J’ai dit que l’amour, c’est-à-dire la beauté en action ou l’acte de la beauté, nous libère de l’absurde. Le désir est le carburant de ce mouvement d’hélicoptère (helikos=spirale=esprit; ptère=aile) parce qu’il relie le désir et le désiré dans l’acte créateur. Mais si la grande hélice ne tourne pas dans une densité de fluide suffisante qui transcende l’hélicoptère, si elle n’a pas de prise à la fois dans la résistance du réel total et dans l’appel de la conscience plénière, rien ne bouge. Tant qu’on n’a pas découvert la beauté d’un être spécifique dans la beauté de l’être universel, l’amour tourne à vide et s’effondre sur lui-même. Pour découvrir la beauté, il faut rejoindre un être riche en dignité et pauvre en illusions, comme un minuscule colibri qui lutte contre le vent afin de planter son bec dans une corolle, comme un itinérant qui se bat pour préserver son intégrité…
Pour y arriver, il faut s’échapper de l’idéal sans le perdre, le rejoindre dans les limites d’un être en chair et en os. Si on ne voit que sa perfection ou que ses imperfections, on replonge dans nos schémas. L’amour commence où l’illusion s’effondre parce que la sincérité surgit et la vérité affranchit. C’est pourquoi l’amour nous met à l’épreuve.
Un attachement dégrisé peut devenir un lien, je veux dire un engagement réciproque fiable : Nous irons ensemble vers la beauté que nous découvrons mutuellement dans nos « pauvretés ». L’autre est reconnu parce qu’il a une valeur unique à nos yeux et non seulement parce que j’ai de l’amour à donner. C’est alors que l’hélice mord dans la densité de l’air et qu’on peut sortir du cinéma des amours d’un jour. À ce moment-là, le désir change l’être désiré et l’être désiré change l’être désirant. L’amour transforme.
Aimer un être à la fois, cultiver quelques liens réciproques fiables, se débattre dans les éléments concrets du monde permet de rejoindre l’universel bien mieux que d’aimer en général tous les êtres qu’on ne connaîtra jamais.