Mon petit Tao

Introduction

« Mon petit Tao » s’inspire directement du Tao-te-King écrit par Lao-Tseu. Ce livre est une de mes sources d’inspiration et de pratique. Avec les grandes traditions des Premiers Peuples, il est tourné vers la vie écologique.

Ce livre très ancien[1] s’est longtemps promené de bouche à oreille comme un secret. Il a influencé toute la Chine et par la Chine, le monde entier.

On dit que Lao Tseu[2] était un astronome à la cour d’un roi. Il aurait conseillé au roi une manière de partager son pouvoir en encourageant l’indépendance de pensée. Pour Lao-Tseu, chacun doit chercher la vérité dans la clarté de sa relation avec le Ciel et avec la Terre. Le Ciel, c’est l’espace qui accueille et laisse libre toute vie. La Terre, c’est ce qui produit et soutient la vie. Rien de plus concret et de plus simple.

Évidemment, l’empereur chinois n’était pas d’accord pour seulement animer et orienter les consciences, les pensées et les actions qui font leur chemin librement comme les plantes dans la nature. Il voulait dominer et soumettre le peuple à sa volonté.

Comme il n’arrivait pas à influencer l’empereur, Lao-Tseu partit sur le dos d’un bœuf. Il allait sortir du pays lorsqu’un gardien de la frontière lui demanda un prix pour traverser en paix à l’abri de l’empereur. Lao-Tseu écrivit son livre en échange de la liberté. Ensuite, il disparut sans laisser de trace.

On raconte aussi que ceux qui aimaient le livre de Lao-Tseu changeaient de vie. Par exemple, l’un d’eux ne sortait plus de sa petite ferme, il faisait la cuisine pour sa femme et ses enfants; il nourrissait ses porcs avec le respect qu’on accorde généralement à des amis; il ne prenait part à aucune dispute; il menait une vie très simple et proche de la nature… Et pourtant, il transforma la mentalité de beaucoup de personnes et, encore aujourd’hui, l’âme chinoise se souvient de deux choses :

  • il n’est pas recommandé de faire comme tout le monde pour parvenir à la sagesse;
  • suivre sa propre conscience n’est pas aussi facile que faire comme tout le monde.

[1] Les racines du Tao-Te-King remontent dans le temps au-delà de 2600 ans avant l’invention des ordinateurs.

[2] Son nom veut simplement dire vieux maître.

lao-tseu

1

Se promenant dans la solitude d’un grand paysage on peut ressentir une Présence.

On l’appelle TAO parce qu’elle n’a pas de nom.

On oublie facilement la Présence, parce qu’on est fasciné par les êtres particuliers.

La Présence dépasse tout ce que l’on dit à son propos.

Quand la Présence nous enveloppe, c’est le Ciel Quand elle nous soutient, c’est la Terre. Les noms aident à séparer les êtres entre eux, mais il n’y a qu’une seule Présence.

 

2

Enveloppé par la Présence, mais l’oubliant, chacun pense savoir la différence entre le beau et le laid, le bien et le mal.

Mais le beau et le laid, le bien et le mal se précisent l’un par l’autre comme l’est et l’ouest. Si l’est perd son ami l’ouest, il se retrouve seul. Si l’est est seul, il n’est plus l’est, mais le centre et aussi le pourtour.

C’est pourquoi le sage enveloppe tout également de sa Présence.

3

Imaginons qu’on n’élève personne au-dessus des autres et qu’on n’abaisse personne en-dessous des autres, alors, il n’y a plus de guerre. Imaginons que l’air, l’eau, la terre cultivable qui appartiennent à tout le monde soient aussi bien entretenus que le palais de l’homme le plus riche du monde, alors, l’air, l’eau, la terre cultivable restent propres et féconds.

C’est pourquoi le sage vide son cœur de toute possession personnelle pour se consacrer aux biens communs.

4

La coupole qui nous enveloppe apparaît vide et profonde, c’est pourtant une Présence féconde dans laquelle naissent tous les êtres.

5

L’espace entre le Ciel et la Terre est comme nos poumons : il se vide pour se remplir.

6

L’espace entre le Ciel et la Terre est comme le ventre d’une femme : il enfante sans s’épuiser.

7

Le Ciel et la Terre ne meurent pas parce qu’ils aiment également toutes les formes de la vie.

8

Une personne vivante est comme une rivière qui descend de la montagne, elle abreuve toute vie qu’elle rencontre.

9

Qui veut retenir ses biens pour lui seul est comme une coffre de trésor, on le brisera.

Quand on a fait quelque chose de bien, on se retire discrètement.

10

Pouvez-vous laisser naître qui vous êtes vraiment? Si oui, alors tout se mettra à croître autour de vous sans même que vous ayez l’impression d’agir.

11

Une roue est faite de rayons et de cerceaux cependant, c’est le vide au centre qui lui permet de tourner. Ce que l’on ne possède pas personnellement nous rend mobile et libre.

12

Le rayonnement du soleil nous empêche de voir les étoiles lointaines. La trompette enterre le chant des oiseaux. Se retirer dans le silence de la nuit, c’est accéder à la Présence.

13

Chance et malchance[1] honneur et humiliation tricotent nos vies plus librement si on ne s’agrippe pas à aucun d’eux.

Aussi, il ne faut pas confier le pouvoir à celui qui préfère l’honneur ni à celui qui préfère l’humiliation.

14

Lorsqu’on ramasse une petite pierre brillante, On ne voit plus la montagne sur laquelle on marche ni les nuages au-dessus de notre tête.

15

Le pied hésitant comme celui qui marche en hiver sur la fine glace d’un lac, simple comme un morceau de bois jamais utilisé, ouvert comme l’entrée d’une vallée, le sage est indiscernable, pourtant, la laine se démêle sous ses doigts sans même qu’il en connaisse le secret.

16

Ancré dans la source le sage voit tout partir et tout revenir sans s’occuper des humeurs changeantes de chacun.

Il reste au commencement sans avoir quitté la fin.

17

Qui manque de sincérité manque de fidélité. Et qui peut se connaître s’il manque de fidélité!

18

Dès que l’on quitte la source, on devient juste et injuste beau et laid fidèle et infidèle.

19

Rompez avec ce qui est considéré par tout le monde comme étant sage et vous vous en porterez mieux.

20

Tout le monde est insouciant comme à une fête, et moi j’observe la fête comme un nouveau-né qui ouvre les yeux pour la première fois.

21

Si je ressens une Présence elle est imprécise, sans forme déterminée. Si j’ouvre les yeux ou si je palpe l’être qui est là, il a une forme précise et déterminée.

Je peux me fier à la Présence. La forme change à tous les moments.

22

Le roseau fléchit pour ne pas être déraciné. Les racines de l’arbre vont dans les profondeurs pour tenir contre le vent.

Les branches de l’arbre ne capturent jamais un seul oiseau aussi les oiseaux viennent gazouiller librement dans son feuillage.

23

Dans le silence, la musique vient au monde. Une tornade ne dure pas longtemps, une belle journée ne dure pas l’éternité, mais le Ciel et la Terre durent longtemps et la Présence, toujours.

24

Dressé sur la pointe des pieds, on perd l’équilibre. Les jambes formant le grand écart, on ne peut marcher. Qui montre une chose, cache le reste.

25

Les vagues se mêlent, l’eau reste simple. Mon cœur est mêlé, la Présence reste simple.

Rien n’est présent si je ne suis présent à rien. Tout devient présent dès que je suis présent à moi-même.

26

En physique, rien n’est plus léger que la cause du poids. Rien n’est plus immobile que la cause du mouvement. Aussi, rien n’agit autant que de rentrer chez soi.

27

Marcher sur l’eau comme un insecte ne laisse pas de trace.

Chuchote dans une oreille, et la personne croira que les mots sortent de sa bouche.

Ne rejette personne, applique-toi à secourir celui qui cogne à ta porte.

28

Il a la conscience du coq chantant mais il s’assoit comme une poule couveuse.

Il voit tout puisqu’il ne juge rien.

29

Il y a ceux qui vivent parmi les objets qu’ils contrôlent, ils disent : « Je sais ce que je veux ». Malheur à toi s’il t’aime. Préfère qu’ils t’oublient.

Il y a ceux qui voient les dix milles êtres qui ne peuvent être contrôlés, ceux-là vivent sur Terre. Heureux si tu es leur ami.

30

Un sage qui conseille un prince lui fera perdre son royaume, mais en le perdant, il gagnera le respect des êtres libres.

31

De très belles armes font de très grandes victimes.

Tant qu’on honore ceux qui tuent et qu’on humilie les femmes qui donnent naissance, on est écrasé sous le poids des affaires.

32

La Présence n’a pas de nom et donc elle n’a pas de sens, elle n’est pas le moyen de quelque chose. Aussi, tout prend du sens dès qu’on La ressent.

33

On connaît en étudiant et en expérimentant. Mais on comprend dans un éclair.

34

La Présence devient palpable quand l’eau de l’inondation descend.

35

Si quelqu’un détient le symbole de l’être, tout le monde accourt pour l’adorer… en piétinant ce qui est.

36

Si tu veux t’attacher quelqu’un, détache-le. Si tu veux enrichir quelqu’un, dépouille-le de son surplus.

37

La Présence n’agit pas, donc, rien ne se fait sans elle.

38

Celui qui fait le bien doute du bien qu’il fait. Celui qui fait le mal est convaincu de faire le bien.

39

Sans la lumière, le monde est aussi irréprochable que le néant. Avec la lumière, le monde mélange le bien et le mal pour faire les différentes couleurs d’arc-en-ciel.

40

Tout ce qui existe possède des caractéristiques, une forme et des couleurs qui changent. Où sont mes racines, moi qui vois tous ces changements comme les changements d’une seule Présence?

41

Un voyant s’interroge sur ce qu’il voit; un aveugle éclate de rire devant la question. Le premier ne heurte jamais ses voisins, Le deuxième se frappe sur tout le monde.

42

La Présence est une et indéchirable alors elle crée les dix mille êtres.

 

43

L’eau est plus forte que les rochers. pleurer est plus sain que s’endurcir.

44

Les pratiques et les rituels, la réputation et les postes prestigieux sont comme les ancres d’une barque, ils rassurent les dormeurs, ils épuisent les rameurs.

45

La Source de la vie est un océan sans limite qui s’engouffre dans l’œil d’un rocher pour rejaillir de l’autre côté, turbulente et vigoureuse.

Elle contrecarre sa propre perfection pour multiplier les formes de la turbulence.

46

Il n’y a pas de pire malheur que d’habiter une maison sans porte ni fenêtre.

47

Il n’est pas nécessaire de faire le tour d’une montagne pour ressentir sa Présence.

48

Le voleur aime augmenter ses bagages. Le voyageur aime les diminuer surtout lorsqu’il voyage avec les voleurs.

49

Il sourit comme l’enfant nouveau-né.

50

On sort avec la vie, on entre avec la mort, on circule dans la création.

51

La vie fait croître et elle nourrit, elle abrite et elle soigne elle soutient et elle enveloppe.

Laisser s’ouvrir et ne pas éteindre.

52

La Mère originelle montre son visage et garde son secret. On ouvre les yeux pour voir son visage, On ferme les yeux pour voir son secret.

53

Le plancher des palais est de marbre et pas une seule poussière ne s’amuse dans le vent. L’herbe autour du palais est parfaitement tondue et pas un seul légume ne sort du sol.

On regorge de ce qui tue, on manque de ce qui nourrit.

54

Les racines du sage ne peuvent être arrachées il cultive en soi l’authenticité, il cultive dans la famille la générosité, il cultive dans son milieu la prospérité, il cultive dans son pays, l’amour de tous les peuples.

55

Cultiver l’harmonie permet la constance.

56

Qui ne sait rien enseigne, Qui sait peu écoute, Qui connaît apprend.

57

Dans les empires, on enseigne beaucoup on aime les gens conformes et on exécute les gens non conformes. Rien ne peut trouver son équilibre puisque tout est devenu semblable.

58

Un peuple bien orienté, c’est un peuple qui s’épanouit à partir de ses racines.

Un peuple mal gouverné, c’est un peuple qui détruit le monde sans enfreindre aucune loi du gouvernement.

Chez moi, il n’y a pas de voleur parce qu’il n’y a rien à voler.

 

59

Celui qui ressent sa vie dépendre de l’air et de l’eau, ne se laisse jamais enfermer.

Celui qui se croit au-dessus de l’air et de l’eau est déjà sous terre.

60

Gouverner son monde intérieur c’est comme faire cuire des petits poissons : ne pas les retourner avant le temps, ne pas les oublier dans le poêlon.

61

Le pays n’a pas de frontière, ce qui a des frontières n’est pas un pays.

Qui croit défendre son pays, ne défend que sa cour.

62

Les belles paroles font de beaux livres. Les bonnes actions font de belles réputations.

Le sage veille la Présence.

63

Une grande vague a commencé par être une petite vague.

Une grande difficulté a commencé par être une petite difficulté.

Le sage se garde au commencement.

64

On s’affaire à échouer chaque fois que le but viendrait par lui-même. Celui qui ne s’épuise pas à échouer arrive facilement à sa fin.

65

Le sage ne cherche pas à éclairer les gens. Mais il ne les aveugle pas.

66

Qui veut soulever un éléphant, qu’il se place sous lui. Qui veut soulever une foule, qu’il se place sous elle.

Mais, qui veut simplement nourrir un peuple, qu’il cultive son jardin en paix.

67

J’ai un triple trésor : la compassion, la frugalité et l’art d’être parmi les derniers.

68

Les tigres ne peuvent le dévorer, car il n’y a rien en lui à manger. Il remporte la victoire, car il ne cède pas au combat.

69

Respecte ton adversaire. Ne lui cède pas un centime de ta quiétude.

70

La parole du sage est si facile à comprendre, Pourtant, on s’épuise à courir dans tous les sens contraires.

71

Le sage cherche à être atteint par la flèche. Car qui d’autre pourrait la recevoir sans s’effondrer?

72

Le peuple ne craint plus les tyrans, au point que les tyrans n’ont plus de prise sur le peuple : pourquoi?

Parce que le peuple cultive le pays pour se nourrir.

73

Quel que soit le parcours, nous rentrons tous à la maison. Vaste est le filet du Ciel, Rien ne lui échappe.

74

Si un peuple ne craint plus la mort, personne ne peut le gouverner.

Rendez-lui la peur de la mort, et il se gouvernera par lui-même.

Car la peur authentique rend sage, alors que la peur provoquée soumet.

75

Les paysans donnent leur production les hauts placés prennent leur production et le peuple crève de faim.

Le sage n’est plus au service des hauts placés.

76

La force des armes ne donne pas la victoire mais la mort.

77

Celui qui te fait vivre, tu ne le vois pas.

78

Aimez la boue dans laquelle vous pataugez et vous en ferez un jardin. Cherchez un paradis et la terre sous vos pieds se transformera en bourbier.

79

L’apaisement d’une querelle laisse un grief L’amour, lui, laisse un surplus.

80

Les équipements qui multiplient les fruits du travail multiplient aussi les conséquences.

81

Ma parole est simple, c’est pourquoi personne ne la met en pratique.

[1] Les taoïstes racontent souvent ce genre d’histoire : un homme avait un fils. Le fils tombe et se fracture le bras. Quelle malchance! Le lendemain, c’est la conscription et tous les hommes en santé doivent partir à la guerre le jour même. Quelle chance pour le fils! Cependant, la nuit, le feu prend dans la maison et le fils est gravement brûlé! Quelle malchance! Si seulement il était parti avec les autres! Mais, en raison de ses brûlures, il est envoyé dans un hôpital où la plus belle des jeunes filles vient à le guérir et le réclame d’amour. Quelle chance! Et l’histoire continue indéfiniment. Bref pour savoir distinguer la chance et la malchance, il faudrait connaître la fin de l’histoire, ce qui rendrait l’histoire sans intérêt et sans signification. Ce serait une grande malchance!