Revenons sur la convergence des grands problèmes de l’heure :
- L’érosion des démocraties, la tentation du totalitarisme, l’accaparement des richesses par quelques milliardaires, l’endettement extraordinaire des personnes et des États (et la dépendance aux capitaux qui s’ensuit) montrent bien l’existence de mécanismes sous-jacents d’automatisation et de déshumanisation de l’économie. L’être humain n’est plus la finalité de son travail. L’économie est devenue une machine spéculative qui accumule les profits simplement parce que c’est sa structure de fonctionnement.
- L’extrême pauvreté qui en résulte favorise l’explosion démographique qui elle-même devient une des causes de la pauvreté et de la détérioration de l’environnement.
- La montée des capitaux, devenue une fin en soi, permet aux grandes fortunes d’acheter tous les moyens de son augmentation, la science comprise, et principalement l’agronomie pour engendrer la dépendance alimentaire et la pharmacomédecine pour exploiter l’anxiété de la mort. Cela interdit le principe de prudence, et la science au service du capital se met à jouer avec le feu, à prendre des risques sur le dos de la vie humaine et de l’environnement. Il s’ensuit des maladies liées à un environnement et des épidémies de virus de plus en plus résistant;
- Le totalitarisme religieux unit les pouvoirs politique, économique à la religion. Dans une société totalitaire laïque, c’est la science (en réalité, le scientisme) qui s’est autoproclamée seule porteuse de vérité, aussi elle exerce dans le totalitarisme laïque la même fonction que la religion dans le totalitarisme religieux. L’effet le plus destructeur pour la culture, c’est que la « vérité » cesse d’être une valeur, elle devient un moyen politique, et donc, tout fondement s’effondre dans la culture, cela produit une généralisation de l’angoisse, en bref, l’anomie
- Comme l’économie spéculative ne peut que s’accélérer, comme l’angoisse ne peut qu’augmenter, la surconsommation engendre une crise climatique en accélération. C’est comme avoir quitté le mode pilotage pour se retrouver dans le mode train sans frein : un train ne peut aller que de plus en plus vite sur des rails déjà construits avant lui. Lorsque le climat atteindra le seuil de la désorganisation climatique, il sera lui-même en mode irréversible.
L’économie spéculative fonctionne automatiquement. Elle engendre des monstres de richesses qui monopolisent tous les moyens du pouvoir. C’est ainsi que les hommes de pouvoir (supportés par les hommes serviles) ont engendré la machine qui, elle-même, les engendre. C’est comme si un ballon gonflable avait trouvé le moyen de construire une machine pour se gonfler, et toute l’organisation sociale est mobilisée pour la faire fonctionner. Il ne peut s’ensuivre que des excès et des éclatements, des catastrophes.
Il n’y a donc pas plusieurs problèmes graves, mais un seul : l’automatisation d’une économie spéculative qui ne sait que croître tel un cancer. Cette vision classique est assez juste, mais elle déresponsabilise l’homme de pouvoir autant que les hommes serviles.
Cette machine n’a que l’apparence de l’automatisme, c’est en fait de l’obéissance synchronisée, c’est-à-dire un énorme refoulement de conscience.
Ce refoulement de l’axe de la conscience est nécessaire à l’aveuglement qui lui-même est nécessaire au fonctionnement mécanique de l’économie, sinon, l’être humain verrait les conséquences, et changerait les structures auxquelles il s’assujettit lui-même. Pour rester malade, non seulement, il est nécessaire d’« attraper » la maladie, mais il faut aussi avoir systématiquement rejeté tous les médicaments, d’où l’expulsion de toute sagesse du débat.
Rappelons que l’homme de pouvoir est « désaxé », il a perdu l’axe de la conscience. L’axe de la conscience relie la complexité effarante des valeurs ressenties à la complexité extraordinaire de la réalité, c’est donc un axe adaptatif; alors que l’axe du pouvoir relie l’idée d’un bien (un idéal) à l’idée d’un monde (une vision des choses) ce qui le rend aveugle à la réalité des conséquences.
Le philosophe Jan Patočka a cherché à comprendre l’extraordinaire violence du système nazi, celui tout aussi cruel du système soviétique et, plus sournois encore, celui du système capitaliste devenu spéculatif et transcendant. Il a voulu approfondir le mécanisme du refoulement de la conscience.
Ce qui finit par se concentrer dans le refoulement de la conscience, c’est la haine de soi activée par la peur du vide intérieur projetée dans l’idée de la mort. Cette peur et cette haine poussent inconsciemment l’homme de pouvoir vers le rituel orgiaque de sa propre élimination.
À quoi donc assistons-nous, sinon à la mondialisation d’un gargantuesque rituel orgiaque consistant à débrider la folie collective angoissée avant l’autosacrifice de sa propre substance spirituelle!
Un rituel orgiaque est une grande fête des perversions : pédophilie, viols, pornographie, banquets effrénés, beuveries, drogues, consommation de tout, élimination de tout référent moral. Une grande débauche pendant qu’on accumule les combustibles du bûcher où se termineront les derniers élans de l’ivresse.
C’est en cela que l’homme de pouvoir ressemble au Phénix dans sa légende originelle. L’homme de pouvoir recherche sa propre disparition en participant inconsciemment à la naissance de l’homme nouveau, de l’homme conscient. Il assassine les Socrate, les Bouddha, les Jésus, les Lao Tseu, les Gandhi, l’axe de la conscience et de l’adaptation. Mais en les sacrifiant, il les sacralise, et sans le vouloir, il les fait rayonner et vibrer dans le cœur de l’espérance humaine. Inconsciemment, et à sa grande surprise, il réchauffe l’œuf d’une fraternité comme Rome jadis a réchauffé l’œuf du communautarisme inconditionnel des premiers Chrétiens.
Mais c’est en cassant l’œuf (la structure) au bon moment que le poussin naît. Et c’est sur ce nœud que toutes les révolutions se sont cassé le nez.
Il nous reste donc à comprendre pourquoi les révolutions ont jusqu’à maintenant échoué, et qu’à chaque fois, le pouvoir s’est concentré en prenant des formes souvent pires.
Ensuite, nous serons prêts à réfléchir aux pistes de libération :
- ne jamais se soumettre, ce qui implique une autonomie intérieure;
- ne jamais lutter par la violence ou la manipulation, mais uniquement en faisant appel à la conscience;
- briser le clivage homme–femme ;
- préparer une résistance à long terme où on peut vivre l’écologie et l’autonomie;
- cibler d’abord la lutte à la pauvreté comme moyen de changer la structure économique;
- mobiliser vers la démocratie;
- entrer pleinement dans la métamorphose spirituelle.
Nous reviendrons sur chacun de ces points.