réalité. L’expérience est ce lien entre l’intérieur à l’extérieur. S’il y a un lien, cela veut dire que ces deux dimensions sont forcément quelque part une même réalitéComme dans des vases communiquant, quelque chose passe de l’un à l’autre.

Cependant, développer une philosophie est difficile, la conscience est très difficile à satisfaire parce qu’elle goûte aux infinis.

Il lui faut : 

  • un ancrage profond dans les sensations (l’état sensitif du corps); 
  • une solide perception de la relativité de nos connaissances (la docte ignorance);
  • une cohérence interne dans notre compréhension du monde (logique interne); 
  • une cohérence avec les données les plus sûres de la science (l’évolution des connaissances); 
  • une signification pour notre conscience (est-ce que cela a du sens?);
  • une valeur* pour la vie en société et dans l’écologie de la vie;
  • et que ça réponde aux besoins authentiques de notre âme*.

Personne n’est capable d’élaborer une philosophie. On ne peut pas y arriver seul ni même à plusieurs, il nous faut l’histoire des grandes sagesses confrontées aux contraintes de la réalité.

2- …spirituelle

Spirituelle! Qu’est-ce à dire?

Pour répondre à cette question, le pire chemin consiste à tenter de définir spirituel et matériel l’un par l’autre par opposition. Car cela consiste à distinguer deux supposés contraires qu’on ne clarifie jamais. Spirituel serait le contraire de matériel, mais on ne sait pas ce que veut dire matériel. Matériel serait le contraire de spirituel, mais on ne sait pas ce que veut dire spirituel.

Comme les présocratiques ou les premiers peuples, je préfère me mettre à la recherche d’un seul Principe premier*. Car de deux choses l’une, si deux principes premiers* avaient quelque chose de commun, ce serait cette chose, le principe premier; si deux principes premiers n’avaient rien de commun, chaque principe premier serait le principe premier de son monde absolument isolé. Il faudrait alors comprendre chacun des deux mondes par lui-même comme s’il n’y avait pas l’autre monde. Par exemple, s’il y avait la matière et la pensée sans rien de commun entre eux, on ne pourrait pas penser la matière, ni la matière ne pourrait penser. Or nous pensons, mais nous pensons dans un système de contraintes que nous nommons matière. On doit donc se mettre à la recherche d’un principe commun.

Certains philosophes ont proposé la Matière comme principe premier. Mais cette Matière n’a plus rien à voir avec un ensemble d’atomes statiques (genre grains de sable) dynamisés par une énergie qui leur donne une forme en les assemblant entre eux. Car alors on aurait trois principes premiers : les matériaux, l’énergie et la forme (auxquels il faudrait ajouter l’espace et le temps). Comment ces principes si absolument différents pourraient-ils se rejoindre et interagir pour former par exemple un lapin?

Ne serait-il pas mieux de partir d’un principe commun capable de réconcilier tous les aspects d’une même réalité?

  1. Quelque chose qui joue le rôle de ce que nous appelons traditionnellement « matière », c’est-à-dire qui stabilise les transformations pour les rendre connaissables (sinon, on ne pourrait rien savoir du monde et le monde n’aurait aucune consistance, il serait mouvement du mouvement du mouvement du mouvement, à l’infini).
  2. Quelque chose qui transforme et qui, de ce fait, réunit l’énergie et l’information, quelque chose qui est à la fois l’acteur des transformations et la forme qu’il leur donne.
  3. Cela ne suffit pas, car les transformations répondent, entre autres, à des fonctions mathématiques. Ce qui veut dire qu’elles sont intelligibles, compréhensibles.

Il nous faut concilier matériaux, énergie, information, intelligibilité. On peut imaginer un Principe premier qui soit quelque chose qui se transforme lui-même, en lui-même, par lui-même de façon à se rendre perceptible (visible, audible, tangible…) et intelligible.

Dans sa métaphysique, Aristote, pourtant dualiste, a été obligé de dégager un principe commun entre matière et forme qu’il devait lier à l’intelligibilité. Il a appelé ce principe « Intellect ». Il lui a découvert deux aspects : l’Intellect actif, organisateur des formes-matière et l’intellect réceptif, sorte de réservoir de la logique, des mathématiques, de la musique qui rend cohérent le jeu des transformations. Au Moyen Âge, Albert le Grand et ensuite plusieurs autres ont articulé ce principe d’Intellect et utilisait le plus souvent le mot « esprit », car esprit signifie « insuffler une forme », donner de l’information avec une énergie, une vie, un sens, une valeur, un art… On retrouve ce même principe, sous d’autres noms, en Chine, par exemple, le Tao-te-King nomme le Principe premier TAO, et il a deux aspects, yang l’actif, yin le réceptif.

Pour ma part, je me suis avancé dans cette orientation parce qu’elle donnait espérance en même temps qu’elle m’apparaissait lucide et très cohérente. À ce titre, je peux être considéré comme un philosophe de « l’intellect » ou de « l’esprit » (au Moyen Âge, ils étaient synonymes). Cependant, il ne faut pas comprendre cet « esprit » comme immatériel, au contraire, il est la matière entendue comme souffle, comme dynamique intelligente apte à exprimer l’infini qu’on retrouve dans toute réalité (ce sont les représentations qui sont finies, définies, schématiques).

Indépendamment des noms, la réflexion sur le Principe premier n’est pas sans difficulté.

Premier problème. On ne peut pas définir (transformer en représentation) un Principe premier comme le reste des autres réalités. Car les autres réalités se définissent par ressemblances et distinctions. Or le Principe premier ne ressemble évidemment à rien et ne se distingue de rien. Il est incomparable. Alors, on doit sortir de l’idée même de « dé-finition » pour aller du côté de l’intuition pure, de l’expérience directe de la conscience. 

On peut assez facilement dire ce qu’il n’est pas, et ainsi s’approcher de lui. Mais dire ce qu’il est, est impossible, c’est comme vouloir tendre un élastique autour de l’infini. Chaque phrase doit être corrigée par une autre. Il faut dégager le sentiment* d’ensemble. Mais cela ne veut absolument pas dire que c’est un mystère incompréhensible. Au contraire, lorsqu’on s’en approche, il nous donne à comprendre ce que nous sommes et ce dans quoi nous vivons.

Ce n’est jamais un objet devant nous, nous ne sommes jamais hors de lui et lui, hors de nous. C’est un principe premier, il n’est donc jamais ni objectif ni subjectif, il doit permettre au sujet de comprendre des objets et aux objets de se laisser comprendre par un sujet. Mais le sujet dont nous parlons ici, n’est pas forcément un « je » humain narcissique, c’est n’importe quel « je » apte à la connaissance et à la créativité, donc capable de lier le singulier à l’universel. 

Alors quand nous disons Esprit, ou Pensée*, ou Intellect, ou Matière-énergie-information-intelligible-et-intelligente, il ne faut pas s’accrocher aux définitions habituelles. La poésie devient le moyen privilégié. Poésie du grec poieīn veut dire « faire » par opposition à prose qui veut dire « parler ». La poésie est un acte créateur qui brasse le corps et l’esprit comme la musique. Nous mélangerons les deux, car ce traité se veut une simple initiation, un commencement..

Petit traité de philosophie spirituelle

Jean Bédard 2023

Peinture de Pierre Lussier

Introduction

Ce petit traité est né Sur la route des grandes sagesses, alors que Le dernier siècle avant l’aube prenait forme sur mon écran d’ordinateur. Entre mes romans, j’ai toujours éprouvé le besoin de reprendre les bases qui me guident.

Ne plus marcher sur du sable mouvant. Ne plus me fier aux majorités. Ils me font peur, ceux qui roulent et klaxonnent autour de moi dans le déni des conséquences. Voilà ce que je sens depuis le début de mon aventure d’écrivain : l’être humain perd espoir en lui-même parce qu’il a démissionné vis-à-vis des grandes questions d’enfant qui l’angoissent. Il n’a plus confiance en la pensée* pour répondre aux questions du Petit Prince. Il dessine des boîtes de carton avec des noms spécifiques dessus, mais il ne pense pas; il refuse d’ouvrir les boîtes pour découvrir le mouton qui étouffe dans l’emballage. 

Voilà la fonction précise de la pensée* : découvrir, déballer. Ce qui lui permettra de rencontrer la brebis, l’ami ou lui-même, se rendre compte que ce sont des êtres vivants, qu’ils ont besoin d’air pur, d’eau fraîche, d’une terre fertile et d’un peu d’amour. 

Jeune adolescent, je me demandais comment la dérive du XXe siècle, avec ses guerres totales, ses camps de concentration, ses goulags, sa destruction systématique de la nature avaient pu produire un Saint-Exupéry et sa Citadellede l’espoir. Peut-être justement que cela explique ceci! Peut-être que la pensée prend appui sur l’impasse. Peut-être que nous commençons à penser uniquement lorsque ça fait trop mal pour oublier. On est alors obligé de se fier à nos propres lumières. Le mur arrive avant l’issue, l’esclavage avant la liberté, la maladie avant la guérison, la question avant la réponse, l’enfermement avant St-Exupéry…

***

Tout le monde peut se faire une opinion ou avancer des connaissances à propos de n’importe quelle question, mais peu ont assez confiance en la pensée pour s’aventurer à réfléchir au jeu lui-même, à remettre en question le monde mental dont la circulation mécanique mène au malheur… 

Comment avoir foi en Dieu ou au Néant si nous n’avons pas foi en la pensée qui les appréhende? Comment avoir foi en la science, en l’art, en nous-mêmes, si nous n’avons pas foi en notre pensée? Et comment avoir foi en notre pensée si nous ne pensons jamais, mais filtrons seulement les opinions qui papillonnent autour de nous ? Penser, c’est s’arrêter, ouvrir les branches dans les trous de lumière au moment où, sous terre, ça grouille de contradictions. Il nous faut des St-Exupéry, parce qu’il y a des Petits Princes.

Tout commence en affrontant nos questions d’enfants plutôt que d’en rire.

Penser permet-il de mieux comprendre la réalité? La lucidité mène-t-elle à l’espoir? Devant la mort, par exemple, la pensée restera-t-elle vaine? Voilà ce qui fait peur. On dit que l’être humain a peur de la mort. Il a surtout peur de penser la mort! Il pense parfois à la mort, mais il ne pense pas la mort. Penser à la mort, c’est penser à une idée de la mort. Pour penser la mort, il faut avoir les deux mains dedans; il faut plonger dans les profondeurs de notre être réel, faire l’expérience de la vie constamment en train de transiger avec la mort. 

Penser, plonger dans notre expérience

Pour penser, il faut d’abord toucher, c’est-à-dire entrer dans ce lieu où le sujet expérimente l’objet et prend conscience que, lui, sujet n’est pas dans un monde et l’objet dans un autre monde. Au contraire, les deux pôles de la pensée sont intriqués comme la chair et le souffle.

Sinon, des questions comme « qui suis-je? », « quelle est la signification de cet étrange univers dans lequel je suis plongé? », toutes ces questions existentielles, parce que décisives pour le Petit Prince, finiront dans une grande démission. Sans mes actes de penser, l’enfant en moi risque de tarir. Alors, je me rendrai, corps et âme, à maître l’économie pour ma condamnation aux galères, et je ramerai avec les autres sans regarder devant, le récif des conséquences.

***

Lorsque j’étais étudiant en philosophie, à ces simples questions d’enfants, on répondait toujours, et très sérieusement : « Non, nous ne sommes pas capables de comprendre la réalité, notre pensée est disjointe de la réalité, nous ne touchons que nos représentations de la réalité, nous ne pensons qu’à des idées… Et puis, qu’est-ce que la réalité? » On posait la question sans réfléchir, en supposant que la réalité était une sorte de substance autre que la pensée. Penser est un acte qui lie. Dire « la chose en soi » est hors d’atteinte est déjà une liaison qu’ensuite on coupe artificiellement niant ainsi d’avance toute expérience de la réalité. Cela, c’est notre drame, un acte de schizophrénie mental.

On n’arrive pas si facilement à Antoine de Saint-Exupéry. On n’arrive pas si facilement à délivrer le mouton de la boîte que nous avons dessinée avec un nom dessus et quelques caractéristiques simplistes. Je veux sortir le mouton de l’idée de mouton. Faire l’expérience de mes propres enfermements.  Voilà le sujet de ce petit traité.

***

Le défi de survoler villes et déserts pour penser par-dessus des culs-de-sac afin de découvrir des issues est de taille. Non parce que toucher et penser en même temps est inaccessible, tous les enfants y arrivent avant leur enrôlement, mais nous vivons dans une culture qui a coupé tous les ponts entre la pensée et la réalité en faisant éclater la pensée elle-mêmeen compartiments : mathématiques, langues, sciences, histoire, etc., dont nous n’enseignons que les formalismes.

Si quelqu’un, par exemple un écrivain, nous demande de penser, nous nous retrouvons devant une sorte de gouffre. Personne ne nous a appris à faire le moindre pas sur ce sentier pourtant profondément simple, une crevasse que l’eau suivrait avec la plus grande facilité. Alors nous avons peur, comme si nous pouvions nous y perdre à jamais, devenir fous. Mais pas du tout. 

Cette peur est une création sociale non innocente. La peur de penser est le carburant des forces sociales, économiques et politiques. Penser, c’est s’affranchir. Cela explique pourquoi l’interdit de pensée est omniprésent. La pensée est le seul et l’unique antidote à la force.

***

Allons maintenant du côté positif. Avançons un pas à la fois. Lentement. Évitons de lire les Saint-Exupéry de ce monde en courant comme dans une course au trésor sur la rue Sainte-Catherine.

Notre premier point d’appui vient sans doute de la prise de conscience* inévitable que la pensée* est. Elle est énergie, information, mouvement, lien comme tout ce qui est et vivement créatrice. Elle engendre ce qu’elle ne contient pas

Si elle n’était pas, comment saurions-nous qu’il y a de l’être bien réel* qui semble vivre indépendamment de nous, mais dont nous dépendons tous? Une « chose » ne peut pas découvrir l’être d’une autre « chose » si elle n’a pas d’être elle-même. Dire, « la pensée n’est qu’un jeu de représentations » est encore une pensée. Et si on ne peut se fier à cette pensée, elle n’est que du vent. Mais justement, si on pense à cette idée : « la pensée n’est qu’un jeu de représentations », on voit immédiatement que la pensée a le pouvoir de se suicider. Car c’est bien un suicide comme affirmer : « Je ne crois en rien » (c’est déjà une croyance) ou encore cette phrase : « Tout n’est que mensonge, il n’y a pas de vérité » (alors, ça aussi est un mensonge). Tout cela, c’est de la fricassée où la prémisse s’assassine elle-même.

Séparer la pensée et la réalité ne peut se faire qu’après avoir amputé la pensée de sa réalité et la réalité de sa pensée. Ensuite on est foutu, car on ne peut plus rien dire sur la pensée puisqu’on en a fait une idée, alors que c’est un acte. Penser une idée toute faite vendue pas cher, surtout si c’est une idée sur la pensée, c’est comme donner un coup de pied sur une canette vide. 

Ce genre d’impasse fait terriblement l’affaire de la force, je veux dire de ceux qui ont les armes, l’argent, le contrôle sur l’information. Eux ne doutent absolument pas de la réalité, ils affirment même que la force est le fondement de la réalité. L’homme de pouvoir se déclare seul réaliste : « Objecte-toi à moi, et tu vas voir ce que je veux dire par « réalité ». Son fusil, voilà la réalité. Mais non, le fusil a peu de réalité pour celui qui n’en a pas peur. 

***

La philosophie*, l’amour de la sagesse, c’est-à-dire l’amour de l’exercice de la liberté de penser* contre la force, c’est la voie du Petit-Prince. Les philosophies premières*, celles des peuples premiers (l’enfance de l’humanité avant l’apparition des empires), n’avaient pas le choix de penser le réel pour vivre. Elles ne pensaient pas au réel, elles pensaient le réel. Elles ne doutaient pas de leur parenté avec le réel. Vous ne savez pas si cette biche est réelle ou pas, dites-vous que la biche réelle nourrit, mais pas l’idée de biche. Vous ne savez pas si la meute de loups est réelle ou pas, dites-vous que la meute réelle tue. Penser le réel, coordonner la pensée d’un petit groupe pour vivre et durer, cela semble simple et c’est effectivement simple, mais c’est précisément ce que nous n’arrivons plus à atteindre. Non parce que nous sommes devenus soudain idiots, mais parce que nous dénions le réel par un acte arbitraire de puissance.

Penser que la « pensée » estexercer cet acte dans l’être, c’est simplement vivre.

***

Bref, nous parlerons ici de la pensée* comme de notre vie. Mais cette pensée n’a pas grand-chose à voir avec le mot « pensée » tel que nous l’utilisons dans notre monde dualiste où nous tournons en rond dans l’idée que le réel ne pense pas et que nous, nous ne pensons pas le réel. 

Si je paraphrase le début du Tao-te-King, je pourrais dire : La réalité est ce qui est, et ne pas la reconnaître (acte de la pensée), c’est ne pas vivre. Au lieu de dire, par exemple : « Dieu est ceci (telle idée), ceci existe-t-il? » Ce qui consiste à perdre pied dès le point de départ, Lao Tseu propose, enfonçons-nous dans le lien qu’est vivre.

Pouvons-nous passer du portique de l’être et entrer de plain-pied dans la vie qui pense à travers nous pour continuer son chemin à travers nos mains? Voilà le but de ce petit traité de « philosophie spirituelle ». Je vous en prie, ne transformez pas ces mots en idées avant même de commencer. Les mots sont des actes vitaux aussi bien que respirer. Cherchez les mots dans votre corps et non dans les nuages.

Dans notre cheminement, nous traverserons trois grandes étapes :

  • En premier, nous chercherons à clarifier cet acte de penser qu’est la philosophie*.
  • Ensuite, nous nous engouffrerons dans sa métaphysique*.
  • Puis, nous irons vers trois applications : la science, l’éthique et l’art.
  • Enfin, nous aboutirons à la philosophie du tréfonds que la tradition a fini par appeler « théologie ».
  • À la fin un glossaire peut aider à la lecture.

Glossaire

Âme, la totalité de la psyché d’une personne vue dans ses aspirations et en résonnance avec la psyché universelle. La « caisse de résonance » de la personne, sa musique, son expression dans sa totalité. À ce titre, l’âme naît avec ses actes et est destinée à survivre. Au Moyen Âge, on identifiait trois dimensions à l’âme : l’âme inférieure, intermédiaire et supérieure. C’est dans leurs interactions que se développait l’âme totale désirant contribuer à l’œuvre divine pour toujours.

Aporie, dans un raisonnement, une contradiction ou une impasse insolubles.

Auto-organisation, le fait que, dans certaines conditions, un système s’auto-organise, c’est-à-dire augmente en information et en complexité. Voir aussi néguentropie.

Cœur, en tant que symbole, le cœur est le foyer des émotions et des sentiments. En lui se développent les complexes sensitifs, perceptifs, émotifs, intuitifs sous l’égide de l’entendement. Le cœur a pour propriété de tenir ensemble l’âme et ses dimensions sans jamais perdre pied sur la nature. 

Complexité, complexification, la complexité n’est pas la complication, c’est l’entrelacement et l’intégration de multiples liaisons de plus en plus nombreuses et spécifiques, donc beaucoup de « qbits » pour la définir. Mais elle ne pourra jamais être ramenée à une quantité, car la complexité contient aussi un principe de simplicité et de totalité qui donne de la grâce à ses mouvements (par exemple, la grâce d’un cheval au galop). Dans la complexité, l’ordre enveloppe la diversité, la multiplicité et les liaisons spécifiques. Elle est le fruit de la néguentropie, mais la néguentropie n’est pas le simple symétrique de l’entropie, l’entropie peut être ramenée à une quantité pour soutenir la théorie thermodynamique de l’énergie, mais pas la néguentropie qui comporte le mystère de sauts qualitatifs, comme le saut de la chimie à la biologie, par exemple. Plus quelque chose est complexe, moins la mémoire peut la reproduire, mais plus l’intelligence peut y prendre part. Si une mosaïque d’un milliard de pièces n’est qu’un total de désordre (de hasards), il faudrait une mémoire presque infinie pour la reproduire telle quelle après un tremblement de terre qui l’a complètement disloquée. Si c’est une œuvre complexe, l’intelligence pourrait en découvrir le principe qui, peut-être, se résumera en une équation simple. 

Conscience est la science avant la science, prégnante dans la pensée réfléchie, mais elle ne se confond pas avec elle. La conscience est le siège de l’intuition et de la perception de soi dans le grand Tout. La conscience est aussi la science précédée d’un con, signifiant avec. Elle sent l’odeur des liens. L’élan de l’être comporte une intuition du commencement et des finalités, une clairvoyance des trajectoires possibles de la réalisation. En même temps, elle enveloppe la pensée et lui permet de réfléchir à son acte en fonction des finalités de la vie, de sa propre réalisation, de sa puissance de valorisation. Elle est donc, l’intelligence des finalités. Elle est forcément orientée vers le développement du tout et de toutes les personnalités*. Il ne faut pas, ici, limiter la conscience à sa dimension réfléchie. Elle va bien au-delà, ses racines semblent s’enfoncer dans toutes les mémoires et dans toutes les virtualités, c’est pourquoi elle connaît l’ignorance dans laquelle nous sommes plongés.

Contradictions fondamentales, contradictions totalement incompatibles avec l’être, par opposition aux contradictions apparentes qui sont en réalité des complémentaires, par exemple, la lumière et la noirceur, la joie et la peine, la douleur et le plaisir… 

Corrélations à longue portée, lorsque, exactement en même temps, tous les éléments d’un ensemble forment une composition complexe de forme imprévisible, mais probabiliste.

Entropie, diminution de l’information (donc de la complexité) par simple échange d’énergie. Elle permet de garder l’énergie constante au prix d’une perte de complexité, c’est-à-dire d’une augmentation du hasard. Si elle n’était pas équilibrée par la néguentropie, l’univers serait voué à la mort informationnelle.

Espace, résultat de la vitesse de l’information. Plus vite l’information voyage, plus petit est l’espace. À vitesse infinie, l’espace est nul. L’espace et le temps sont donc liés en une seule réalité.

Esprit, principe premier capable de réconcilier trois aspects d’une même réalité : 1- Quelque chose qui joue le rôle de ce que nous appelons traditionnellement « matière », c’est-à-dire qui stabilise les transformations pour les rendre connaissables. 2-Quelque chose qui se transforme et qui, de ce fait, réunit l’énergie et l’information, quelque chose qui est à la fois l’acteur des transformations et la forme en métamorphose. 3- Cela ne suffit pas, car les transformations répondent, entre autres, à des fonctions mathématiques. Ce qui veut dire qu’elles sont intelligibles, compréhensibles. Il nous faut donc concilier matériaux, énergie, information, intelligibilité. On peut imaginer un Principe premier qui soit quelque chose qui se transforme lui-même, en lui-même, par lui-même de façon à se rendre perceptible (visible, audible, tangible…) et intelligible.

Être, ce qui subsiste. Cependant, ce qui subsiste n’est justement ni une substance matérielle (grain de matière en soi statique), ni une substance formelle (une forme définie parfaite et identique dans le temps), ni une substance idéale (un but prédéfini), c’est l’Acte de se transformer en soi, par soi, de façon à créer des alter ego et ainsi arriver à se transcender soi-même. Traditionnellement, cela a été nommé « Esprit ».

Exalter signifie élever quelque chose au-dessus d’une trame. Le cosmos se développe, mais la conscience peut exalter des virtualités (des vertus) qui ne se développeraient pas du seul fait de l’évolution cosmique, il faut des actes de conscience.

Existence signifie « sortir ». L’exi-stenc est la « sortie » du statisme, elle est la dynamique d’intériorisation et d’extériorisation de l’Être-Esprit.

Harmonie peut se confondre avec l’ordre qui enveloppe la complexité. Elle permet non seulement un équilibre évolutif, mais aussi la beauté en mouvement.

Hypostase, en médecine, c’est l’accumulation de sang dans les parties inférieures des poumons, se produisant au moment du décès, quand le cœur cesse de fonctionner. C’est un « gel » de l’identité, une image de l’identité, mais elle est intériorisée par la kénose. La kénose empêche l’hypostase de se confondre avec une projection de soi.

Identité parfaite serait une image parfaite d’un soi parfait, c’est-à-dire complet en lui-même, donc statique. Le mythe de Narcisse ou du dieu Tout-Puissant.

Idéologie, système de pensée en circuits fermés. Leurs présupposés et leurs hypothèses sont non vérifiables et bien souvent totalement cohérents. Elles empêchent l’expérience réfléchie du monde réel, elles sont aveugles aux conséquences, et refusent de réellement dialoguer pour faire avancer la pensée.

Imaginaire, la possibilité de faire « comme si », de faire une action dans l’imaginaire pour deviner ce qui se passerait si on la faisait dans la réalité. Elle est à la base de la logique, des mathématiques, de la science, de la philosophie et de l’art. Elle peut faciliter l’expérience pratique et prévenir bien des souffrances… Cependant, au moment de vivre avec les autres dans le monde réel, elle doit se plier à la réalité collective et écologique du monde.

Kénose, l’enfouissement de l’image de soi pour libérer une identité en transformation. La contrepartie nécessaire à la kénose est l’hypostase.

Matière, ce qui est perceptible par nos sens ou nos instruments. En physique actuelle, ce terme se réfère en général aux fermions, éléments qui respectent la quantification de leur énergie, selon la statistique de Fermi-Dirac. On évite de donner le nom de matière aux bosons (particules de spin entier ou nul, obéissant à la statistique de Bose-Einstein) qui participent aux liaisons des fermions. Quant à la perception, elle suppose l’interaction entre un psychisme et la vibration de la « matière ».

Mémoire, boucles qui se réitèrent et ont une stabilité relative. La mémoire n’est pas une substance, elle est la répétition de boucles de schéma, elle est le temps dans sa capacité de s’écouler sans s’écrouler. Les mémoires psychiques supposent un réductionnisme important, la réalité doit devenir une représentation.

Métaphysique, les métaphysiciens cherchent des issues aux questions existentielles. Ils recherchent des bases pour la logique (philo analytique), des fondements pour les mathématiques (la métamathématique), des assises pour les sciences (l’épistémologie), des socles pour définir l’être et l’existence* (l’ontologie), des racines pour le monde des valeurs (l’éthique), des voies pour comprendre l’art (l’esthétisme), des chemins d’accès susceptibles de répondre aux besoins de l’âme.

Néant, l’absolu du rien, la négation absolue, le non-être, le non-possible. 

Néguentropie, le fait que l’entropie, la désorganisation qui résulte des échanges d’énergie engendre, dans certaines conditions, des sauts d’informations, de complexification, d’ordre, c’est-à-dire d’auto-organisation*. Bref, le désordre engendre l’ordre.

Noosphère, la mémoire vivante de tous les actes de consciences, le lieu des œuvres d’art, des exaltations de vertus, des élévations de sens qui finiront par donner lieu à une fraternité et, par réflexion, à une intelligence collective capable d’apprendre de ses erreurs. Au stade où nous en sommes, la noosphère ne semble pas encore réflexive, mais elle est là et son atmosphère aide sensiblement à l’élévation des consciences actuelles.

Noumène, la « chose en soi » avant d’entrer dans le processus phénoménologique. Pour les phénoménologues classiques, c’est un horizon inatteignable, et pourtant, on suppose que ce réel est de nature tout autre que notre pensée. Certains phénoménologues, pour des raisons de logique et d’expérience pensent que le noumène* est lui-même de la pensée, mais à un niveau de cohérence bien au-dessus du nôtre. 

Ontologie est la philosophie de l’être. Au Moyen Âge, on a longuement discuté, à savoir si l’être avait une signification univoque, du genre : être ou ne pas être, tout l’un ou tout l’autre. Pour que cette question ait du sens, il faudrait que l’être soit considéré comme un nom accolé à une idée préconçue de substance totale et définitive. D’autres philosophies ont pris le partie contraire : Ce que j’expérimente est l’être, je vais tenter de le connaître, ensuite je vous dirai ce que c’est. C’est notre parti pris et celui du TAO-te-KING : au lieu de définir et de chercher ensuite si ça existe ou n’existe pas, plonger dans l’expérience et découvrir ce qui est.

Ouvert, l’ouvert est le fait que la pensée en réalisation avance par fermeture des impasses, ce qui laisse le champ libre à l’aventure créatrice de l’existence.

Pensée première ou Esprit, la pensée totale qu’est le cosmos. Elle se trinitise intérieurement (kénose, hypostase, lien) pour se trinitiser extérieurement (cosmos, conscience, participation). 

Penser un acte de l’esprit dans l’imaginaire ou dans l’action souvent un après l’autre, mais parfois en même temps. Comme c’est un acte, c’est le contraire de l’errance mentale dans les associations d’idées, d’images, de préoccupations, d’anecdotes, de conditionnements…

Personnalité, le résultat de la kénose et de l’hypostase qui font de l’Esprit et de nos esprits des identités en marche qui se réalise en créant.

Personne, un être doué d’une source créatrice, d’un tréfonds répondant, d’une capacité d’aimer, pouvant créer et être transformé par sa création.

Phénomène l’apparaître des choses selon un processus qui transforme la réalité en représentations. En phénoménologie on tente de se rapprocher le plus près possible de l’expérience vécue en tentant de neutraliser les préjugés, les jugements, les a priori, les déformations dues aux intentions… 

Philosophiephilo-sophie amour de la sagesse. L’amour est un élan affectif vers la beauté. La sagesse (du latin sapere) consiste à avoir du goût c’est-à-dire à vivre un rapport réciproque avec le réel. On goûte des prises de conscience. 

Philosophies premières, les philosophies des peuples premiers, qui généralement et intuitivement imaginaient leur psychisme comme similaire au psychisme créateur, et croyaient participer à sa vie.

Potentiel actif, l’acteur d’un acte. 

Potentiel répondant, la réponse structurante qui fait que la création n’est jamais sans contraintes. Le Tréfonds qui répond en « imposant » une cohérence, un ordre, une harmonie propres à la réalité et aux réalisations. 

Présence, la présence tente de résoudre le paradoxe du trop d’être ou pas assez. Si l’être était trop plein, il n’y aurait aucune participation possible. S’il n’était pas assez, il n’y aurait pas assez d’intérêt pour y participer. La présence est le dosage de l’être qui le rend attractif et relationnel. La personne a assez d’intériorité et de retrait pour permetre aux autres de s’épanouir dans sa présence. Elle est le pouvoir limité à soi et l’amour rayonnant à plus ou moins longue portée. 

Principe premier, le principe qui est au fond de tout, l’objet de la recherche de toute conscience. Le définir est impossible, mais c’est certainement quelque chose qui pense et qui agit dans le respect d’un Tréfonds propre à l’existence.

Quark, particule la plus élémentaire des fermions.

Rasoir d’Ockham : Le rasoir d’Ockham (ou Occam) est un principe épistémologique développé par le philosophe du XIVe siècle, Guillaume d’Ockham. Le terme vient de «raser» pour « éliminer des explications non causales et non vérifiables par expériences répétables par n’importe quelle intelligence ». C’est un principe d’économie : ne pas chercher des causes plus lointaines que celles nécessaires pour comprendre un phénomène* suffisamment pour agir sur lui.

Réalisation, l’acte de devenir ou de rendre plus réel.

Réel, réalité, ce dans quoi nous respirons, dont nous dépendons, et qui ne peut jamais se réduire à un concept. Le réel nous oblige à composer avec lui. Une rupture avec le réel équivaut à un suicide. Renforcer nos liens avec le réel nous rend plus réels.

Scientisme, idéologie qui veut que seule la science peut expliquer le monde, qu’elle seule exprime des connaissances solides et des vérités et qu’une fois que la science aura tout compris, la philosophie disparaîtra, ainsi que les connaissances empiriques.

Sentiment, un état de toute l’âme souvent très complexe comprenant des intuitions, des pensées, des finalités, des émotions, unies et organisées de façon à révéler une résonnance particulière avec la nature, l’Esprit dans la nature, les autres, un état du monde.

Source, la Source est le potentiel actif, ou l’intellect agent, cette présence retirée qui acte la réalisation en plongeant dans les réponses du Tréfonds. La Source, le Tréfonds, leurs relations forment l’Esprit.

Téléologique, orienté vers des finalités. On a souvent confondu « but » et « finalité ». La vie ne vise pas des buts, la science insiste sur ce fait, néanmoins il se dégage des finalités, et il est presque impossible de comprendre la vie sans lui attribuer des finalités ouvertes comme conservation de la vie, reproduction, diversification, complexification…

Temporalité imaginaire, celle qui est propre à l’imagination. 

Temps, dans le temps, le passé se transforme en mémoire, l’avenir se présente sous forme de probabilités, de potentialités et de virtualités. Le présent est un instant de conscience dans la continuité infinie. Sans le fil de la mémoire, la pensée ne pourrait se réaliser; sans créativité, la mémoire serait absurde. L’espace-temps-vibration-information-énergie est une seule substance : l’Esprit en réalisation.

Totalité : un système coordonné dans sa totalité par des « méta informations » qui sont instantanées. Une mécanique n’a pas de totalité, un être biologique en a une, un esprit aussi.

Tréfonds, dans un puits, le tréfonds est le fond qui empêche de tomber plus loin, mais c’est aussi la source répondante. Sans le tréfonds, il n’y aurait pas de fond fiable. Le tréfonds de l’Esprit et de tout esprit est logique, mathématiques, musique, harmonie…

Valeur, c’est ce que vaut un être pour un autre être. Un être acquiert de la valeur selon l’amour qui se développe autour de lui lorsqu’il se manifeste.

Vertus, l’ensemble des dimensions de l’amour que sont par exemple, la justice, la paix, la sincérité, l’authenticité, la générosité, la sagesse…

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Lancement à Québec

Dans mon essai Grimper sur des lambeaux de lumière, il m’arrive d’aborder des problèmes crus. Un citation en exemple.

« Je détesterais être soulagé de mon problème philosophique. Le bonheur qu’il m’apporte vaut mille fois l’angoisse qu’il soulève.

« Mon problème s’est présenté dès ma jeunesse sous la forme d’un scandale : la beauté du ciel étoilé est incompatible avec le viol incestueux de ma cousine, par quel stratagème ce viol a-t-il été rendu possible ? Traduit en termes philosophiques : la logique, les mathématiques et la science exigent qu’un seul principe d’intelligence relie tout le cosmos avec la vie, alors comment se fait-il qu’une espèce animale puisse à la fois vivre de ce principe, y asseoir sa science, et en même temps le trahir dans ses comportements ? L’inceste suprême, c’est la désacralisation de soi dans le merdier de nos incohérences.

(…)

« La violence de l’être humain ne ressemble pas à celle du prédateur qui se nourrit de ses proies, non ! il s’agit plutôt d’un mensonge qui dévore des vérités qui font peur. Je ne cherche pas à comprendre pourquoi la nature semble cruelle, je cherche à comprendre pourquoi cette impression entrave notre expérience du réel au point de nous rendre cruels. Tout se passe comme si nous voulions faire la preuve nous-mêmes d’une hypothèse clivée de la réalité. Le schizophrène poignarde le tueur qu’il imagine.  

« Lorsque nous corrigerons cette déficience traumatique, nous pourrons cesser de combattre nos conditions de vie. »