En cette année, s’échapper de l’étroitesse

L’essence de la conscience libérée, c’est d’être elle-même la source de sa propre existence. 

Le moi, la personne comme telle ne peut être confondue avec une aveugle spontanéité ; elle est une participation à la puissance créatrice de la nature non seulement en créant des œuvres, mais en se créant elle-même. Et pour la grande tradition, cette création d’elle-même échappe à l’anéantissement parce qu’elle n’est pas créature, mais source créatrice. Auteure.

La conscience libre, c’est l’être s’affirmant lui-même, se voulant lui-même, voulant durer et se démontrer ouvrier de son être en œuvrant à l’œuvre de la vie. 

Cette source est en dessous de l’être puisqu’elle n’est qu’origine possible. Pourtant, elle est au-dessus de l’être, puisqu’elle est la mère de son propre être.

Autrefois, on disait que la liberté s’exerce dans le passage de l’essence à l’existence, ce qui veut dire dans la capacité à matérialiser (faire exister) des valeurs (l’essence). Mais elle s’exerce aussi et en même temps dans le passage de l’existence (faire exister) à la transcendance (son propre être en tant que source d’être). 

En cette nouvelle année, il est bon de prendre conscience de tout ce que la pensée matérialiste nous a fait perdre.

Noël, fête de la liberté

Nous fêtons un événement éminemment banal : une femme accouche dans une étable parce que les gens ne veulent pas d’elle à la maison. Le bébé est maintenu en vie grâce à l’incubateur le plus primitif qui soit : le souffle chaud d’un bœuf et d’une ânesse.

Pourquoi est-ce la plus grande fête de l’année?

Parce que si ce n’était pas la plus grande fête, qui serions-nous? Si nous ne tombions pas à genoux devant tant de pauvreté qui affecte tant de femmes, surtout celles méprisées parce que juives ou arabes, afghanes ou africaines, chrétiennes ou athées.

Si on ne les honorait pas, qui le ferait? Et que serait l’être humain s’il était sans compassion pour un tel traitement de la source même de sa naissance?

C’est pourquoi Noël est la fête de la liberté, parce qu’en ce jour, il faut descendre dans la rue et crier : « Finie la persécution de celles qui nous ont donné la vie. Que les universités leur appartiennent et je jure que le monde ira mieux. Que les peuples leur laissent les grandes décisions de vie et nous aurons la paix. »

Rembrandt

Libérer la valeur

Il y a dans chaque être une certaine potentialité accumulée qui ne s’épuise jamais. Elle n’est rien pourtant tant qu’elle ne s’actualise pas ; mais pour cela il faut d’abord qu’elle se découpe en puissances différentes, car il faut bien coordonner nos puissances pour aboutir à une œuvre cohérente. C’est l’œuvre propre de notre liberté lorsqu’elle s’attaque à notre vie entière pour en faire une œuvre. Car les puissances sont des possibilités non seulement pensées par nous (la nature et notre éducation nous en donnent la disposition), mais aussi agissent par nous (coordonner pour agir de façon congruente sur l’ensemble de notre vie). Or, la liberté serait incapable d’agir si elle ne portait pas en elle la valeur d’unité de vied’identité d’auteur et de créateur.

Dessin de Pierre Lussier

Si la valeur est la raison d’être de l’être, elle ne peut jamais devenir une chose, car elle réside dans la source de la création. Qu’elle se manifeste en nous ou dans la nature, elle est inhérente à l’acte créateur, à l’art de mettre en œuvre sa vie. Toute valeur est suspendue à la liberté de conscience, si bien qu’elle disparaît si elle est imposée. Quand nous mettons la valeur au-dessus des personnes, c’est que nous nions aux personnes leur valeur. Et c’est ce qui arrive lorsqu’on tue ou torture une personne au nom d’une valeur. Quand nous mettons la valeur au-dessus de la nature, c’est que nous nions sa valeur pour en faire un monceau de possédables.

Le réel serait dépourvu pour nous d’intelligibilité et de signification si son existence n’était pas sur le chemin des valeurs. On abolirait cette intelligibilité et cette signification si l’on voulait qu’il y eût d’emblée identité entre l’existence et la valeur. Le monde n’a de sens que s’il est un acte de valeur et non un tas de valeurs.

La valeur jaillit toujours d’une rencontre.

L’humilité de la puissance

Si le propre de la liberté est d’éclater les possibilités, ce sont les tendances qui donnent à ces possibilités le pouvoir de se réunir et de se réaliser : elles deviennent alors des puissances. Ce qui nous permet de réhabiliter une notion (la puissance) qui mérite toutes les critiques quand on la considère comme exprimant une existence objective et indépendante, une sorte de surpuissance propre aux dieux, mais qui est, au contraire, inscrite dans la vie comme l’humilité parfaite d’une action encore hésitante. C’est dans la réalisation du possible, en tant qu’elle s’exprime par une actualisation de nos puissances si impuissantes, que se trouve le nœud du problème de la valeur. Nous parlons alors d’une mise en valeur de nos valeurs et d’une mise en œuvre de notre monde intérieur. Il arrive même que ce soient ces puissances que l’on considère former la valeur propre de chaque personne. Je suis ce que je peux.

Cependant, il ne faut pas oublier que les puissances ne sont rien tant que la liberté n’en dispose pas. En disposer, c’est d’une certaine manière les « faire être » en se donnant à soi-même l’être. Le propre de la puissance, c’est qu’on ne la connaît qu’en la faisant exister pour qu’elle nous fasse exister. Elle n’apparaît que dans le travail cohérent et continu et se désarticule dès qu’on s’imagine seul.

Ainsi le rapport de la possibilité et de la puissance montre assez clairement comment le possible se réalise, mais comment, en se réalisant, il nous réalise. Jusque-là la valeur du possible n’était qu’une hypothèse. Sa réalisation (rendre réel) vérifie l’hypothèse. Elle franchit alors la distance qui sépare le subjectif de l’objectif (c’est-à-dire l’intersubjectif). Et c’est parce qu’elle implique toujours la réalisation que la valeur évoque le courage de se mettre au monde et la nonchalance de rester dans sa coquille d’obéissance.

Tendances

C’est la tendance qui exprime la possibilité en tant qu’elle est devenue la spontanéité de notre personne. La tendance est : 

  • notre passé accumulé qui, par sa seule force sollicite, appelle déjà notre avenir ; 
  • nos impulsions naturelles qui reflètent l’aventure génique de notre espèce, l’histoire primitive de la genèse de l’être humain; 
  • nos facilités et nos talents génétiques, épigénétiques et développés dans notre enfance; 
  • les conditionnements sociaux que nous avons intériorisés qui nous inhibent ou nous poussent dans certaines directions.

C’est par la tendance que la vie nous traverse et nous porte, que le passé tend à définir notre avenir. Le propre de la conscience doit être de pénétrer les tendances pour les rendre siennes plutôt que de les refouler pour s’en imaginer libre. La liberté ne se passe pas des tendances ; elle en a besoin pour agir, et même, elle a d’autant plus d’efficacité qu’elle aura réuni plus de tendances qui lui fourniront à la fois la matière et l’énergie de sa propre opération. 

Néanmoins, nous ne pouvons pas nous y abandonner aveuglément, car les tendances sont pleines de contradictions. Notre tâche est de les découvrir, de les sélectionner, de les choisir et de les embarquer dans notre aventure. Dans le passage du possible à l’action libre, la tendance joue le rôle de catalyseur et de médiateur.

Évidemment, le propre de la valeur, c’est de tenter de briser nos liens avec la nécessité, le conditionnement et l’habitude, de chercher dans l’intemporel ou même dans l’absolu, la source d’une création qui nous donnerait une satisfaction pleine. Mais, c’est seulement un idéal limite, car la liberté est toujours engagée dans une nature qui la borne et une société qui la conditionne tout en lui donnant les moyens pour agir. La conscience ne peut s’en séparer qu’afin de retrouver en elle une signification qui la contente et une force qui la soutient, mais ensuite, la conscience ne peut imaginer seule, elle doit composer avec les autres, et toute l’écosphère.