Les montagnes afghanes

Yvon Rivard écrit sur son Facebook  :

Sur la route des grandes sagesses est le roman de Jean Bédard le plus accompli. D’abord parce qu’il s’inscrit dans une longue tradition romanesque du « miroir que l’on promène le long du chemin » (Stendhal). Chemin au sens physique d’un espace habité, traversé par des personnages. Cet espace ici, c’est le désert, la montagne, la vallée, les villes, chaque lieu étant décrit avec précision et beauté, mais surtout associé subtilement à chacune des sagesses ou folies qui s’y enracine. Chemin au sens spirituel du terme, chemin de vie, et, ici, le lecteur de roman est bien servi puisque l’histoire du héros traverse tous ces grands chemins que l’humanité a empruntés pour trouver la sagesse. Enfin, ce roman est parfaitement accompli en ce qu’il parvient à ce que René Girard appelle « la vérité romanesque » qui apparait au héros une fois qu’il a traversé tous les « mensonges romantiques », qu’il a renoncé au désir de tout comprendre, de se distinguer des autres. Tout le roman est ponctué de ces « moments of being », moments de paix et d’accord avec le monde, de consentement à l’être qui nous permet de vivre et de mourir en s’insérant dans tout ce qui nous entoure et nous dépasse. La dernière page de ce roman est l’une des plus belles fins romanesques que je connaisse. Mais pour l’apprécier, il faut cheminer avec Jaïre, sa fille, un âne, dernière version de la sainte trinité selon Jean Bédard. »

Sur la route des grandes sagesse, une citation :

Les pics perçaient le ciel bleu, le vent sifflait dans la vallée du Kalam. Se jetant de haut, des cascades roulaient dans leurs chevelures blanches, de grands charognards guettaient en tourbillonnant dans l’azur, des bouquetins sautaient d’une saillie à une autre sur des falaises vertigineuses. Dans ce paysage, les quatre ânes et les deux moines déplaçaient leurs petites pattes pour avancer vers on ne sait quoi d’invisible. Comment expliquer aux montagnes où l’on va, et pourquoi c’est ailleurs ? N’est-il pas remarquable que le repas est entièrement servi, qu’il y en a bien assez pour tout le monde ! N’est-il pas majestueux ce banquet, et même beaucoup trop grand, et si total qu’on ne peut en couper un seul morceau, il faut tout avaler d’un coup !

Le 16 septembre, le roman sera lancé à la librairie Pauline à Montréal. Plus de détails bientôt.

La plus grande volupté

Sur la route des grandes sagesse, quelques citations :

Cet appel de la nature (désir sexuel), il pouvait se l’avouer, il ne pouvait d’ailleurs que se l’avouer, c’était un aiguillon. Mais une autre volupté montait aussi, beaucoup plus subtile, sucrée et amère, un mélange trop parfait qui devient incontrôlable, auquel on s’abandonne à tout coup, une volupté infiniment secrète et intime qui est la concupiscence absolue, la sève de Satan : la volupté de ne pas avoir le choix, la volupté d’appartenir à un autre et de n’avoir plus qu’à suivre le courant, s’abandonner à l’acte demandé sans lui résister d’aucune façon; la volupté de perdre sa volonté, la volupté de la chute dans le monde des choses, car les choses justement n’ont pas de volonté, et parce qu’elles n’ont pas de volonté, elles existent complètement. Tous les grands prophètes ont senti cette jouissance, n’être plus qu’un instrument de Dieu ou de Satan, qu’importe, devenir une roche qui tombe. Cette délectation ultime, Yaïr ne pouvait pas la reconnaître, mais elle grouillait en lui, elle gagnait sur lui : le plaisir universel de l’obéissance aveugle.

Dire : « Je t’appartiens », et être justifié de tous les crimes, c’est la plus grande griserie de l’homme, elle est universelle, elle est la nourriture de Satan.