Métaphysique 1

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La métaphysique a fait l’objet d’une sorte de meurtre au XXe siècle. Rien ne justifiait ce meurtre. Tout un monde de questions existentielles y trouvait un chemin d’évolution. 

Entre les réponses toutes faites des institutions religieuses et les questions qui appartiennent au champ de la science, il y avait les travailleurs d’en bas, les métaphysiciens qui avançaient sur la piste des questions existentielles. Ils recherchaient des bases pour la logique (philo analytique), des fondements pour les mathématiques (la métamathématique), des assises pour les sciences (l’épistémologie), des socles pour définir l’existence (l’ontologie), des racines pour le monde des valeurs (l’éthique), des voies pour comprendre l’art (l’esthétisme), des chemins d’accès susceptibles de répondre aux besoins de l’âme (philosophie spirituelle). La métaphysique tentait d’éclairer tout cela d’une même foi en la pensée, car tout cela ne vaut quelque chose que si la pensée vaut quelque chose. 

Tous ces siècles de recherches par des milliers de pèlerins de l’esprit pour dégager progressivement le sens de notre vie dans l’environnement incroyablement grand et mystérieux du cosmos ont été traités avec tellement de mépris par quelques générations de détracteurs qui utilisaient pourtant leur pensée pour ridiculiser la pensée.

J’ai dit ailleurs que vivre dans les ruines de grandes cultures effondrées est une chance extraordinaire : comme à Athènes, on peut distinguer ce qui a tenu le coup. 

Lorsque j’ai écrit Professeurs d’espéranceMarguerite Porète ou Sur la route des grandes sagesses, je cherchais à séparer ce qui m’apparaissait fragile de ce qui semblait solide. Il faut admettre que nos cultures colonisatrices sont en ruine parce qu’elles ont perdu toute crédibilité après les guerres mondiales, les génocides, les camps de concentration, les goulags, l’extrême pauvreté des uns, le règne des grands profiteurs et le désastre écologique. Ni l’Amérique, ni l’Europe, ni la Chine, ni le Japon n’ont résisté à la chute de la pensée face à la violence, et aucune n’a même éprouvé le besoin de fouiller dans les ruines pour trouver ce qui pouvait reconstituer une renaissance de l’esprit contre le règne de la force. Les philosophes qui ont travaillé à cette tâche ont été traités d’embrasser trop grand. Qui connaît leur nom? Hermann Broch, Jan Patočka, Louis Lavelle et d’autres.

Quelle jeunesse pourrait maintenant croire que la pensée peut apaiser la peur et ainsi réduire la violence ! Pourtant, en fouillant dans les décombres, on peut découvrir les appuis, et surtout les antidotes du mal qui nous condamne. 

On pourrait dire à propos des deux derniers siècles : heureuse exacerbation de la violence qui nous gorge des anticorps qui peuvent ouvrir notre avenir!

Hélas! au lieu d’avoir jeté l’eau du bain pour garder le bébé, on a jeté le bébé, mais on ne fait que boire et reboire l’eau du bain. Ensuite, on est surpris des problèmes de santé mentale qu’on traite comme des maladies individuelles.

Je voudrais résumer ici quelques éléments de métaphysique qui m’apparaissent compatibles à la fois avec l’intelligence, la conscience et nos besoins de sens. Mais il y faut un effort, non pas tant parce que l’exercice est difficile, mais parce qu’il faut lutter contre la démission générale devant la pensée.

Pour aider le cœur à stimuler la pensée, j’ai fait comme les anciens métaphysiciens (Lao-tseu, les présocratiques, Goethe, Rilke…), j’ai associé la poésie à la raison.

Chaque semaine jusqu’à mes vacances d’été, vous aurez une bouchée de métaphysique. N’oubliez jamais que la digestion est un phénomène profond dont nous n’avons pas le secret.

Entre tout et rien, 
ton fleuve coule vers de grandes steppe
s.

Le néant absolu efface tout, y compris lui-même. Une hypothèse qui s’autoélimine. 

L’hypothèse contraire d’une identité absolue (remplie entièrement d’elle-même) élimine toute dynamique. Une deuxième impasse. 

Si le Principe premier était néant, il ne serait pas et rien ne serait. Si le Principe premier était l’identité à soi parfaite, il ne serait qu’inanition, un bloc de béton inerte.

La pensée ne peut avancer qu’entre le néant et le plein, qu’entre l’absolu du rien et l’absolu du tout comblé. L’absolu du rien a mené au nihilisme, l’absolu du tout a mené à la conception d’un dieu tout-puissant, l’une comme l’autre de ces deux hypothèses ne peuvent donner lieu ni à l’existence ni à la pensée.

Il semble que les conditions de l’existence et les conditions de la pensée soient liées entre elles comme le tu (l’existence vue de l’extérieur) et le je (l’existence vue de l’intérieur).

Toi et moi rivière tourbillonnante
entre les écuelles de l’être et du néant
tantôt explorant nos cœurs tremblants
tantôt déambulant sur nos terres
 trop vastes.

Nous avons traversé ce paradoxe fondamental (du néant et du statisme absolus), par un acte de la pensée. La pensée a pour propriété de pouvoir faire des hypothèses sur la réalité et d’infirmer ses hypothèses en concluant qu’elles ne sont pas réalisables

Si elle aboutit à cette conclusion, c’est qu’effectivement ces hypothèses ne seront jamais observées dans la réalité.

La pensée et la réalisation sont liées dans une relation et dans une relativité qui donnent à l’être la dynamique de l’existence, c’est-à-dire la dynamique de la réalisation. 

La pensée a un pouvoir de recul sur le réel qui lui permet de réfléchir et de se réaliser en réalisant la dynamique de sa propre existence

C’est pour cela que la logique est le lieu d’une temporalité imaginaire qui lui permet d’éviter des écueils dans la réalité. Dans la réalité, on ne découvre pas de néant, des vides oui, mais pas de néant. Dans la réalité, on ne découvre pas d’absolu fixe, des non-finis qu’on nomme « in-finis », oui, mais pas d’absolu fixe. On a cru découvrir des atomes pleins, statiques en eux-mêmes et indivisibles, mais non, ils se sont avérés des complexes de vibrations tourbillonnant comme l’avaient prévu les logiciens de la Renaissance.

Nos terres sont fertiles, 
jamais nous ne retournerons dans l’engourdissement.
Jouons l’un dans l’autre

toi et moi 
sous les draps de l’aube. 

Le cosmos est l’expression de l’ouvert, il est la pensée en marche, c’est pourquoi il n’est ni fini ni limité.

La pensée déroule deux temporalités : 

  • la temporalité imaginaire dans laquelle elle découvre des impasses;
  • la temporalité de la réalisation dans laquelle elle se réalise dans l’ouvert.

Cette dernière temporalité ne pardonne pas. Il n’y a aucun néant dans lequel on peut simplement enfouir nos déchets qui sont d’abord et avant tout des déchets de pensée, des non-réflexions.

Les écueils que tu heurtes 
le noyau vide des tourbillons
nous délassent l’un de l’autre 
pour mieux nous enlacer.

En grammaire, les noms reposent sur l’hypothèse qu’une réalité devrait rester identique à elle-même pour un temps. Un chien est un chien tant qu’il reste un chien. S’il s’agit d’une chenille, elle passera de chenille à papillon en changeant de forme. Prise dans son absolu, l’hypothèse de l’identité est irréalisable. Tout nom est relatif dans les deux sens du mot, c’est-à-dire que tout nom n’est pas absolument statique et tout nom est relié à lui-même dans un changement qui permet une identité en marche, une identité évolutive.

Le temps suppose une différenciation. Si quelque chose ne changeait absolument pas, cette chose serait intemporelle et n’existerait pas. Si Dieu et l’éternité étaient éternels et statiques, ils ne seraient que des hypothèses limites non réalisables, incapables de réalité. Cela ne prouve pas l’inexistence d’un Créateur, mais simplement qu’Il est au cœur de la dynamique du temps et de la pensée, et si nous sommes dans cette dynamique, nous sommes nous-mêmes créateurs.

Notre eau est lumière et ténèbres,
elle est fluide et percutante
visible et transparente.
Ne trouves-tu pas que nous sommes beaux
!

Un photon, par exemple, tant qu’il n’interagit pas, reste identique à lui-même, si nous étions ce photon, nous ne percevrions pas le temps. Comme le disait Einstein : si je voyageais à califourchon sur un photon libéré à la vitesse de la lumière (donc sans interaction), je ne vieillirais absolument pas. Mais le photon n’est pas pour autant une identité absolue pleine d’elle-même. Le photon, tant qu’il n’interagit pas, reste une onde complexe et chargée d’information. Cette information reste mémoire inchangée dans son voyage dans le vide complet, mais alors il est un potentiel entre ses interactions et c’est dans ses interactions qu’il se réalise en donnant son énergie à l’électron.

La lumière est logique. En effet, la dynamique de la dynamique de la dynamique… une telle régression à l’infini ne bouge pas, elle conduit à quelque chose d’absolument statique. Bref, le statisme et le dynamisme ne sont pas des contraires incompatibles l’un avec l’autre, au contraire, ce sont des contraires relatifs, c’est-à-dire liés l’un à l’autre. Bref le temps est la dynamique de l’éternité et la création est la dynamique du Créateur. 

Notre lit n’est pas très stable,
notre ciel est brouillé,
nos mers sont houleuses
sans nos métamorphoses nous serions perdus.

Dans l’antiquité, on a formulé deux hypothèses d’absolues identités :

  • l’atome matériel pensé comme des grains statiques en eux-mêmes et indivisibles. Mais alors, il faut penser à autre chose pour les sortir de l’inertie. On a pensé à l’énergie. Mais comment l’énergie qui serait de nature totalement opposée à la matière pourrait-elle organiser des atomes, les faire bouger? Un tel dualisme est une impasse logique. C’est pourquoi Einstein a forcément lié matière et énergie dans une équation (E=MC2) qui s’est avérée réalisable (compatible avec la réalité);
  • l’idée parfaite, par exemple, la forme parfaite du chien vivant dans la mémoire absolue et éternelle d’un absolu toujours identique à lui-même. Mais cette vision du « chien » de « Dieu » n’est pas compatible avec la réalité. Ce serait encore un dualisme, celui de la forme et de la matière, aujourd’hui on dirait : de l’information et de l’énergie. Or l’énergie et l’information sont des contraires liés et non des oppositions. La lumière, par exemple, est de l’énergie informée et informante.

Ces deux impasses ont donné lieu au dualisme de la pensée et de la réalité, comme si la pensée était de la non-réalité, et la réalité était de la non-pensée. Une autre impasse. On a lié la pensée à la subjectivité du « je » et la réalité à l’objectivité d’un « tu » devenu impersonnel. Mais rien n’est subjectif et rien n’est objectif, tout a une intériorité et une extériorité, même les atomes, tout est dans la pensée et hors de la pensée.

Qui peut nous limiter?
L’arbre est notre infiltration dans nos terres 
et notre montée dans la lumière.
La terre : notre passé nourrissant notre avenir.
Le soleil : notre tourbillon de feu.

L’autre contradiction logique qui vérifie l’impasse d’un absolu statique est la suivante : pour un tel « absolu » qui serait statique, on peut facilement imaginer quelque chose non seulement de plus grand, mais d’infiniment plus grand. On peut imaginer un absolu pouvant s’affranchir de cette hypothèse pour entrer dans l’ouvert. Cet absolu dynamique pourrait faire entrer dans la réalité des existences capables de se dépasser elles-mêmes, des êtres ouverts capables de transformations, des êtres capables d’infinies diversifications, des êtres capables de création. Cet absolu ouvert serait infiniment plus absolu que l’absolu fermé. Le Créateur ne crée pas une création, mais des créateurs participatifs.

Dans un statisme fermé, l’infini de tous les infinis imaginables et réalisables n’a pas de place. Un seul infini habiterait l’être et ce serait l’infini du « par-fait », du « tout fait d’avance ». Cette limitation est fondamentalement contradictoire, un tel absolu statique n’est pas absolu du tout, il suppose le néant des autres infinis. 

Bref, l’Absolu ne peut pas être un nom, une identité définie éternelle, l’Absolu ne peut être pensé que comme une pensée, une dynamique relative et relationnelle

Nous l’avons dit : le propre d’une réalité est de s’échapper de l’identité absolue avec soi. C’est pourquoi « être » est vraiment un verbe, et le propre du verbe est de transformer son identité, changer sa forme et son itinéraire. Le verbe être est l’ouverture à l’existence et à la réalisation. Le mot « être » est un verbe.

Qui est l’informe qui nous transforme?
Est-ce toi la caresse et moi la vibration?
Tu me fais, me défais, me refais.
Mais comment te distinguer,
des sensations profondes de mon esprit incorporé?
Tu es mon Verbe.
Nous serons des milliards à n’être qu’un.

L’ouvert oblige la transformation, la différenciation et la complexification, sinon, ce serait l’homogène, la solitude et la dilution. 

La « trans-formation » est un changement de forme, un changement de l’information dans « l’in-formation ». Un jeu réciproque de l’art ondulatoire des vibrations. 

Tout ce qui est ouvert, tout ce qui est sans impasse entre dans la créativité de la pensée et veut se réaliser, c’est la néguentropie : la recherche de différenciation. 

La recherche de différenciation suppose la complexification, la recherche de complexification suppose l’augmentation des liaisons, l’augmentation des liaisons suppose l’harmonisation. 

La transformation oblige aussi l’entropie, la réduction de la complexification, la déliaison, la décomposition. 

La forme qui tient le temps, c’est-à-dire l’information qui traverse le bruit sans s’ébruiter en miettes, nous l’appelons mémoire. Ce n’est pas le temps qui fige, c’est la reconstitution à chaque instant de la complexité, un travail colossal.

Sans l’entropie qui persécute la mémoire et la gruge, il n’y aurait pas de perte de mémoire. Dans l’évolution de la différenciation et de la complexité, la mémoire enflerait et finirait par étouffer le mouvement créatif.

La néguentropie est orientée vers l’ouvert comme si elle recherchait l’infinie complexité. Elle soulève une masse d’informations que la mémoire réitère au prix d’un effort gigantesque. L’entropie tend à défaire cette complexité comme si elle cherchait à revenir en arrière.

Le temps entropique suit les chaînes enchevêtrées des causes et des effets, descendre le fleuve des échanges d’efforts qu’on appelle « énergie ». Pour chaque grain d’énergie, l’entropie réduit d’un degré la complexité en brisant des liaisons. Notre métabolisme résulte d’un jeu de déliaison des nutriments (entropie) et de reliaison de protéines ajustée au besoin de chaque cellule. Le temps néguentropique utilise l’entropie pour ajouter et ajuster à la complexité. 

Un soleil brûle de l’énergie gravitationnelle (qui compresse les atomes les plus simples) à profusion (entropie), mais dans son cœur, il augmente la diversité des atomes, leur complexité, leurs liaisons (néguentropie). Diffusant vers ses planètes, un soleil rayonne un flux thermique constant (entropie), cela provoque des liaisons complexes sur les planètes (néguentropie). Sur les planètes, là où les conditions sont rassemblées, la vie naît de cette entropie du rayonnement solaire et ajoute d’énormes « quantités » d’informations de plus en plus complexes (néguentropie).

Citations 2

Citations recueillies par Patricia Nourry.

La domination est une brisure de la réciprocité, et la réciprocité est nécessaire à la durée. Une civilisation ne peut être durable que si elle entretient une culture de la réciprocité. L’homme est peut-être le seul animal à pouvoir briser la réciprocité de ses rapports avec les autres et avec la nature. 
Jean Bédard ; Le pouvoir ou la vie (2008)

Qu’est-ce qu’un tyran, qu’est-ce qu’un système tyrannique ? C’est une personne qui désigne certaines personnes comme simples moyens sans dignité propre et il le fait avec la complicité de toute une structure, la structure du pouvoir. Jean Bédard ; Le pouvoir ou la vie (2008)

Le but de l’éducation, c’est de former tout l’homme dans tous les humains. 
Jean Bédard ; Comenius, ou Combattre la pauvreté par l’éducation pour tous (2005)

La question de la liberté, c’est la question de faire son être comme un artiste fait son œuvre. 
Jean Bédard ; Comenius, ou Combattre la pauvreté par l’éducation pour tous (2005)

L’émerveillement, c’est l’étonnement rendu à maturité. 
Jean Bédard ; Comenius, ou Combattre la pauvreté par l’éducation pour tous (2005)

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Citations

Citations recueillies par Patricia Nourry, prof de philo au CEGEP de Trois-Rivières.

« Ruses et stratégies ont pour propre d’opposer l’intelligence à la conscience, elles fragmentent l’esprit humain. »
Jean Bédard ; Le pouvoir ou la vie (2008)

« S’abandonner au plus « fort », à celui qui joue du muscle, c’est devenir le groupe le plus faible. S’abandonner au plus « fort » est une maladie du lien social qui mène au malheur. »
Jean Bédard ; Le pouvoir ou la vie (2008)

« L’autorité morale est fondée sur des qualités manifestes telles que la sincérité, la congruence, l’honnêteté, la compétence, le souci d’autrui, et peut-être surtout la capacité de faire la synthèse des idées de chacun. »
Jean Bédard ; Le pouvoir ou la vie (2008)

« La grande pauvreté est une maladie du lien social de solidarité, elle résulte de l’illusion que la cité peut s’en sortir malgré l’injustice faite à « quelques individus». Dans cette maladie, tout se passe comme si le sacrifice d’une personne n’avait pas d’effet sur l’ensemble. Peu importe que la coque du navire se fende à un endroit, pourvu que les mieux nantis s’en sortent. C’est une pure illusion, car le luxe d’une cabine n’apporte aucune sécurité si la coque est brisée. »
Jean Bédard ; Le pouvoir ou la vie (2008)

« La valeur est à l’action ce que, biologiquement, la lumière est à la vie. »
Jean Bédard ; Comenius, ou Combattre la pauvreté par l’éducation pour tous (2005)

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Philo… Quoi!

La philosophie va occuper une place significative dans la Formation en écologie intégrée et il y a beaucoup de préjugés sur le sujet. On dit que c’est un exercice cérébral inutile qui n’aboutit à aucune conclusion définitive.

Revenons à la signification du mot philo-sophie : Amour de la Sagesse.

  • L’amour est un élan affectif vers la beauté qui entraîne tout notre être (corps, cœur, esprit). 
  • La sagesse (du latin sapere) consiste à avoir du goût. Le goût est un sens, c’est-à-dire un rapport avec le réel. Le goût est aussi une expérience, c’est-à-dire un rapport réciproque avec le réel.

Mais la philosophie est le goût de quoi? Qu’est-ce qu’on goûte lorsqu’on philosophe? 
On goûte des prises de conscience. Il s’agit de comprendre comme lorsqu’on dit que l’utérus comprend le fœtus et est compris dans le corps. Comprendre = inclure une totalité dans notre totalité et être soi-même inclus dans une totalité. C’est par la totalité de notre être que nous pouvons comprendre la totalité de l’être et nous ne pouvons comprendre une totalité que lorsque nous percevons que nous sommes compris en elle.

Comprendre est l’expérience : 

  • corporelle de contenir et d’être contenu;
  • affective d’étreindre et d’être étreint;
  • intellectuelle d’embrasser par ma conscience la signification et la valeur d’une totalité et d’être saisi par elle dans ma signification et ma valeur. 

Du fait de cette totalité, la philosophie…

  • n’est ni la logique ni les mathématiques, mais elle les comprend (la branche de la philosophie analytique);
  • n’est pas une science, mais elle doit comprendre la science (la branche de l’épistémologie);
  • n’est pas un art, mais elle comprend l’art (la branche de l’esthétique);
  • n’est pas la langue, mais elle comprend le langage (la branche sémiotique);
  • n’est pas l’expérience spirituelle, mais elle comprend l’expérience spirituelle (la branche de la métaphysique).
  • ainsi de suite.

En réalité, la philosophie veut tout comprendre parce que l’acte de compréhension est forcément total et s’adresse à une totalité.  Il s’agit d’embrasser la totalité dans notre totalité parce que nous sommes une totalité dans la totalité. Notre besoin de comprendre ne peut pas être atteint par un acte partiel, par exemple : comprendre une fonction physiologique n’a de sens que si on peut la situer dans son ensemble et dans l’ensemble de la biologie, et situer l’ensemble de la biologie dans l’ensemble de la vie, et saisir l’ensemble de la vie dans l’univers, et se situer soi-même dans l’univers.

Peinture de Pierre Lussier

La philosophie ne peut donc pas se contenter d’analyses et de synthèses, ce ne peut pas être uniquement un acte rationnel, c’est un acte de conscience. Nous reviendrons sur ce qu’est la conscience.

Tout le monde vit dans une philosophie, c’est-à-dire dans un organe de compréhension, dans une organisation de préalables à partir de laquelle nous tentons de nous comprendre nous-mêmes et de comprendre le monde qui nous entoure. Mais rares sont les gens qui connaissent la philosophie dans laquelle ils vivent et par laquelle ils tentent de comprendre le monde. Généralement, on comprend le monde dans la philosophie et par la philosophie qui nous a été donnée, que la majorité partage inconsciemment comme des poissons dans l’eau.

Notre philosophie commune constitue l’ossature de nos conditionnements. Il y a un tas de choses qui nous apparaissent évidentes, pourtant, elles ne sont évidentes que dans la philosophie que nous partageons. Notre philosophie de départ est comme notre œil, nous ne la voyons pas parce que c’est avec elle que nous regardons.

Actuellement, dans notre culture, nous tentons de nous comprendre nous-mêmes et le monde dans et par une philosophie matérialiste. Nous imaginons, par exemple, que nous pensons avec notre tête, que c’est notre cerveau qui pense et que si notre cerveau arrête son activité, c’en est fini de nous. Le matérialisme est relié au scientisme : seule la science peut dire quelque chose de vrai, le reste est de la spéculation, des hypothèses, des rêves, de la littérature, des émotions et des sentiments…

Mais notre philosophie matérialiste n’est que la moitié d’une philosophie dualiste qui la sous-tend. Cette philosophie sépare matière et esprit, corps et âme, sujet et objet, bien et mal, beau et laid… Comme elle est dualiste (deux principes premiers parallèles), il y a forcément clivage : 

  • les matérialistes pensent que la réalité est matérielle et que la pensée est un effet de la matière;
  • les spiritualistes pensent que la réalité est spirituelle et que la matière est un effet de l’esprit.

Si le matérialisme se concrétise dans le scientisme (l’idéologie voulant que seule la science puisse expliquer le monde), le spiritualisme se concrétise dans le fondamentalisme religieux (seule la religion peut expliquer le monde). Matérialisme et fondamentalisme religieux sont les deux côtés d’une même philosophie et forment une seule mentalité, c’est pourquoi beaucoup de sociétés (par exemple, les États-Unis) sont très polarisées entre fondamentalisme religieux (associé à la droite) et matérialisme scientiste (associé à la gauche).

Cette mentalité est très violente et destructrice. On cherche toute sorte de causes à la crise humanitaire et écologique, mais la seule vraie cause ne peut être que nous enfermés dans une mentalité dualiste.

Pourquoi ce dualisme est-il fondamentalement dangereux? Parce qu’ils séparent la matière et l’esprit et pour faire cela, il faut d’abord s’être découplé du réel. Le matérialisme et le fondamentalisme religieux sont tous les deux des idéologies. Pourquoi ce sont des idéologies?  Parce que l’expérience du monde réel est une expérience et non pas un corpus de théories, d’idées ou de représentations considérées comme des connaissances.

L’expérience du réel comporte de ressentir la différence extraordinaire entre le réel et le représenté.

  • Le réel est toujours au-delà de nos capacités d’englober mentalement un être dans une représentation par ce que un être est infini en détails (avec son organisation moléculaire et atomique), en temporalité (en métamorphose depuis le début de l’évolution), en complexité (pensez à la pyramide organisationnelle d’une seule cellule), en interactions (pensez à toutes les interactions entre un brin d’herbe et tout l’environnement jusqu’au soleil), en significations (en lui-même et tous les êtres qui l’entourent), en valeurs (sa valeur propre et sa valeur pour tous les êtres qui l’entourent), etc.;
  • Nos représentations (que souvent nous appelons connaissances) sont toujours schématiques, réductionnistes, simplistes. 

Or le matérialisme comme le spiritualisme confondent le monde des représentations mentales (toujours rachitiques) et le monde réel (toujours insondable). Le mot « connaissance » par exemple, suppose une confusion entre une représentation et une réalité. C’est pourquoi on parle de connaissances vraies et de connaissances fausses, de connaissances vérifiées et de connaissances hypothétiques, etc. Cependant, même en science, il n’existe aucune connaissance qui soit autre chose qu’une représentation efficace jusqu’à preuve du contraire. Même les théories les mieux vérifiées sont, au mieux, des simplifications qui nous permettent d’opérer dans la réalité des actions dont on peut prévoir un nombre limité de résultats.

À cause de cette confusion, le scientisme applique des « connaissances » sur le réel et le spiritualisme applique ses doctrines sur le réel en perdant de vue la différence entre « connaissances » et réalité. Ils oublient qu’ils sont toujours plongés dans une expérience humaine de la réalité. Autant leur humanité que leur environnement les dépassent démesurément. Bref, ils ont perdu le principe de prudence parce qu’ils perdu contact avec la réalité. C’est pourquoi ce sont des idéologies. Elles sont décrochées de la réalité, elles sont schizophrènes.

La vie ne se tient pas dans nos connaissances, la vie consiste à affronter l’inconnu.

Tant que je suis dans la maison de mes connaissances, je ne suis pas en philosophie. Goûter, c’est justement percevoir que ce qui me reste du goût du gâteau est infime et pourtant : qui peut se faire une représentation complète de ce qui lui reste en bouche? Les vrais scientifiques n’oublient jamais cet écart, ils ont la tête dans leurs connaissances et le nez dans la réalité.

La conscience n’est pas l’intellect. L’intellect est le pôle de l’expérience qui arrive à se faire une représentation plus ou moins significative du réel. Mais la con-science, qui est une pré-science, perçoit les deux pôles de l’expérience (la représentation et la réalité). Cela suppose une expérience du corps. L’enfant est nu sur le balcon, il sent le vent. Il baigne dans l’infini de ses sensations, il reçoit du réel une infinité d’informations : thermiques, gravitationnelles, de pressions, de proprioceptions…  Et ce dans des milliers de nuances très subtiles et en mouvement. En trente secondes, il reçoit des influences sensorielles impossibles à réduire sans une perte non pas limitée, mais presque infinie; pourtant, il va retenir la conscience inoubliable qu’il appartient à un monde ineffable. Il vit entre l’infini informé qu’est le réel et le schéma imaginaire que peut porter son intellect.

À partir de là, la conscience est capable d’entendement, c’est-à-dire qu’elle est capable d’entendre ce qui se passe en elle quand le monde la traverse d’influx sensoriels qui ne sont pas que sensoriels, ils donnent vie à l’enfant, ils l’embarquent dans la grande aventure de l’évolution. La conscience est bien plus que l’entendement, mais elle comporte l’entendement.

Si vous lisez actuellement ce que j’écris avec votre conscience, vous voyez que chaque mot est insuffisant, que chaque mot est un peu faux, pourtant, vous êtes capable de repérer dans votre vie des expériences qui vous permettent de comprendre au-delà des mots. Vous êtes en contact avec l’ineffable (l’incapacité de dire et de schématiser l’infini de la réalité sans le réduire infiniment et le tronquer sérieusement).

Le critère pour savoir si je suis en philosophie est le suivant : si j’avance dans l’inconnu, je suis philosophe, chercheur de vérité. Au début, je me sens perdu, j’ai le sentiment d’être en relation avec quelque chose qui me dépasse complètement, mais à force d’être dans l’expérience, la confiance gagne du terrain. À la fin, comme un nageur expérimenté, je ressens que l’eau ne me lâchera pas.

La philosophie consiste à sortir des philosophies ambiantes, des mentalités, pour voir, entendre, sentir, comprendre notre réalité intérieure et la réalité extérieure en tant qu’expérience. Or l’expérience, c’est le lien intérieur et extérieur.  S’il y a un lien, cela veut dire que ces deux réalités sont forcément une même réalité. La philosophie sort de l’aporie (une vision qui mène à l’absurde) du dualisme en restant ancrée dans le réel.

Il y a des pensées et des connaissances sur un côté et des réalités sur l’autre, on fait ce que l’on pense, mais dans la réalité, cela ne produit pas ce que l’on pense. Cela est inévitable parce que toute connaissance est finie, mais la réalité est infinie. Si on ne réalise pas cela, on ne peut pas voir les conséquences de nos actions. On est aveugle. Et c’est exactement le problème actuel de la violence extrême, de l’injustice flagrante et de la destruction systématique de l’environnement. On a dit qu’il est plus facile de réaliser la fusion nucléaire que de changer une mentalité. Mais c’est la seule solution possible. On ne peut pas mettre une camisole de force à une mentalité schizophrène pour l’empêcher d’attaquer follement un pays ou de polluer désastreusement toute la terre.

Cependant, développer une philosophie est difficile, parce que la conscience est très très très difficile à satisfaire. Comme je le disais, la sagesse consiste à avoir du goût, ça goûte mauvais lorsque je me raconte des histoires fausses, ça goûte bon lorsque j’approche du vrai. C’est comme chercher une marguerite dans un immense champ juste en utilisant son odorat.

Pour que l’expérience goûte bon, il nous faut : 

  • un ancrage profond dans les sensations (l’état sensitif du corps); 
  • une solide perception de la relativité de nos connaissances (la docte ignorance);
  • une cohérence interne dans notre compréhension du monde (logique interne); 
  • une cohérence avec les données les plus sûres de la science (l’évolution des connaissances); 
  • une signification pour notre conscience (est-ce que cela fait du sens); 
  • et que ça réponde à tous les besoins authentiques de notre âme (le lien entre le cosmos et mes aspirations profondes).

On ne peut pas y arriver seul ni même à plusieurs, il nous faut l’histoire des grandes sagesses confrontées aux contraintes de la réalité.

Personnellement, j’ai opté pour plonger dans les racines profondes de l’histoire, avant la philosophie antique, qu’elle soit présocratique ou taoïste. Je voulais rejoindre d’abord les philosophies premières (celles des premiers peuples). Ensuite, fort de cette vision, j’ai traversé les grandes sagesses occidentales et orientales en suivant la trajectoire des philosophies premières. Je me suis aperçu que les grandes intuitions des sagesses premières avaient traversé le temps, elles s’étaient enrichies et consolidées à travers un courant qu’on pourrait qualifier de féministe parce qu’il voit la réalité en termes d’utérus, de formation et de transformation organique, de création en route qui ne sépare jamais l’acte créateur de l’être créé (donc ne sépare pas le sujet de l’objet ni l’être en métamorphose que nous sommes de l’être en métamorphose dans lequel nous sommes). Cela m’a permis d’écrire les trois Champs de la terre, Marguerite Porète, Professeurs d’espérance, Sur la route des grandes sagesses et bientôt Le dernier siècle avant l’aube (probablement pour 2025 ou26).

C’est parce que j’ai trouvé un certain sentier qui relie lucidité et espérance pour arriver à une certaine sérénité devant le mal et la mort, les aspirations de l’âme, la rigueur de la pensée que je peux être utile à quelques-uns dans notre traversée vers une humanité écologique.

Pour une information complète sur la Formation en écologie intégrée, cliquez sur le lien : https://jeanbedardphilosopheecrivain.wordpress.com/formation-en-ecologie-integree/