Mon petit Bouddha

Le sermon donné à Bénarès par Bouddha

Introduction

Selon la tradition, Bouddha aurait été un prince choyé, préservé de toute souffrance, vivant dans le luxe et la richesse. Mais un jour, il sortit de sa prison dorée et il rencontra un malade, ensuite un vieillard, un peu plus tard un mort et finalement un ascète[1]. Ce fut pour lui un choc. Il voulut trouver un chemin pour se libérer de la souffrance.

Il quitta tous ceux qu’il aimait pour vivre une vie d’ascète. Il y mit tout son cœur, toutes ses forces, toute sa sincérité. Il se rendit compte que l’on peut s’attacher à cette manière de vivre, on peut s’attacher à certaines souffrances. De ce fait, on n’arrive pas à voir clair et à trouver la pleine liberté.

Ne sachant plus où aller, il médita longtemps sous un grand arbre. Et c’est là qu’il se mit à voir clair.

Comme il voyait clair, il voyait la quiétude de la nature : elle reflétait la quiétude de sa propre nature. Sa joie était complète.

Voulant partager le chemin qui l’avait conduit à la clarté du regard et de la pensée, il enseigna à des amis et un jour on écrivit ses enseignements.

Le sermon de Bénarès est considéré comme le premier enseignement de Bouddha et la base de sa sagesse.

Le sermon

Certains plaisirs engendrent le malheur autour de soi.
Certains malheurs engendrent du plaisir chez les hommes cruels.
Mais le malheur n’est jamais une bonne chose ni pour soi ni pour les autres.

Il y a donc deux extrêmes à éviter :
l’attachement aux plaisirs offensifs,
l’attachement aux malheurs offensifs.

Il y a un chemin qui évite ces deux écueils,
et qui par sa quiétude,
engendre un œil inoffensif.
Sans cet œil, on reste aveugle
et l’aveugle se heurte sur les obstacles
en imposant et en s’imposant de la douleur.

Je propose donc le chemin du milieu,
celui qui se glisse entre les obstacles,
celui qui s’ouvre lorsqu’on avance?

La pensée du milieu comprend huit sentiers :

la pensée juste;
l’intention juste;
la parole juste;
l’action juste;
le travail[2] juste;
l’effort juste;
l’attention juste;
la concentration juste.

Ces sentiers engendrent le minimum de souffrance et le maximum de paix.

Suivre quelques-uns de ces sentiers ne suffit pas. Il faut les suivre tous ensemble.

Par la recherche de la pensée juste, j’apprends à penser par moi-même.
Les questions justes engendrent des réponses justes, et les réponses justes engendrent d’autres questions justes, de sorte que la pensée s’élargit, s’approfondit et s’illumine.

Une pensée juste favorise une intention juste. L’intention est juste lorsque le but favorise le maximum de bonheur et le minimum de malheur en soi-même et le plus largement possible autour de soi-même.

L’intention juste favorise la parole juste. La parole est juste lorsqu’elle engendre le maximum de vérité et le minimum de fausseté en soi-même et le plus largement possible autour de soi-même.

Mais toute parole est fausse si elle ne conduit pas à l’action. L’action juste se reconnaît par les souffrances qu’elle évite et par la paix qu’elle produit en soi-même et le plus largement possible autour de soi-même.

Parmi les actions, certaines permettent d’assurer notre subsistance, celle de notre famille, et plus largement, celle de d’autres familles. Ce travail est juste et honorable s’il n’engendre pas de malheur, mais au contraire favorise le plus de bonheur en soi-même et autour de soi-même.

Mais on arrive à l’action juste et au travail juste uniquement par un effort. Sans effort, on n’arrive à rien car la rivière dans laquelle l’homme est plongé descend vers le maximum de souffrances. Cependant, en soi-même, il y a une source qui monte en direction de la quiétude. L’effort juste suit la source montante en évitant d’être entraîné par le courant descendant.

Pour découvrir la source montante, il est nécessaire d’y appliquer un maximum d’attention. Mais l’attention maximum exige la détente maximum.

L’attention est le fruit de la concentration. La concentration juste est un maximum d’orientation vers la source et un minimum de dispersion dans les courants qui descendent.

La concentration favorise la pensée juste et le cercle de l’art de vivre est bouclé. Il tourne sans fin en améliorant le monde.

 

Nous devons l’admettre, tant que nos pensées, nos intentions, nos paroles, nos actions, notre travail, notre attention et notre concentration ne sont pas justes, il y a un surcroit de souffrances dans cette vie, entre autres dans :

la naissance;
la vieillesse;
la maladie;
la mort;
la proximité de ceux que l’on déteste;
la séparation de ceux que l’on aime;
la frustration de ne pas avoir ce que l’on veut.

La naissance est souffrance non pas dans ce qui nait, mais dans ce qui résiste.
La vieillesse est souffrance non pas dans son accomplissement, mais dans ses pertes.
La maladie est souffrance non pas dans son travail de guérison, mais dans notre manque de collaboration.
La mort est souffrance non pas dans la porte qu’elle ouvre, mais dans la porte qu’elle ferme.
La proximité des ennemis est souffrance non dans ce qu’elle peut produire, mais dans ce que nous refusons qu’elle produise.
La séparation de ceux que l’on aime est souffrance non dans ce qu’elle nous apporte, mais dans ce qu’elle nous enlève.
Les frustrations de la vie sont souffrantes non dans ce qu’elles provoquent, mais dans notre entêtement.

Laisser la vie accomplir son travail sans s’accrocher quelque part au milieu du chemin, c’est arriver au maximum d’accomplissement.

S’attacher à ce qui passe, rester détaché de ce qui subsiste, les deux ensemble bloquent le mouvement, font souffrir et embrouillent la vue.

C’est alors que la roue de la souffrance tourne sans fin.

 

On arrive à voir clair en se détachant de ce qui mène au malheur. On arrive à se détacher de ce qui mène au malheur en voyant clair. Car l’œil qui voit s’attache à ce qui subsiste.

Qu’est-ce que se détacher? Un joueur de cithare arrive à produire une musique raffinée lorsque ses doigts sont détachés des cordes et circulent librement. Mais si du même coup, il ne s’attache pas à la source de la musique qui subsiste en lui, sa musique ne vaut rien.

Une personne qui regarde justement accorde une valeur égale à chaque être. Ainsi sa vue se débrouille et elle voit clair. Accorder une valeur égale à chaque être, cela ne veut pas dire accorder une valeur égale à chaque comportement et à chaque forme. Car l’être reste, mais la forme n’existe que dans le changement.

 

Pour se libérer de la souffrance :

Il suffit de penser sans préjugés, avec une intention droite, les paroles vraies à prononcer et les actions adaptées à faire.

Il suffit de répondre aux besoins de base de la vie sans nuire à personne, avec le bon effort, l’attention voulue et la concentration suffisante.

Il suffit de voir clair pour penser sans préjugés, avec une intention droite, les paroles vraies à prononcer et les actions droites à faire.

Il suffit de voir clair pour répondre aux besoins de base de la vie sans nuire à personne, avec le bon effort, l’attention voulue et la concentration suffisante.

Le plus difficile dans ces formules repose dans le « il suffit de ». Car le plus souvent on en fait trop ou on n’en fait pas assez par manque de confiance dans la simplicité du chemin.

 

La vue se débrouille grâce à une manière de penser et de vivre justement. Et plus elle se débrouille moins elle engendre de souffrances. C’est comme un aveugle qui façonne ses yeux pour voir son chemin : plus son œuvre sera bonne, moins il ne heurtera les pierres qui se présenteront sur son chemin et plus il trouvera facilement la nourriture qui s’offrira à lui sur les bords de son chemin.

En simplifiant sa vie, nous pouvons commencer à désirer la paix et à débrouiller nos manières de penser et les autres rubans du chemin.

 

Celui qui souffre constamment et depuis le début ne sait même pas qu’il souffre. Il lui faut un premier pas de confiance dans la quiétude. L’exemple est donc utile. Il facilite ce premier pas. Le reste appartient à la personne.

 

Je te le dis, je suis délivré. Je te le dis, je suis libre. Ce « je » est ton « je », ce « je » est le « je » de toute vérité. Personne ne peut voir à ta place. Mais toi qui vois, tu vois pour tous.

 

Il n’est pas possible de se nourrir convenablement sans cultiver la terre. Il n’est pas possible de vivre convenablement sans cultiver sa pensée, ses intentions, ses paroles, ses actions, les moyens de sa subsistance, son attention et sa concentration. Et cultiver suppose un effort juste. Faire plus, c’est faire trop. Faire moins, ce n’est pas assez.

La souffrance diminuant, on voit mieux. Voyant la réalité au-delà des apparences, la quiétude vient.

Dans la quiétude, la compassion croît, et lorsque la compassion est là, on va partout afin de diminuer les souffrances.

 

Celui qui descend dans le brouillard sans avoir façonné sa vue ajoute aux souffrances. Celui qui descend dans le brouillard alors qu’il a façonné sa vue diminue les souffrances.

 

Tant que je ne voyais pas clair, j’appartenais à ce monde, à ses mœurs, à ses religions, à ses dieux et à ses idoles. J’étais errant, je descendais les courants allègrement.

Quand j’ai vu, j’ai vu que je voyais clair, et je me suis reconnu comme voyant clair.

Celui qui voit ne peut pas enseigner ce qu’il voit mais simplement un des mille chemins menant à la claire vision. On ne doit jamais oublier que ce qui peut s’enseigner par des mots n’est pas digne d’être appris, alors que ce qui est appris s’enseigne de lui-même.

Devant moi, la beauté m’enseigne et je suis ravi.

[1] Un ascète est quelqu’un qui s’impose beaucoup de privation et de souffrance, convaincu que cela l’aide à avancer vers une conscience claire.

[2] Le travail ici se réfère à ce qu’il convient de faire pour subvenir à ses propres besoins et à ceux de sa famille.