Notez: La Formation en écologie intégrée commence le 3 mai. Pour une inscription de dernière minute: https://docs.google.com/forms/d/e/1FAIpQLSdpwsUjSxJQzVBKxyB_DFVUpvX5_IrEJqMOXe4mgBICd3mryA/viewform
La métaphysique a fait l’objet d’une sorte de meurtre au XXe siècle. Rien ne justifiait ce meurtre. Tout un monde de questions existentielles y trouvait un chemin d’évolution.
Entre les réponses toutes faites des institutions religieuses et les questions qui appartiennent au champ de la science, il y avait les travailleurs d’en bas, les métaphysiciens qui avançaient sur la piste des questions existentielles. Ils recherchaient des bases pour la logique (philo analytique), des fondements pour les mathématiques (la métamathématique), des assises pour les sciences (l’épistémologie), des socles pour définir l’existence (l’ontologie), des racines pour le monde des valeurs (l’éthique), des voies pour comprendre l’art (l’esthétisme), des chemins d’accès susceptibles de répondre aux besoins de l’âme (philosophie spirituelle). La métaphysique tentait d’éclairer tout cela d’une même foi en la pensée, car tout cela ne vaut quelque chose que si la pensée vaut quelque chose.
Tous ces siècles de recherches par des milliers de pèlerins de l’esprit pour dégager progressivement le sens de notre vie dans l’environnement incroyablement grand et mystérieux du cosmos ont été traités avec tellement de mépris par quelques générations de détracteurs qui utilisaient pourtant leur pensée pour ridiculiser la pensée.
J’ai dit ailleurs que vivre dans les ruines de grandes cultures effondrées est une chance extraordinaire : comme à Athènes, on peut distinguer ce qui a tenu le coup.
Lorsque j’ai écrit Professeurs d’espérance, Marguerite Porète ou Sur la route des grandes sagesses, je cherchais à séparer ce qui m’apparaissait fragile de ce qui semblait solide. Il faut admettre que nos cultures colonisatrices sont en ruine parce qu’elles ont perdu toute crédibilité après les guerres mondiales, les génocides, les camps de concentration, les goulags, l’extrême pauvreté des uns, le règne des grands profiteurs et le désastre écologique. Ni l’Amérique, ni l’Europe, ni la Chine, ni le Japon n’ont résisté à la chute de la pensée face à la violence, et aucune n’a même éprouvé le besoin de fouiller dans les ruines pour trouver ce qui pouvait reconstituer une renaissance de l’esprit contre le règne de la force. Les philosophes qui ont travaillé à cette tâche ont été traités d’embrasser trop grand. Qui connaît leur nom? Hermann Broch, Jan Patočka, Louis Lavelle et d’autres.
Quelle jeunesse pourrait maintenant croire que la pensée peut apaiser la peur et ainsi réduire la violence ! Pourtant, en fouillant dans les décombres, on peut découvrir les appuis, et surtout les antidotes du mal qui nous condamne.
On pourrait dire à propos des deux derniers siècles : heureuse exacerbation de la violence qui nous gorge des anticorps qui peuvent ouvrir notre avenir!
Hélas! au lieu d’avoir jeté l’eau du bain pour garder le bébé, on a jeté le bébé, mais on ne fait que boire et reboire l’eau du bain. Ensuite, on est surpris des problèmes de santé mentale qu’on traite comme des maladies individuelles.
Je voudrais résumer ici quelques éléments de métaphysique qui m’apparaissent compatibles à la fois avec l’intelligence, la conscience et nos besoins de sens. Mais il y faut un effort, non pas tant parce que l’exercice est difficile, mais parce qu’il faut lutter contre la démission générale devant la pensée.
Pour aider le cœur à stimuler la pensée, j’ai fait comme les anciens métaphysiciens (Lao-tseu, les présocratiques, Goethe, Rilke…), j’ai associé la poésie à la raison.
Chaque semaine jusqu’à mes vacances d’été, vous aurez une bouchée de métaphysique. N’oubliez jamais que la digestion est un phénomène profond dont nous n’avons pas le secret.
Entre tout et rien,
ton fleuve coule vers de grandes steppes.
Le néant absolu efface tout, y compris lui-même. Une hypothèse qui s’autoélimine.
L’hypothèse contraire d’une identité absolue (remplie entièrement d’elle-même) élimine toute dynamique. Une deuxième impasse.
Si le Principe premier était néant, il ne serait pas et rien ne serait. Si le Principe premier était l’identité à soi parfaite, il ne serait qu’inanition, un bloc de béton inerte.
La pensée ne peut avancer qu’entre le néant et le plein, qu’entre l’absolu du rien et l’absolu du tout comblé. L’absolu du rien a mené au nihilisme, l’absolu du tout a mené à la conception d’un dieu tout-puissant, l’une comme l’autre de ces deux hypothèses ne peuvent donner lieu ni à l’existence ni à la pensée.
Il semble que les conditions de l’existence et les conditions de la pensée soient liées entre elles comme le tu (l’existence vue de l’extérieur) et le je (l’existence vue de l’intérieur).
Toi et moi rivière tourbillonnante
entre les écuelles de l’être et du néant
tantôt explorant nos cœurs tremblants
tantôt déambulant sur nos terres trop vastes.
Nous avons traversé ce paradoxe fondamental (du néant et du statisme absolus), par un acte de la pensée. La pensée a pour propriété de pouvoir faire des hypothèses sur la réalité et d’infirmer ses hypothèses en concluant qu’elles ne sont pas réalisables.
Si elle aboutit à cette conclusion, c’est qu’effectivement ces hypothèses ne seront jamais observées dans la réalité.
La pensée et la réalisation sont liées dans une relation et dans une relativité qui donnent à l’être la dynamique de l’existence, c’est-à-dire la dynamique de la réalisation.
La pensée a un pouvoir de recul sur le réel qui lui permet de réfléchir et de se réaliser en réalisant la dynamique de sa propre existence.
C’est pour cela que la logique est le lieu d’une temporalité imaginaire qui lui permet d’éviter des écueils dans la réalité. Dans la réalité, on ne découvre pas de néant, des vides oui, mais pas de néant. Dans la réalité, on ne découvre pas d’absolu fixe, des non-finis qu’on nomme « in-finis », oui, mais pas d’absolu fixe. On a cru découvrir des atomes pleins, statiques en eux-mêmes et indivisibles, mais non, ils se sont avérés des complexes de vibrations tourbillonnant comme l’avaient prévu les logiciens de la Renaissance.
Nos terres sont fertiles,
jamais nous ne retournerons dans l’engourdissement.
Jouons l’un dans l’autre
toi et moi
sous les draps de l’aube.
Le cosmos est l’expression de l’ouvert, il est la pensée en marche, c’est pourquoi il n’est ni fini ni limité.
La pensée déroule deux temporalités :
- la temporalité imaginaire dans laquelle elle découvre des impasses;
- la temporalité de la réalisation dans laquelle elle se réalise dans l’ouvert.
Cette dernière temporalité ne pardonne pas. Il n’y a aucun néant dans lequel on peut simplement enfouir nos déchets qui sont d’abord et avant tout des déchets de pensée, des non-réflexions.
Les écueils que tu heurtes
le noyau vide des tourbillons
nous délassent l’un de l’autre
pour mieux nous enlacer.
En grammaire, les noms reposent sur l’hypothèse qu’une réalité devrait rester identique à elle-même pour un temps. Un chien est un chien tant qu’il reste un chien. S’il s’agit d’une chenille, elle passera de chenille à papillon en changeant de forme. Prise dans son absolu, l’hypothèse de l’identité est irréalisable. Tout nom est relatif dans les deux sens du mot, c’est-à-dire que tout nom n’est pas absolument statique et tout nom est relié à lui-même dans un changement qui permet une identité en marche, une identité évolutive.
Le temps suppose une différenciation. Si quelque chose ne changeait absolument pas, cette chose serait intemporelle et n’existerait pas. Si Dieu et l’éternité étaient éternels et statiques, ils ne seraient que des hypothèses limites non réalisables, incapables de réalité. Cela ne prouve pas l’inexistence d’un Créateur, mais simplement qu’Il est au cœur de la dynamique du temps et de la pensée, et si nous sommes dans cette dynamique, nous sommes nous-mêmes créateurs.
Notre eau est lumière et ténèbres,
elle est fluide et percutante
visible et transparente.
Ne trouves-tu pas que nous sommes beaux!
Un photon, par exemple, tant qu’il n’interagit pas, reste identique à lui-même, si nous étions ce photon, nous ne percevrions pas le temps. Comme le disait Einstein : si je voyageais à califourchon sur un photon libéré à la vitesse de la lumière (donc sans interaction), je ne vieillirais absolument pas. Mais le photon n’est pas pour autant une identité absolue pleine d’elle-même. Le photon, tant qu’il n’interagit pas, reste une onde complexe et chargée d’information. Cette information reste mémoire inchangée dans son voyage dans le vide complet, mais alors il est un potentiel entre ses interactions et c’est dans ses interactions qu’il se réalise en donnant son énergie à l’électron.
La lumière est logique. En effet, la dynamique de la dynamique de la dynamique… une telle régression à l’infini ne bouge pas, elle conduit à quelque chose d’absolument statique. Bref, le statisme et le dynamisme ne sont pas des contraires incompatibles l’un avec l’autre, au contraire, ce sont des contraires relatifs, c’est-à-dire liés l’un à l’autre. Bref le temps est la dynamique de l’éternité et la création est la dynamique du Créateur.
Notre lit n’est pas très stable,
notre ciel est brouillé,
nos mers sont houleuses
sans nos métamorphoses nous serions perdus.
Dans l’antiquité, on a formulé deux hypothèses d’absolues identités :
- l’atome matériel pensé comme des grains statiques en eux-mêmes et indivisibles. Mais alors, il faut penser à autre chose pour les sortir de l’inertie. On a pensé à l’énergie. Mais comment l’énergie qui serait de nature totalement opposée à la matière pourrait-elle organiser des atomes, les faire bouger? Un tel dualisme est une impasse logique. C’est pourquoi Einstein a forcément lié matière et énergie dans une équation (E=MC2) qui s’est avérée réalisable (compatible avec la réalité);
- l’idée parfaite, par exemple, la forme parfaite du chien vivant dans la mémoire absolue et éternelle d’un absolu toujours identique à lui-même. Mais cette vision du « chien » de « Dieu » n’est pas compatible avec la réalité. Ce serait encore un dualisme, celui de la forme et de la matière, aujourd’hui on dirait : de l’information et de l’énergie. Or l’énergie et l’information sont des contraires liés et non des oppositions. La lumière, par exemple, est de l’énergie informée et informante.
Ces deux impasses ont donné lieu au dualisme de la pensée et de la réalité, comme si la pensée était de la non-réalité, et la réalité était de la non-pensée. Une autre impasse. On a lié la pensée à la subjectivité du « je » et la réalité à l’objectivité d’un « tu » devenu impersonnel. Mais rien n’est subjectif et rien n’est objectif, tout a une intériorité et une extériorité, même les atomes, tout est dans la pensée et hors de la pensée.
Qui peut nous limiter?
L’arbre est notre infiltration dans nos terres
et notre montée dans la lumière.
La terre : notre passé nourrissant notre avenir.
Le soleil : notre tourbillon de feu.
L’autre contradiction logique qui vérifie l’impasse d’un absolu statique est la suivante : pour un tel « absolu » qui serait statique, on peut facilement imaginer quelque chose non seulement de plus grand, mais d’infiniment plus grand. On peut imaginer un absolu pouvant s’affranchir de cette hypothèse pour entrer dans l’ouvert. Cet absolu dynamique pourrait faire entrer dans la réalité des existences capables de se dépasser elles-mêmes, des êtres ouverts capables de transformations, des êtres capables d’infinies diversifications, des êtres capables de création. Cet absolu ouvert serait infiniment plus absolu que l’absolu fermé. Le Créateur ne crée pas une création, mais des créateurs participatifs.
Dans un statisme fermé, l’infini de tous les infinis imaginables et réalisables n’a pas de place. Un seul infini habiterait l’être et ce serait l’infini du « par-fait », du « tout fait d’avance ». Cette limitation est fondamentalement contradictoire, un tel absolu statique n’est pas absolu du tout, il suppose le néant des autres infinis.
Bref, l’Absolu ne peut pas être un nom, une identité définie éternelle, l’Absolu ne peut être pensé que comme une pensée, une dynamique relative et relationnelle.
Nous l’avons dit : le propre d’une réalité est de s’échapper de l’identité absolue avec soi. C’est pourquoi « être » est vraiment un verbe, et le propre du verbe est de transformer son identité, changer sa forme et son itinéraire. Le verbe être est l’ouverture à l’existence et à la réalisation. Le mot « être » est un verbe.
Qui est l’informe qui nous transforme?
Est-ce toi la caresse et moi la vibration?
Tu me fais, me défais, me refais.
Mais comment te distinguer,
des sensations profondes de mon esprit incorporé?
Tu es mon Verbe.
Nous serons des milliards à n’être qu’un.
L’ouvert oblige la transformation, la différenciation et la complexification, sinon, ce serait l’homogène, la solitude et la dilution.
La « trans-formation » est un changement de forme, un changement de l’information dans « l’in-formation ». Un jeu réciproque de l’art ondulatoire des vibrations.
Tout ce qui est ouvert, tout ce qui est sans impasse entre dans la créativité de la pensée et veut se réaliser, c’est la néguentropie : la recherche de différenciation.
La recherche de différenciation suppose la complexification, la recherche de complexification suppose l’augmentation des liaisons, l’augmentation des liaisons suppose l’harmonisation.
La transformation oblige aussi l’entropie, la réduction de la complexification, la déliaison, la décomposition.
La forme qui tient le temps, c’est-à-dire l’information qui traverse le bruit sans s’ébruiter en miettes, nous l’appelons mémoire. Ce n’est pas le temps qui fige, c’est la reconstitution à chaque instant de la complexité, un travail colossal.
Sans l’entropie qui persécute la mémoire et la gruge, il n’y aurait pas de perte de mémoire. Dans l’évolution de la différenciation et de la complexité, la mémoire enflerait et finirait par étouffer le mouvement créatif.
La néguentropie est orientée vers l’ouvert comme si elle recherchait l’infinie complexité. Elle soulève une masse d’informations que la mémoire réitère au prix d’un effort gigantesque. L’entropie tend à défaire cette complexité comme si elle cherchait à revenir en arrière.
Le temps entropique suit les chaînes enchevêtrées des causes et des effets, descendre le fleuve des échanges d’efforts qu’on appelle « énergie ». Pour chaque grain d’énergie, l’entropie réduit d’un degré la complexité en brisant des liaisons. Notre métabolisme résulte d’un jeu de déliaison des nutriments (entropie) et de reliaison de protéines ajustée au besoin de chaque cellule. Le temps néguentropique utilise l’entropie pour ajouter et ajuster à la complexité.
Un soleil brûle de l’énergie gravitationnelle (qui compresse les atomes les plus simples) à profusion (entropie), mais dans son cœur, il augmente la diversité des atomes, leur complexité, leurs liaisons (néguentropie). Diffusant vers ses planètes, un soleil rayonne un flux thermique constant (entropie), cela provoque des liaisons complexes sur les planètes (néguentropie). Sur les planètes, là où les conditions sont rassemblées, la vie naît de cette entropie du rayonnement solaire et ajoute d’énormes « quantités » d’informations de plus en plus complexes (néguentropie).