Grimper sur les lambeaux de lumière, lancement

Un avant-goût:

À l’aube, le réveil lent et naturel reconstitue notre conscience. Je ne m’en prive jamais. Avant même d’ouvrir les yeux, l’esprit éprouve un encerclement, peu à peu les choses arrivent comme des soldats, et deviennent tellement présentes avec leurs possibilités de nous tuer ou de nous sauver. Elles s’imposent sans nous dire leurs intentions. Les meubles, les murs, les fenêtres, et au-delà des fenêtres, les arbres, les champs, les collines, la mer… Un moment c’est angoissant, un moment c’est émerveillant.

Les infinis approchent et nous côtoient : le cosmos matériel, le ciel étoilé, le puits au fond de notre âme, le mystère de la vie, le gouffre de la liberté, le pinceau de la beauté… Le petit prince se réveille dans un océan de merveilles. Il est forcé de penser que s’il est si petit, c’est afin d’être entouré de grandeur, car s’il était grand, aussi grand que tout, tout lui serait égal, et ce serait bien dommage. 

Tout petit, lorsque j’observais le cheval du laitier s’arrêter devant la porte, je ressentais sa paix. Rien ne paraissait le perturber. L’agitation du matin, les klaxons, les cris, le bruit strident de l’humanité s’arrêtaient à un mètre de lui, soudain immobilisés par la puissance de sa paix de cheval. Dans sa bulle, il ne transportait que des champs d’herbe verte et un grand dôme d’azur. On le regardait, maman et moi, il donnait l’habitude d’amener avec lui l’infinie certitude du bien. Qui le regardait l’aimait. Il ne savait pas haïr. Il était fait de la totalité de la réalité de ses atomes jusqu’aux soleils de la Voie lactée, il était une présence du total.

À trente ans, j’ai acheté mon premier cheval. Aujourd’hui, mes champs sont principalement justifiés par l’immense tube digestif d’une belle jument. L’herbe y fait un voyage fantastique, pour un moment, elle épouse une conscience, certes brumeuse et vague, mais combien confortable dans les immensités de la nature. On dirait que le cheval a été créé pour toutes les grandeurs, mais c’est peut-être parce qu’il a été fait par toutes ces grandeurs. 

Je ne crois pas qu’il existe meilleur véhicule de communication avec les infinis qu’une chevauchée à pleine course sur un chemin de terre moelleuse. Ce n’est pas seulement se laisser emporter par une force surnaturelle, courir avec une puissance empruntée à l’animal, c’est surtout perdre toute appréhension, retrouver sa connaturalité avec l’immense dynamique de l’être, redevenir naturel dans la nature, je veux dire redevenir infini dans l’infini, non seulement ne plus trembler devant l’horizon qui fuit toujours et sans arrêt, mais ne plus vouloir le rattraper, simplement se jeter dans la présence qui est là, aussi totalement qu’elle se jette sur nous.

Un cheval au galop est un acte de foi qui a abandonné toute retenue. Le cavalier, lui, cheveux au vent, enraciné dans les flancs de l’animal, file à quarante-cinq kilomètres-heure, une erreur, une chute d’épaule, et le cheval roule sur lui entre les deux volets battants de la mort, mais cela ne lui importe pas : vent ou pluie, vie ou mort, rien ne le retient. Le plaisir de la participation se fait total. La foi consiste à filer à des vitesses propres à ressentir la grandeur des espaces qui nous enveloppent et qui nous délimitent pour que nous puissions jouir à un endroit précis de ce qui est partout.   

Cette expérience m’est constitutive. Il faut que je la répète. Je fauche et embotte environ douze tonnes métriques d’herbe pour accéder à ce formidable tremplin spirituel.

Lancement

Grimper sur des lambeaux de lumière 
sera lancé 
à la librairie Pauline 
(2653 rue Masson, Montréal, coin 2e Avenue, (514) 849-3585, libpaul@paulines.qc.ca), 
mercredi le 6 septembre prochain, à 18 :30h.

Yvon Rivard, mon directeur littéraire, dialoguera avec moi et ensuite, il y aura une discussion ouverte avec vous tous.

La vie est ponctuée de choix décisifs. On ne choisit pas ce qui nous arrive, mais on choisit de s’en servir pour naître à soi-même et aux autres. C’est ainsi que nous construisons notre identité unique et irremplaçable. Dans ce livre, je tente d’apporter un éclairage particulier sur la formation de cette identité qu’il nous faut arracher aux attentes des autres.

Grimper sur des lambeaux de lumière 4

La vie est ponctuée de choix décisifs. On ne choisit pas ce qui nous arrive, mais ce qu’on va faire des événements heureux ou malheureux qui nous tombent dessus. C’est ainsi que nous nous construisons. 

Dans Grimper sur des lambeaux de lumière, je veux apporter un éclairage particulier sur la formation de notre identité qu’il faut arracher de ce que les autres attendent de nous.

Je raconte l’aventure passionnante, je crois, de la recherche de soi, du refus du mensonge, de l’expérience de l’amour et de la beauté. 

La liberté n’existe pas avant qu’on l’exerce ; ce qui existe avant notre liberté, c’est la dictature des autres à laquelle il faut se soustraire pour arriver à une humanité viable.

À l’heure critique des choix que nous devons faire, nous « les secoués du climat et du déchirement social », mon essai parie sur la possibilité d’unir la lucidité à l’espoir, la pensée à l’action, la résistance à la sérénité.

Quelques citations :

Vis d’abord et ensuite, essaie de comprendre. Jamais l’inverse.

Rien n’est une chose plantée n’importe comment en ce monde, tout est une réponse. Mais les réponses ne se révèle jamais avant les questions. Penser, c’est questionner.

Nous sommes l’interface entre la nature intérieure et la nature extérieure, mais une interface qui se veut.

La confiance, c’est le seul pendant de l’ignorance qui peut nous faire avancer dans l’obscurité.

Le vieillard, pour autant que la vie lui ait arraché ses illusions, se retrouve à égalité avec l’enfant. Ils sont tous les deux assis sur la terre des chenilles et des grenouilles.

Si ce monde n’était pas là, devant vos yeux, personne ne pourrait croire que d’une explosion primordiale est sortie une planète comme la nôtre.

Grimper sur des lambeaux de lumière 3

Voici un échantillon de cet essai par éclairs et décisions sur l’identité.

« Là où tout le monde semblait respirer à son aise, j’étouffais.

Vivre ressemble à descendre dans la rue sans savoir où nous allons, chaque jour composer avec les situations, tirer notre épingle du jeu, tisser des liens plus ou moins fiables, garder la santé, maintenir l’équilibre, essayer de comprendre quelque chose à ce qui nous arrive, tenter de se maintenir debout, organiser les choses pour y prendre part, se rendre utile, accomplir son travail, faire vivre sa famille, et s’il reste du temps, réaliser quelques-unes de nos aspirations sachant qu’à terme nous frapperons le grand mur du silence. Je n’arrivais pas à m’y résigner.

Le quinze septembre 1954, on a fêté mes cinq ans, je ne m’en souviens pas. Un mois plus tard, le soir de l’Halloween de cette année-là, je m’en souviens très bien. L’avant-midi, je me déguise en fille, on m’a dit que c’était devenu une habitude chez moi. Sortant du grand garde-robe, je chancelle sur des souliers à talons hauts beaucoup trop grands, je m’empêtre dans ma jupe, mais mon soutien-gorge me retient en s’accrochant à la poignée. Ma mère éclate de rire. J’en avais les larmes aux yeux, la métamorphose de son visage… On aurait dit une apparition…

Aquarelle de Pierre Lussier

…Il lui est alors venu à l’idée de me déguiser en sorcière pour l’Halloween. C’est la première fois que je vais y participer. « Courage! dit maman. T’es mon héros. » Elle y consacra au moins une heure de ses rares loisirs. Elle n’arrête pas de me mettre des couleurs, de me ficeler dans un ciré trouvé dans la cave, de me faire des doigts affreux… Et me couronne d’une vieille moppe évidemment propre et séchée. Le soir tombé, je sors avec mes trois sœurs pour quêter des bonbons. Sous la lueur des réverbères, d’horribles monstres s’avancent vers nous. Je prends panique et hurle. 

Mes sœurs me ramènent : « Y comprend rien. On peut rien faire avec lui, y est trop peureux. » Ma mère me place devant le miroir : « Regarde, c’est toi. T’es sûrement le plus épeurant de toute la rue. » Je vais éclater en larmes. Maman retentit d’un rire si total, si rouge, si brillant, qu’on aurait dit le soleil. La regardant transformée, je n’arrête plus de grimacer. Je fais rire maman! Je suis son Dieu. À la fin du jeu, elle tend les bras, j’accepte qu’elle me serre contre elle. Elle gémit de plaisir. 

Comment oublier ? Ma vie complète vient d’être résumée. 

À la fin de mes six ans, maman me conduit à l’école. Elle me rassure, « Tout va bien se passer », mais elle m’abandonne dans la cour. Je la vois partir. Je panique. Je grimpe en haut de la clôture carrelée et hurle. Un géant en soutane noire me transporte sur son épaule comme une poche de patate, il me dépose rudement sur une chaise dans une classe, et il y a un grand rire collectif. J’hésite. Je pense. J’attaque. Je tire la langue en faisant des gros yeux de chat. Une super grimace. Toute la classe fige, puis éclate d’une sorte de rire que je n’avais pas encore entendue. J’en suis la cause. C’est peut-être à ce moment-là que j’ai connu ma première décision consciente. À l’école, lorsqu’on rirait de moi, j’allais en rajouter, faire des singeries pour me rendre plus niais et on me ficherait la paix. 

Mais on ne m’a pas fiché la paix.

Dans un court instant, j’avais produit un acte, un « non » sec, mon refus global. Et puis, de retour dans la cour arrière de la maison, j’ai couru rejoindre l’arbre qu’avait planté mon père il y avait longtemps. Il était penché. J’ai grimpé sur la première branche, je voyais par-dessus la clôture de planches le bleu du ciel et les nuages. À lui, j’ai dit : « oui », un oui sonnant. 

Moi, je ne viendrai pas au monde, je ne serai pas de ce monde, je resterai déguisé et bien caché. Pendant qu’on rirait de moi, j’allais grimper sur des lambeaux de lumière comme les arbres font pour sortir leurs panaches en haut des toits.

Depuis, j’ai toujours l’impression d’être trop vaste pour mon costume. Mais peut-être qu’on se trompe sur mon compte, peut-être que je suis une espèce en voie d’apparition. »

Jean Bédard

Grimper sur des lambeaux de lumière (2)

Grimper sur des lambeaux de lumière paraîtra le 30 août

Il me semblait décisif d’aborder le problème de l’identité par l’intérieur et par le fond et non par la pigmentation de la peau, le genre, la nation, la religion, ou même la culture… Par définition, l’identité n’a pas de forme générique, elle est l’être singulier, unique, refusant d’être défini. Réaliser sa vie, réaliser son identité, c’est se prouver à soi-même qu’on peut déchirer ses limites, et pourtant, ce n’est pas un exploit, c’est juste faire éclater les membranes, les images, les visages qu’on jette sur nous pour nous confiner, nous contenir, nous assujettir. 

Cet essai n’est surtout pas un guide, ni une recette, mais l’itinéraire d’une personne qui ne voulait pas entrer dans les engrenages du monde.

Quelques citations

En retraçant mes heures décisives, je veux juste observer comment cela se passe, comment le moi se forme de tout ce qui lui advient.

Le moi, c’est ce qui naît de soi et non d’un autre.

Tout petit, lorsque j’observais le cheval du laitier s’arrêter devant la porte, je ressentais sa paix. Rien ne paraissait le perturber. L’agitation du matin, les klaxons, les cris, le bruit strident de l’humanité s’arrêtaient à un mètre de lui, soudain immobilisés par la puissance de sa paix. 

Qui suis-je? Je suis la vibration devant l’inatteignable beauté.

Elle avait peut-être quinze ans, j’en avais douze. Elle déplaçait la beauté dans le monde des choses sans y toucher, sa beauté avançait comme une lumière traverse une vitre souillée sans se salir, elle faisait rayonner la rue Alma.

Je ne pouvais pas venir de la même planète que les gens qui se sentent confortables dans les violences et les servitudes de Montréal.