Dovômè, la femme libre

Je m’appelle Dovômè, je n’ai rien, je cueille du coton au Bénin. J’ai les mains en charpie, un bébé au sein, mes deux autres enfants travaillent avec moi. Deux fois par jour, nous mangeons un bol de farine de maïs délayée dans l’eau d’un marigot à six kilomètres du village. J’ai encore du lait dans mes seins, il fait beau ce matin. C’est l’eau qui nous manque le plus. Le coton boit comme un troupeau de chameaux. 

Comme tous les matins, à cinq femmes et trois filles en âge, nous sommes allées chercher l’eau. Nous la filtrons à travers un grillage recouvert de cendre, ça l’enrichit de potassium et nous ne sommes pas trop malades.

Peinture de Pierre Lussier

À notre mariage, mon mari a reçu de son père un gros camion 1967. Il transporte le coton de cinq villages vers l’usine. C’est toute une expédition, son fourgon est crevé de partout. La pompe à pétrole a rendu l’âme il y a longtemps, il n’a pas les moyens d’en acheter une autre. Il a installé un bidon sur le toit, mais il faut le remplir aux 10 kilomètres. Notre fils l’aide, car la transmission est brisée et il doit tenir la barre pour qu’elle ne décroche pas. 

Le soleil était couché lorsqu’il arriva déprimé. Une crevaison et puis une panne. L’alternateur a lâché. Il a dû le faire réparer. Son revenu de la journée y a passé. Il faudra diviser nos portions de farine. 

Qu’est-ce que je pouvais? Je lui ai dit : « Tu sais, t’es vraiment plus solide et intelligent que ta grosse Berta 67, tu t’en sors toujours, t’as toujours les sous qu’il faut. » J’ai dressé le bébé sur mon épaule, car il est beau et luisant comme la lune. J’ai dansé pour lui montrer que j’étais pleine de lait. Il a ri. J’ai pleuré.Voilà, je crois, la valeur du monde : une lune sur une épaule et tout prend la couleur de l’or

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