Gandhi devant Poutine 2

Qui forcera le Bloc dit « de la démocratie » et le Bloc dit « communiste » à négocier la paix en Ukraine ?

Dans une négociation de guerre, celui qui l’emporte force la négociation de l’autre, et ce qu’il a emporté par violence, il le garde. C’est un peu comme un vol à main armée : j’ai pris ta maison, donc j’ai prouvé que je pouvais prendre le reste, alors négocions maintenant ton garage. Si la guerre est telle que l’attaquant n’emporte rien et que l’attaqué n’a pas envahi l’attaquant, la négociation peut donner un traité de paix jusqu’à ce que l’un se sente plus fort que l’autre. Si une force bien supérieure à l’attaquant peut intimider l’attaquant, cette force peut forcer une négociation comme cela est arrivé après la Guerre de six jours entre Israël et l’Égypte. On le voit, la loi de la force est au-dessus de la justice tant qu’il n’y a pas de force de justice supérieure aux forces des belligérants. À l’intérieur d’une nation, la police, l’armée, le ministère de la Justice peuvent faire régner la paix par la force s’ils disposent d’une force suffisante, sinon, c’est la violence horizontale ou ls guerre civile.

Gandhi

Bref, dans l’histoire d’une humanité qui tente de civiliser sa violence, nous n’avons pas encore atteint le stade d’un « État de droit international » fondé sur la justice et non sur la force. La force prime toujours. Par « État de droit international », il faut entendre un état de l’intelligence et de la conscience collectives qui serait fondé sur un principe autre que « la force des armes contraignant l’obéissance ». Y a-t-il quelque chose dans l’être humain qui lui permet de refuser de se soumettre à une puissance de mort, de terreur et de torture? Est-ce seulement possible d’y arriver? Comment le droit (la conscience de la justice) pourrait-il s’imposer sur la force sans jamais utiliser les armes ni menacer de les utiliser?

C’est là où Gandhi a changé la donne. Il a rassemblé assez de conscience collective autour de son « autorité morale » pour que la volonté de justice impose à la Grande-Bretagne de libérer les Indes. Son « arme »: la résistance pacifique, la menace d’une désobéissance civile coordonnée à très grande échelle. Évidemment, globalement l’humanité n’en était pas là, la force a repris immédiatement le contrôle, mais, pour un moment, les consciences ont entrevu ce que pourrait être le principe d’une paix mondiale. Les cyniques diront que c’est encore une force au même titre que les armes. S’ils ont raison, alors, il n’y a plus d’espoir pour l’être humain, car la force brute nous détruira tôt ou tard, soit directement soit à travers une crise de l’environnement qui nous emportera.

L’humanité est l’espoir que l’intelligence consciente finisse par transcender l’assujettissement aveugle à la peur qu’imposent les armes. Et la voie de Gandhi est la seule possible. C’est pourquoi l’espoir, et le seul espoir est d’éveiller une société civile transcendante au nationalisme, aux religions, aux races, au patriarcat qui soit capable d’une désobéissance à grande échelle et donc capable de sacrifier tout privilège indu pour élever la justice au-dessus de la force.

Un pacifiste est celui qui place la justice au-dessus de la force en y sacrifiant tous ses privilèges afin de gagner l’autorité morale nécessaire pour rassembler ne serait-ce que quelques personnes éclairées par l’amour de la justice, « l’amour de l’autre comme soi-même ». Une élévation au-dessus de la peur. Il faut donc avoir fait l’expérience que l’amour apporte un état de plénitude dans la conscience qui transcende la peur.

Gandhi devant Poutine

Max Windisch m’a écrit : « Je viens de finir la lecture de Sur la route des grandes sagesses. Je repensais à Gandhi… Saurait-on reproduire ce genre de miracle?… Il existe une réalité hors du monde… l’unique intermédiaire par lequel le bien puisse descendre de chez elle au milieu des hommes, ce sont ceux qui ont leur attention et leur amour tournés vers elle. »

Pourquoi le seul moyen d’éradiquer la guerre est-il de produire la paix?

Michel Casavan

En physique, il existe une grande loi qu’on appelle la « thermodynamique ». On peut la traduire ainsi : construire une ville demande de la conscience, de l’attention, de l’intelligence, du travail; cessez ce travail et la ville tombe en ruines. Après avoir fait quelque chose, si on ne fait rien pour l’entretenir, cette chose se dégrade par le seul passage du temps. Tous les jours, on remarque que faire du ménage est un effort, une série d’actes, alors que le désordre semble se faire tout seul.

Lorsqu’on voit la ville de Marioupol en Ukraine avant la guerre et après la guerre, on remarque que la guerre n’a fait qu’accélérer cette loi de la thermodynamique que l’on nomme « entropie ». Ce qui aurait pris deux siècles d’inaction s’est fait en quelques jours. La guerre n’est pas un acte de la conscience, ni de l’attention, c’est un laisser-aller face aux forces inconscientes, c’est de la dégradation mentale, du ressentiment qu’on a laissé accumuler, puis laissé exploser.

La paix au contraire est un acte qu’il faut refaire comme le ménage, ou l’entretien d’une ville, un travail de tous les jours contre la dégradation. Tout le monde a expérimenté que produire une solution constructive est un travail, alors que blâmer, dénigrer, partager des ouï-dire n’est qu’un laisser-aller. On a tous découvert un jour qu’entretenir la joie dans sa famille est un effort, un travail qui demande beaucoup d’attention, alors que si on laisse tomber, la tristesse, les idées sombres et l’agressivité reviennent. Le bonheur est une œuvre d’art à recommencer chaque jour. Quel amoureux ne sait pas que l’amour exige des actions, sinon, il se dégrade. Une dépression vient de ce que l’énergie pour entretenir l’amour, la joie, le bonheur est tombée. Il faut recharger nos batteries solaires, faire l’effort minimum pour exposer notre conscience à la lumière, par exemple : lire du Félix Leclerc assis sur un banc de neige face au soleil.

Ce qui est surprenant, ce n’est pas la guerre : la haine n’est qu’une explosion entropique. On peut détruire le monde par simple soumission aux conditionnements de la pensée. La pollution, le réchauffement climatique sont de simples abandons à de tels conditionnements. Non! ce qui me surprend, c’est le fait d’honorer les victimes de l’inconscience collective, plus précisément, ceux qui sont le miroir entre leur dérèglement traumatique et ceux de leur population. Ils n’ont pas besoin d’admiration, mais de soins psychiatriques en milieu fermé.

Pour avancer calmement dans la paix, la sérénité et l’amour, sans arme, en direction d’un fusil ou d’un tortionnaire afin que soit vu un moment ce que serait le monde si une partie significative de sa population vivait activement en paix, oui! pour marcher ainsi en paix, il faut une vie consacrée à l’exercice de la conscience dans toutes ses dimensions. J’honore les femmes et les hommes qui travaillent en ce moment à faire la paix. Je tourne vers eux mon attention. Un jour, chaque ébranlement de la folie trouvera devant lui une procession de gens de paix. 

Le paradoxe de la paix

Augustin disait que le mal est l’absence du bien, peut-on dire que la guerre soit l’absence de la paix? Siddharta, ancien prince guerrier, en était convaincu, ce serait même l’essence du bouddhisme : fomenter la paix pour qu’il n’y ait plus de place pour la guerre. Mon roman Sur la route des grandes sagesses nous introduit charnellement à cette recherche d’homéostasie et de dépassement de soi qu’est la paix.

Aquarelle de Maryse Gagnon

Ici je voudrais me concentrer uniquement sur le paradoxe de la paix conçu comme une sorte d’inondation des moteurs de la guerre qui les rend inopérant. Dans les blogues subséquents, nous tenterons de dénouer ce paradoxe.

  • Faire entrer la paix en soi jusqu’à la quiétude parfaite produit un tel bonheur que la personne atteinte de paix risque d’abandonner le monde politique et économique aux rapports de forces (le samsara : cycle des existences conditionnées soumises au malheur et aux conflits par éloignement de soi et de la nature).
  • Tenter de faire entrer la paix dans une collectivité hyper-conditionnée est un tel défi qu’il n’est presque pas possible de s’y consacrer sans perdre la paix intérieure. Le malheur du « pacifiste agressif ».

Malgré ce paradoxe, et peut-être à cause de lui, peut-on appeler « sage » un être qui a échoué à réconcilier ces deux dimensions de la paix :  intérieure et extérieure?

La difficulté de conciliation ne vient pas de ce que la paix intérieure diffère de la paix extérieure (collective), au contraire les deux partagent les mêmes exigences :

  • faire en sorte que la vie et la conscience des êtres ainsi que leur libération soient la finalité de la vie sur terre et non un moyen pour répondre à un moyen dans une roue de conditionnements sans fin;
  • faire en sorte que les besoins essentiels (au contraire des besoins et des désirs conditionnés) soient répondus dans un équilibre évolutif et lorsque c’est impossible, qu’ils soient sublimés dans le dépassement de soi, la compassion et l’amour.

Pour cela, tous les besoins vitaux de toutes les consciences doivent être entendus et pris en compte dans la participation de chacun à la paix de tout le monde, bref : la justice et la démocratie véritable.

L’éducation à la libération des conditionnements et à l’exercice responsable de la liberté personnelle et collective est évidemment la clé de cette « démocratie » intérieure et extérieure

La paix ne serait rien d’autre que l’accomplissement (dans le sens de combler) de la conscience personnelle dans la vie collective partagée.

Ce passé qui se retrouve toujours devant soi

Le premier obstacle vers la paix collective est sans doute la naïveté engendrée par la vie superficielle. Tant que nous flottons grisés de confort, nous confondons la paix avec ce confort. On se dit : « Quel prince serait assez fou pour risquer son palais pour plus de soucis? » Pourtant, si une fois, nous avons quitté notre petit palais en nous disant : «  Je vais simplifier ma vie, quitter mon travail et mes habitudes de consommation pour un an. Je vais aller me faire un petit camp dans le bois juste pour répondre à mes besoins essentiels et ainsi trouver une paix qui n’est pas une fuite. » Si j’ai fait cela, alors, sous mes pieds, le sol superficiel s’est ouvert et je suis tombé dans un puits sans fond. J’ai fait l’expérience de l’absolu, non pas l’expérience d’une idée de l’absolu, mais l’expérience de l’absolu qui ne donne aucune prise aux idées. J’ai ressenti l’effroi, le vertige des infinis.

Dans cette expérience, deux routes s’ouvrent :

  • La panique existentielle qui nous pousse à refermer à jamais cette ouverture. Et pour ce faire, il n’y a qu’une possibilité : écrabouiller sa conscience. La personne qui a fait l’expérience de l’absolu ne peut plus se supporter, elle est poursuivie par son expérience : son passé est toujours devant elle comme un trou noir. Pour tuer sa conscience, son meilleur chemin est la cruauté. La cruauté consiste à tenter de se prouver que la conscience (qui a toujours une dimension morale) n’existe pas. Pour y arriver, la personne se dit en elle-même :  » En torturant, en soumettant un autre à l’effroi qui m’habite, il va se décomposer et devenir comme moi, me prouvant ainsi que j’ai raison. S’il résiste à ma cruauté, je le torturerai davantage. » C’est le délire cruel.
  • La confiance existentielle qui me pousse à tenir dans l’expérience de l’absolu comme un bébé. Un bébé n’a pas le choix, il passe de l’homéostasie biologique, au vide et à la dépendance complète vis-à-vis de sa mère. Il ne peut pas dire : « Maman, tu n’es pas assez consistante, j’en veux une autre. » Il fait face à la réalité, il compose sa vie avec sa mère. C’est la route du mystique qui tient le coup face à l’absolu. À un moment, il découvre dans l’absolu le sein nourricier et créateur. Il s’en remplit, et finalement il déborde d’amour et de créativité au point de quitter la forêt pour aimer. Il est équipé pour faire face au délire cruel, car il est délivré de la peur de l’absolu.

On raconte que dans sa jeunesse, le prince Siddharta doit défendre son royaume. Il gagne la guerre. La coutume veut qu’il tue ou enferme à jamais l’attaquant qui a fait preuve de cruauté gratuite. Mais il ne le fait pas, il lui laisse sa liberté, en se disant, il va comprendre, il va reconnaître la valeur de la paix. Ce n’est pas ce qui arrive, au contraire, le prince belliqueux revient en force et il massacre, torture, d’autant massivement qu’il a accru son cheptel de psychopathes. Siddharta arrive sur les lieux du massacre, il est si troublé par l’horreur causée par son erreur de jugement qu’il quitte sa femme, son enfant, son palais pour se jeter dans l’absolu intérieur. Il va en ressortir Bouddha et guider les personnes dans leur affrontement avec l’absolu.

L’enjeu ukrainien est nôtre

Qui a lu même minimalement l’histoire de l’Ukraine (par exemple, à travers le roman extraordinaire de Eli Chekhman, EREV) ressent les souffrances, les déchirements, les combats plus que centenaires qui ont mené à leur miraculeuse démocratie. Pour ceux qui, comme moi, habitent le Québec et le Canada depuis des générations, il est difficile de ressentir la valeur d’une démocratie (même aussi imparfaite que la nôtre). Néanmoins, il me semble qu’une partie significative de notre conscience collective perçoit l’enjeu actuel : il en va de nous que nous puissions ancrer nos démocraties assez profondément pour qu’elles puissent maîtriser une économie de consommation et de profits qui nous mène à notre perte.

Michel Casavant

Mais pour le moment, nous sommes rejetés en arrière, dans le siècle passé. Nous avions cru que la mondialisation de l’économie nous avait fait passer de la guerre militaire à la compétition économique. Je connais le caractère impitoyable du colonialisme économique. Je ne parle pas de cela. L’interdépendance économique est normalement symétrique et réciproque. J’espérais qu’elle nous libère des attaques à coup de missiles parce que de telles attaques seraient devenues exagérément perdantes. Je reste convaincu qu’il s’agit d’une étape nécessaire. Je nourris peu d’illusions sur le désarmement qui ne peut, d’ailleurs, qu’être symétrique. Je serais déjà content si, dans l’équilibre des forces militaires, nous franchissions l’étape que nous avons déjà commencée : l’interdépendance économique mondiale. Nous pourrions y arriver déjà maintenant en utilisant réellement l’arme économique. À quoi nous servirait d’avoir construit cette mondialisation si au moment où il faudrait s’en servir, nous hésitions? Nous devons impérativement couper tous les pipelines de l’attaquant et en même temps valoriser l’art et la culture russes (car humilier un peuple, c’est courir après la guerre). Une fois la guerre terminée, renforcer encore davantage l’interdépendance économique de sorte qu’une attaque entraîne une défense économique rapide et insurmontable.

Le risque immédiat, c’est que, n’ayant pas le courage de payer le prix d’une telle rupture de lien économique, nous embarquions dans une guerre conventionnelle plus ou moins mondiale. Encore là, seule la société civile peut réagir et forcer les gouvernements démocratiques à user de toutes les armes économiques possibles plutôt que contre-attaquer militairement. Une règle cependant doit être respectée : si la population de l’attaquant en vient à souffrir dans ses besoins vitaux, s’assurer d’une aide humanitaire directe.

Dans les prochains blogues, je voudrais me concentrer sur ce qui n’est pas assez abordé : c’est bien de vouloir freiner la guerre militaire par la guerre économique, mais cela ne nous fera pas traverser tout un siècle, nous devons arriver à la paix, or l’absence de guerre n’est pas la paix. La paix, nous ne la connaissons pas; si nous la connaissions, elle s’infiltrerait comme de l’air frais dans le monde social, politique, économique; elle prendrait toute la place et il n’y en aurait plus pour la guerre, même pas pour cette guerre contre la nature qui risque de nous emporter.