Le bonheur, Jean Bédard

On ridiculise facilement le bonheur, mais on le fait en parlant du rêve impossible où tout servirait à répondre à nos supposés désirs. Imaginez qu’une machine réponde à tous nos désirs, et que cela nous rende heureux, est effectivement ridicule et même littéralement désastreux. C’est la piste de la consommation, et qui l’a tenté a découvert le traquenard : l’espèce de haut-le-cœur qui ne trompe pas.  Le secret du bonheur se trouve sur une autre piste, le bonheur n’arrive que lorsqu’on se délivre du piège de la consommation.

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Car le rêve ridicule dans lequel nous sommes plongés consiste justement à imaginer que nous sommes une sorte d’animal qui sait ce qu’il désire et qui sait comment y répondre. Mais ce n’est pas le cas. Nous sommes plutôt la victime d’une programmation, nous sommes devenu un animal qui croitconnaître ses désirs, mais ayant perdu contact avec lui-même et contact avec le réel devient comme une roue qui ne touche plus ni à l’intérieur ni à l’extérieur; alors la roue s’emballe, tourne à vide de plus en plus vite jusqu’à ce que le moyeu surchauffe et broie les entrailles. Ça, c’est le cauchemar : tenter de se remplir de ce qui nous vide.

Le bonheur consiste à sortir de ce rêve cauchemardesque et prendre la clef des champs pour voir qui je suis, quand je suis dans la réalité.

Encore là, on rira du mot « réalité », on s’exclamera : « Qu’est-ce que la réalité? » Ma réponse est simple : à la différence d’un camion virtuel, un camion réel peut tuer d’un coup un être qui n’a pas sept points de vie en avance; à la différence d’une patate virtuelle, une patate réelle ne vous laissera pas mourir de faim. À la différence d’un désir imaginé, un désir réel ne vous laisse pas dans le vide : la soif vous conduit à l’eau, la faim vous conduit à la nourriture, la solitude vous conduit à la rencontre, la rencontre vous conduit à l’amour, et vous vivez. Car on ne se connaît qu’en rencontrant un inconnu, et on aime que suite à une rencontre, et on est, du verbe « sentir son être », que lorsqu’on aime.

Le secret du bonheur est simple : sortir d’un mauvais rêve dans lequel notre moi véritable est prisonnier d’un nombril programmé pour entreprendre le chemin menant à la mer, et là, enfin arrivés sur la plage, laisser nos yeux, nos oreilles, notre nez, notre peau prendre racine. C’est pitié de voir tant de gens partir en vacance, sortir du travail en espérant arriver à la mer, mais ils n’y arrivent jamais, ils retournent avec des photos qu’ils ne regarderont même pas.

Le seul guide dont nous disposons pour faire la révolution écosociale, c’est notre bonheur.

Mobiliser vers la démocratie, Jean Bédard

La démocratie n’est pas une idée de la justice appliquée à une idée du peuple, cela, c’est l’axe du pouvoir. Pour l’axe de la conscience, la démocratie est l’aspiration ressentie dans le cœur humain pour rendre la vie réelle chaque jour un peu plus juste, un peu plus durable, un peu plus harmonieuse. La démocratie n’est pas une constitution, un document, mais le combat constant pour rendre la vie plus réellement agréable à tous et pour les générations à venir.

Arbre unique pastel

Pastel de Pierre Lussier

Je le répète, la démocratie est donc un mouvement des consciences et non pas une constitution politique. Les constitutions nationales ne sont que des concessions que le peuple a obtenues sur le pouvoir des armes et de l’argent, des concessions toujours fragiles qu’il faut défendre dans la rue, dans nos comportements, et dans nos œuvres.

Comenius qui a peut-être le mieux exprimé cette aspiration des consciences à la liberté collective proposait quelques conditions pour avancer vers la démocratie universelle :

  1. L’élévation du droit à la vie au-dessus des idéaux;
  2. L’éducation à la liberté responsable contre les tentatives d’endoctrinement;
  3. Le désarmement progressif des personnes, des peuples et des nations en faveur de négociations sans armes;
  4. La séparation et l’indépendance des pouvoirs (législatifs, exécutifs, économiques, informationnels, justiciers, éducatifs, religieux, scientifiques, artistiques…) sous l’égide de collèges de décisions et non de représentants individuels;
  5. La participation de tous, sans discrimination, aux responsabilités et aux décisions;
  6. Le communautarisme sociocratique (comme le pratiquaient les communautés moraves guidées par Coménius bien avant que ce terme ne fasse surface);
  7. L’orientation vers le bien commun et la justice sociale.

Nos démocraties ont encore du chemin à faire.

La tâche est énorme, car il s’agit toujours et encore, de faire passer l’intelligence adaptative au-dessus du pouvoir des armes, de l’argent et de la manipulation.

Il faut prendre conscience qu’il n’y aura pas de changement significatif vers l’écologie tant que nos démocraties resteront prises en otage par le capitalisme devenu transcendant.

Une résistance à long terme

Le combat pacifique pour un changement de civilisation, donc un changement dans nos rapports entre nous, humains et vis-à-vis de la nature, sera un long et dur combat. Il y aura des polarisations, des guerres civiles larvées ou explosives, des mouvements de fortes répressions, des avancées, des promesses technologiques décevantes ou carrément aggravantes… Je ne suis pas prophète, mais philosophe de l’histoire des idées et des civilisations, et je ne vois pas pourquoi, avec les structures, les armes et les instruments de puissance que nous avons, nous pourrions faire moins de marmelade que nos prédécesseurs.Sigle de la ferme Sageterre

Aussi, j’encourage une forme de résistance capable de survivre à un long siège. La clef : la communauté ouverte et militante;

  • organisée si possible en FUSA pour éviter les enjeux d’intérêts de propriétaires;
  • visant l’autosuffisance en complémentarité avec les autres groupes résistants;
  • dirigée en sociocratie (démocratie appliquée à des petits groupes qui se connaissent) ;
  • travaillant dans l’égalité et la collaboration femme-homme;
  • cherchant et pratiquant honnêtement l’agriculture écologique (urbaine ou rurale);
  • évitant l’assimilation à des idéologies dominantes (y compris des idéologies écologistes à la mode);
  • luttant contre l’injustice sociale;
  • permettant l’intégration des personnes vulnérables;
  • aimant et encourageant des initiatives toutes différentes que la sienne…

Bref, mon épouse et moi avons fondé une de ces communautés dans la plus grande espérance de faire partie du « nouveau monde ».

Briser le clivage homme-femme, Jean Bédard

On manifeste contre le racisme, la réduction de l’immigrant à sa seule fonction économique, l’exclusion des minorités dites « sexuelles » (quelle curieuse réduction), etc. Mais l’exclusion n’a qu’un seul principe, la peur de « l’étrange », c’est-à-dire de celui que l’on ne peut réduire à soi.

Le chat qui avale la souris transforme la souris en chat (en lui-même) dans son système d’assimilation des nutriments. Accepter l’autre, c’est-à-dire celui qui nous apparaît résister à l’assimilation, c’est aller en sens contraire du prédateur, c’est vouloir coopérer d’égal à égal avec l’autre justement parce qu’il est autre, et donc, possède des richesses que je n’ai pas.

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Portrait réalisé par Pierre Lussier

Dans l’histoire des civilisations de la domination, l’exclusion la plus généralisée, fut et est encore celle des femmes. Les femmes ont été assimilées (dès l’antique Code d’Hammourabi ou la Loi des douze de Rome) à l’esclave (une possession). Il ne faut pas l’oublier. Dans nos sociétés patriarcales, la femme est l’archétype de l’exclu. Et la raison de départ venait de ce que sa force créatrice faisait peur etenvie.

C’est pourquoi la lutte pour l’égalité de statut entre hommes et femmes doit comprendre l’art de la coopération entre les êtres différents et semblables. Elle ne doit pas ressembler à une assimilation des femmes à une économie, une politique, une société qui reste encore presque complètement machiste. Sinon l’égalité n’est plus qu’une forme d’assimilation.

Le mouvement d’égalité des femmes pour une meilleure collaboration devant mener à un changement social réel doit rester le phare, la lutte qui éclaire les autres luttes contre l’exclusion et l’assimilation.

La résistance pacifique, Jean Bédard

Le principe de la violence est assez simple à comprendre. Voici la version anthropologique. Il y a environ dix mille ans, certains peuples ont développé une agriculture d’engrangement (par exemple du grain), des moyens pour cette production (souvent le métal), un communautarisme et une spiritualité en cohérence avec la sédentarisation. Le problème, c’est que cela concentre la richesse (dans le grain) et une « main-d’œuvre » à un même endroit.

Pour les tribus voisines, la tentation devient forte de transformer le métal en armes et de simplement piller, remportant ainsi le produit et les producteurs (devenus esclaves). De cette manière sont nées la conquête, les empires, l’histoire de la violence tribale jusqu’à la violence nationale, et de la violence nationale jusqu’à la violence économique mondiale. La forme s’est sophistiquée, mais le principe reste le même : abuser de la force pour surexploiter des ressources naturelles et humaines.

La grande histoire de la violence qui s’ensuit est si extrême, mais si continue et incorporée dans nos cultures, si glorifiée dans nos livres que l’être humain a fini par s’interpréter lui-même comme son propre prédateur embarqué dans l’enfer de sa propre autodomination auquel il ne peut échapper. Tout doit être vu comme une fatalité, tout doit être mécanisé comme la Bourse, le marché, la bureaucratie…

Alors, comment contrer cette violence devenue apparemment nécessaire? Si le peuple (ou le groupe) surexploité prend les armes pour se défendre, c’est la révolte, la répression ou la guerre. Et l’histoire continue. S’il rend les armes, c’est la continuation de la surexploitation. Et l’histoire continue. Que peut-il faire pour changer le jeu?

Lao-tseu, Bouddha, Jésus, Gandhi, en fait, l’histoire de la sagesse constitue une tentative pour répondre à cette question. Car si une sagesse ne peut y répondre, en quoi est-elle sage?

La réponse unanime : la résistance pacifique. Elle a fini par faire avancer l’humanité vers plus de sensibilité et plus de démocratie. Nous reviendrons sur l’espérance de démocratie qui est loin d’être réalisée, car le combat pacifique pour y arriver commence à peine.

Diaglogue des arbres, Pierre lussier

Fusain de Pierre Lussier

Cependant, chez les fondateurs de la résistance pacifique, tout l’enjeu consiste à surmonter la peur, la peur du marquage, de l’emprisonnement, de la torture et de la mort. C’est encore le cas.

La résistance pacifique suppose une détermination qui transcende cette peur, car il faut être capable de se soustraire à la soumission en solidarité, et cela va enclencher à coup sûr la répression. L’esclave qui refuse de se soumettre est un mort. Mais si sa mort inspire dix mille esclaves qui refusent de se soumettre, l’étincelle du changement vient d’allumer. Grâce à la solidarité, le mouvement porte, on ne pourra pas tuer tous les résistants sans mettre en ruine la sainte économie.

Bref, transcender la peur de la mort apparaît comme l’arme absolue contre les armes : tu peux me tuer, mais je ne ferai pas ce que tu veux. La mitraillette ne peut rien contre une telle volonté. Ce n’est pas l’arme, si énorme soit-elle, qui a de la puissance, mais la peur qu’elle impose. Le char d’assaut recule devant une seule personne prête à mourir si une caméra met en haleine des millions de personnes prêtes à la grève générale.

Sauf que… Et tout est là, le fanatisme, encore bien plus facilement que la sagesse, inhibe la peur de la mort. Et le fanatique peut inspirer à la violence encore mieux que personne. Un pur inconscient fanatisé ou embrigadé dans une idéologie (et l’économie néolibérale est une idéologie) peut se tuer au travail, à la guerre ou dans un mouvement d’enragement collectif.

À l’opposé, un pur conscient comme Gandhi tenant à la vie peut, malgré tout, jeûner jusqu’à ce que mort s’ensuive s’il le faut. Il aura tout fait pour ne pas devenir « martyr », mais si les circonstances le pousse à cette extrémité de la résistance pacifique, il le fera.

Tout l’art de la sagesse consiste à distinguer le fanatique et le sage, car le premier aggrave la violence, l’autre finira par la contrer. Dans le premier cas, le courage est un simple coup de rage, un déni de la mort qui peut aller jusqu’à ne plus ressentir la souffrance et l’angoisse ni pour soi-même ni pour les autres. Dans l’autre cas, au contraire, la sensibilité à soi et aux autres le conduit à l’amouret l’amour vécu concrètement l’emporte sur la peur pleinement ressentie.

Dès que cette règle de la lutte non violente n’a pas été respectée, les meilleures révolutions ont simplement produit un changement de dictateur ou de dictature, aucun changement dans la structure du pouvoir. Et l’histoire de la violence continue.

Personnellement, dans le combat vers la démocratie et l’humanisation, je n’ai pas trouvé mieux que la conscience menant à l’amour et à un amour qui peut aller au don de soi, non pas dans le déni de la souffrance et de la mort, mais au contraire, dans l’augmentation de la sensibilité jusqu’à ce que la sensibilité aux autres l’emporte sur la peur. Je suis en route vers cette accomplissement, débutant, mais plein d’espérance.

Ne jamais se soumettre, Jean Bédard

Lorsque Gandhi demanda aux Indiens d’apporter leurs vêtements britanniques pour en faire un grand feu de joie, il appliquait le principe de non-soumission à la consommation. Aujourd’hui l’enjeu est de taille et pratiquement inapplicable. Quel citoyen cohérent pourrait se débrouiller un mois ou deux sans consommer un seul produit injuste : injuste parce que destructeur de l’écologie, injuste parce que son bas prix vient de la surexploitation de travailleurs, injuste parce que son transport est trop polluant, injuste parce qu’il résulte de capitaux investis dans des industries polluantes… C’est le découragement assuré.

La plus grande angoisse vient de la connaissance d’un problème vis-à-vis duquel nous nous sentons impuissants.

Dans le contexte actuel, ne jamais se soumettre, c’est choisir un ou deux vecteurs de cohérence (l’alimentation, le vêtement, le transport, récupération…) et en faire assez pour y trouver une certaine satisfaction.

Du point de vue collectif, Gandhi a misé sur les vêtements anglais. Il a identifié une cible précise. Sinon, l’action se disperse. La cible collective la plus logique en ce moment est sans doute le pétrole. Un Québec sans pétrole, c’est possible et bien plus qu’on ne le croit.

Pour forcer le changement, la demande doit commander l’offre. Il suffit probablement de réduire de 50% chacun sa consommation directe et indirecte de pétrole pour décourager les investisseurs. Le capital est le point fort de l’industrie, mais c’est aussi son tendon d’Achille. L’investisseur veut des profits prévisibles : le pétrole, il s’en fout, donc dès qu’il craint pour son profit, il mise ailleurs. C’est sur cet égotisme institutionnalisé que repose notre pouvoir. Car rien n’est plus facile que de prévoir le comportement du spéculateur.

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Une révolution sans violence, Jean Bédard

Au Brésil, le président Jair Bolsonaro représente à merveille la polarisation qu’entraîne l’homme de pouvoir lorsqu’il joue, sans complexe, toutes les cartes du pouvoir : armes, argent, médias, idéologie (dans le cas Bolsonaro au Brésil, le fameux slogan bBb : balles, Bible, bœufs).

Il s’agit en premier lieu de galvaniser une minorité suffisante (entre 30 et 40% suffit) :

  • en donnant du crédit à leurs plus inavouables préjugés;
  • en leur accordant d’importants privilèges (le port des armes, l’élimination de contraintes environnementales…);
  • par un appel à « l’ordre » public qui nécessite, selon eux, une police et une armée brutales;
  • par le redressement moral, c’est-à-dire le retour aux valeurs conservatrices (proscription de l’avortement, relégation des femmes au domaine privé…);
  • en encourageant la haine de l’autre (les migrants, les marginaux, les homosexuels… );
  • par la répression de tous ceux qui menacent l’autorité et l’immunité du chef unique.

Autant, l’homme de pouvoir unit une minorité qui lui est favorable, autant il divise ceux qui ne sont pas pour lui : la majorité aux multiples opinions qui recherchent habituellement des voies mitoyennes, l’équilibre, l’amélioration progressive des conditions de vie, un certain respect de l’écologie… Ce travail de division de la majorité est facile : il suffit de braquer la classe moyenne contre les pauvres (ce sont eux, évidemment, qui dévorent le budget et font augmenter les taxes), de pointer du doigt le laxisme de la gauche morale (qui met en liberté des tueurs), de monter les nationalistes contre les mondialistes, d’accuser les écologistes de vouloir nous ramener à l’âge de pierre, etc.

Cette polarisation permet à une minorité unie de l’emporter sur la majorité divisée. C’est la faille principale de nos démocraties beaucoup trop vulnérables à la manipulation de l’opinion par des pouvoirs financiers et politiques.

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Cette stratégie fonctionne encore mieux lorsque la société se sent menacée. Qu’on ait peur d’une pandémie, d’une terrible crise économique ou d’une crise climatique épouvantable, toute peur favorise la polarisation des opinions. Dans le passé, ces polarisations ont été le moteur des révolutions violentes et des répressions encore plus violentes. Peut-on trouver la voie d’une montée de la conscience qui évite l’escalade de la violence?

Dans ma jeunesse, la crainte de participer malgré moi à une « révolution » poussant devant elle une « contre-révolution » menant à un régime de terreur qui sera inévitablement remplacé par un autre régime de terreur m’a beaucoup fait réfléchir. Cette menace, omniprésente dans l’histoire, a fait déraper les meilleures intentions (par exemple, entre les intentions de Victor Hugo et la Terreur de Robespierre, on passe de la plus grande espérance aux pires violences) . Cela m’a conduit à rechercher l’action conséquente plutôt que le militantisme critique.

Dans le cas de l’écologie, l’action conséquence consiste de pratiquer l’écologie davantage que de manifester contre ceci ou cela (ce qui n’empêche pas de manifester). Je me suis rendu compte qu’il est pas mal plus facile de réclamer des changements pour les autres que de changer soi-même, et qu’il est très difficile de trouver concrètement un chemin pour la vie écologique.

Personnellement, il me fallait traverser un changement intérieur loin d’être terminé, car seule une mutation de ma vie la plus intime pouvait me permettre de découvrir la joie d’une vie harmonieuse avec la nature. Sinon, la vie écologique devient une sorte de moral austère, négative, une discipline du comportement et cela nous amène à devenir le juge des autres, à devenir des dénonciateurs (un des pires poisons sociaux).

Ma lecture de l’évolution des civilisations m’a poussé vers une question en apparence insoluble : comment contrer la violence?  En effet, la violence force à la violence. Devant les armes, comment faire? Si on se soumet, nous devenons nous-mêmes une force de travail dans la machine de surexploitation de la nature et des hommes; si on combat directement l’homme de pouvoir, un jour ou l’autre, on est acculé à prendre des armes similaires aux siennes.

La seule porte de sortie consiste à miser sur la conscience, car le fondement de la violence réside dans la non-pensée, l’automatisme, la programmation, la bureaucratie, le somnambulisme collectif… Cependant, la conscience chemine de désillusion en désillusion, elle connaît presque toujours des moments désespérants. La conscience positive arrive au bout d’une longue démarche de conscience négative. Durant la transition, la peur et le désespoir favorisent la révolte de celui qui n’a rien à perdre. C’est là que la révolution devient violente et que la terreur remplace la terreur.

Le militant doit faire la longue traversée vers l’action conséquente, c’est-à-dire qu’il doit devenir responsable de lui-même, soucieux de congruence avec ses valeurs, vivant dans le dialogue plutôt que dans la rupture, plus occupé à faire un monde meilleur qu’à combattre un monde qui court à sa perte.