Important communiqué de Sageterre

Bonjour aux amis de Sageterre, aux généreux donateurs, au Conseil des fiduciaires, au Conseil d’administration de l’OBNL Sageterre, à toute la communauté de vie Sageterre,

Hier, le 21 décembre 2020 au solstice d’hiver, au moment de la grande conjugaison de Saturne et Jupiter, au minimum de la lumière solaire et au maximum de lumière de nos consciences, après un voyage éclair à Sherbrooke chez une notaire spécialisée, nous sommes entrés fatigués dans une maison qui ne nous appartenait plus, sur une terre qui ne nous appartenait plus, mais appartenaient désormais, non à des personnes, mais à une mission administrée collectivement par un Conseil des fiduciaires qui voit à sa gérance à travers un OBNL selon un modèle de gouvernance participatif qui vient tout juste de terminer son élaboration et qui sera entériné très bientôt par toute la communauté.

Nous nous sommes couchés allégés de nos principales possessions dans la maison de tout le monde et réconfortés par la fidélité de ceux qui nous entourent et qui prennent maintenant charge d’un patrimoine libéré et consacré. 

Nous voilà à l’image de l’éco-humanité qui émerge et prend progressivement conscience qu’elle est responsable d’une planète dont elle n’est absolument pas propriétaire, mais simplement locataire avec tant d’autres espèces. Donc, elle est en devoir de la préserver, de l’améliorer, de l’assister dans son évolution avec et pour la communauté de tous les vivants. Puisse toute cupidité quitter l’être humain! Puisse la responsabilité remplacer l’appropriation pour des profits si peu profitables et si mal partagés!

Marie-Hélène et moi avons constitué un patrimoine libre de toute dette formée d’une ferme et d’une maison à logements : le travail et l’économie de toute une vie. Le 16 septembre 2019 nous avons constitué une Fiducie d’Utilité Sociale Agricole (FUSA). Il a fallu ensuite presque une année et demi de démarche laborieuse, d’un marathon à tortueux obstacles, pour donner ce patrimoine à cette Fiducie. C’est que nos lois ne sont pas faites pour donner, mais pour vendre à profit. Tout don est suspect.

Le coût total de la démarche : 17700,57$

Service de Protec-terre          850,00  $ 
Me Julie Lebreux (notaire)            97,73  $ 
Me Julie Lebreux (notaire)       4 689,83  $ 
Voyage à Granby          400,00  $ 
Évaluation de l’immeuble          919,80  $ 
Me Audrey St-Gelais (notaire)          700,00  $ 
Me Audrey St-Gelais (notaire)       2 125,30  $ 
Me Lise Marquis (notaire)       2 982,41  $ 
Voyage à Sherbrooke          250,00  $ 
Droit de mutation de la terre          872,50  $ 
Double droit de mutation de la maison à logements       3 813,00  $ 
Total     17 700,57  $ 

Merci à nos donateurs, car pour ajouter à toutes les synchronicités, le montant recueilli couvre tout juste les dépenses.

Voilà l’avantage d’une FUSA : parce qu’il est clair de toute dette, parce qu’il est affecté à une mission sociale désintéressée, ce patrimoine est désormais insaisissable. Cinq fiduciaires administrent la ferme sans pouvoir la vendre, la mettre à risque, l’hypothéquer ou modifier sa mission, et ce, à perpétuité. Sageterre est maintenant un bien commun administré en vue du bien commun.

Elle rassemble une communauté de vie, des personnes, des familles qui sont maintenant responsables d’un patrimoine d’une grande valeur et d’une grande beauté en vue d’une mission écologique. Et Marie-Hélène et moi sommes aujourd’hui parmi eux, avec eux, pour apporter nos forces vieillissantes à un projet de transformation intérieure grâce à un ensemble d’engagements paysans, militants, éducatifs, sociaux en vue de participer à l’émergence d’une éco-humanité qui saura faire de même avec le patrimoine Terre. 

Notre solidarité est ouverte, notre constitution nous engage à être constamment traversés par des personnes nouvelles, des pensées nouvelles, des motivations renouvelées, des énergies ajoutées, des projets novateurs, alors bienvenus chez vous à Sageterre.

Bientôt notre modèle de gouvernance pourra être publié. Je crois que vous verrez qu’il est possible d’être gouvernés par des consciences en alerte fraternelle plutôt que par un collectif d’intérêts égocentriques. En tout cas c’est notre pari.

Merci à Protec-terre, merci à la fondation Écho-logie, merci à nos donateurs, merci à ceux qui nous ont supportés, merci à tant de gens et tant de fidélité.

Marie-Hélène Langlais et Jean Bédard

Ce ne sera pas une transition, mais une transformation

Je suis à transformer mes blogues sur l’émergence d’une éco-humanité pour en faire un petit essai, quelque chose qu’on transporte dans une poche comme un petit guide Michelin et qui peut éclairer notre route vers un monde viable. Voici, pour ceux qui ont suivi un peu cette démarche, une conclusion possible de cet essai. 

Peinture de Pierre Lussier

 

Comment cela se passera-t-il?

L’être humain ne trouve pas de solutions tant que le problème n’est pas affectif, c’est-à-dire tant que le problème ne l’affecte pas gravement et personnellement, le plaçant, non seulement en danger de mort, mais surtout en danger de vie, en danger de vivre pleinement, consciemment, fraternellement, ou si voulez, en danger de bonheur. Le bonheur, sa grande peur, parce qu’il suppose l’épanouissement de tout son être y compris le volcan de potentialités qui nous habite tous et qui peut nous transformer en sages ou en fous.

Voyez-vous, l’être humain est plus sujet qu’objet, et c’est assez effrayant. Un objet, on peut le tenir, le palper, l’acheter, le vendre, le mesurer, lui fixer une valeur. Sur ce terrain, un gramme d’or est pas mal plus stable que soixante-dix kilogrammes d’un être humain qui peut disparaître du jour au lendemain.

Bref, si vous êtes un sujet, et espérons que vous l’êtes, en tant qu’objet vous ne valez pas autant qu’une voiture de luxe, mais vous vous éprouvez vous-même, vous ressentez valoir plus que tout, car si vous n’êtes pas là, pleinement présent, pleinement conscient, la voiture de luxe, vous ne la voyez même pas. Vous vous palpez : os et chair ne valent pas cher, mais vous ressentez votre vide intérieur; il a beau être vide, surgissent de lui les sentiments, les pensées, les actions, les œuvres qui transforment le monde et qui donnent de la valeur à tout. Tant que vous faites sortir de vous-même ce que vous pouvez être, ne serait-ce que l’angoisse de vivre, vous êtes, vous jouissez de l’existence, mais que cette source vitale s’affaisse, s’assombrisse, devienne absolument passive, votre vide devient soudain semblable au néant. 

Bienvenu dans la réalité humaine. Vous êtes comme moi, rien et pourtant tout, alors que tous les objets autour de vous sont tout et pourtant rien. Cela veut dire que nous nous ressentons vivre et être, ce sentiment, toutes les cultures le signifient par les mots du bonheur : ressentir l’acte de sa propre existence. Dans un seul moment, oui, tout peut s’écrouler, car ce n’est qu’un sentiment, et pourtant tout renaît de cette source, de notre sang, de nos amours. À quoi servirait de gagner le monde entier, si nous n’étions pas conscients de le posséder? 

D’une manière, nous dépendons de nous-mêmes : cessons toute attention à quoi que ce soit, et nous disparaissons dans le brouillard de notre esprit, car nous sommes chacun un sujet. Mais ce sujet est néanmoins un objet dans le monde des objets, un objet vivant et donc inflammable, écrasable et décomposable, un objet qui dépend de l’air, de l’eau, de la température, de la nourriture, de tout. Comme sujet nous dépendons de nous-mêmes, d’un jaillissement d’attention, de conscience, de pensée, d’actions; comme objet nous dépendons de l’équilibre infiniment précaire d’une petite boule bleue tourbillonnant par miracle à la bonne distance d’une gigantesque bombe à fusion nucléaire appelée Soleil.

En somme, prendre conscience de soi, c’est un peu affolant, et pourtant, il est impossible d’imaginer que l’être humain retrouve son équilibre sans franchir cette étape. La clef d’un changement de mentalité est forcément mentale.

Voici le nœud : bonheur et angoisse oscillent dans le même cratère, l’un pour féconder la terre des valeurs de son espérance, l’autre pour exploser jusqu’à la stratosphère. La cendre retombe pour reverdir la terre, la poussière de nos obsessions décroche de la réalité pour nous envelopper dans son effet de serre. Nous sommes des volcans : des intérieurs qui propulsent à l’extérieur des forces vitales et des forces mortelles. Impossible de séparer les deux. Le plus faux des chemins, et peut-être le seul faux chemin consiste à vouloir séparer le désir du bonheur et l’angoisse de la mort. Cette division consiste en une sorte de mort de l’âme par écartellement. Mais le bonheur créateur qui surgit de l’angoisse, ce genre de bonheur don l’expression est l’art, la science, la philosophie, la spiritualité, voilà la voie de tout volcan qui aspire à devenir une montagne de paix. Pour cela, il faut aller au front, s’affronter soi-même en affrontant le réel. Rien de moins, mais rien de plus.

Cependant, lorsqu’il est en danger de bonheur, en danger d’épanouissement créateur et donc en danger de chute dans son cœur, l’être humain a tendance à paniquer comme lorsqu’on ressent que tout peut changer dans une seule rencontre amoureuse : car l’amour rend fort autant qu’il rend dépendant, il est la conscience de soi embarquée dans le réel du corps et de l’autre.

S’il tombe en état de panique, l’être humain n’examinera pas son esprit, au contraire, il le fuira et le combattra jusqu’au bout, il prendra des mesures pour continuer son entreprise de destruction de lui-même. Par la panique, il perd presque toute capacité de réfléchir. Il a beau s’entourer d’objets en or, en porcelaine ou en marbre, il a beau voyager en première classe à la vitesse du son, il peut boire et manger à en crever, se vautrer dans les antidépresseurs, consommer tous les viscères de la terre, il est tout aussi vide après qu’auparavant. Ne pouvant caresser en lui que de possibles actes d’autocréation qu’il n’a pas le courage de réaliser, il implose d’accablement. 

Mais plus les uns paniqueront, plus les autres s’éveilleront, car, que nous le voulions ou nom, nous sommes solidaires d’une même planète. La désolation que les uns produisent pousse les autres vers de solides réflexes de compensation. Ce que la partie paniquée du monde détruit, l’autre la reconstruit tout autrement. Ce que l’inconscience jette dans le four, la conscience le retire. On peut dire que l’un y va plus fort que l’autre, sûrement! Mais l’autre a de l’avenir : le premier se sera épuisé de folie alors que l’autre continuera son aventure heureuse.

Oui, l’angoisse du bonheur et de la mort forme une très forte et très dangereuse polarisation : certains misent sur la migration dans l’univers virtuel, l’artificialité, le transhumanisme; d’autres achèteront les plus gros pick-up, des yachts fabuleux, des bunkers pour tenir jusqu’à la fin des temps. Cependant, le meilleur surgit toujours à la table d’à côté où se posent les questions de base : « Qu’est-ce que vivre? Qu’est-ce qu’aimer? Comment vivre ensemble, avec la communauté de tous les vivants? » Dès que la conscience se développe, et son développement est irréversible, s’accroît forcément le goût de l’épanouissement de soi, des autres, de la nature, le goût de la vie. Cette croissance se forme à même la chute.

Cette voie n’est pas une route, ni un sentier, ni une bifurcation, ni un lâcher-prise, mais une nécessité autant qu’un engagement libre. L’humanité n’est pas un état de fait, mais une option, oui, une option, mais une option nécessaire à la continuation de notre route. Il faut transformer la pression du négatif en actions de vie. Chaque goutte de pétrole doit devenir une feuille d’arbre, chaque peur du lendemain doit devenir le geste d’aujourd’hui.

Il y aura assurément un nouveau monde, une nouvelle façon de fleurir, car la conscience ne nous quittera jamais puisqu’elle est la vie en marche. Cependant comme toujours, cette révolution sortira de la contradiction et cette contradiction rend l’avenir imprévisible. Il ne s’agit d’ailleurs pas de prévoir, 2050, c’est déjà trop tard, il s’agit de participer, non pas en s’agitant comme une poule à qui on a coupé la tête, mais comme des personnes un peu abasourdies après un cauchemar et qui reprennent peu à peu leur esprit.

L’Ogre tombera par manque de nourriture (il arrivera bien un temps où nous ferons la grève de le nourrir), le Petit Poucet revient déjà, caillou après caillou, dans sa patrie : la vie. 

L’humanité entre dans sa première révolution. 

La révolution néolithique des peuples conquérants n’était pas une révolution, mais un clivage entre le paysan et une société esclavagiste, un clivage interne à chaque société, mais aussi un état de guerre entre les sociétés, et surtout, c’était un clivage entre l’être humain et la nature. S’en est suivie une grande histoire de massacres et de conquêtes, de désertification, de génocides, de pauvreté et de désolation. À l’intérieur de cette histoire, combien de révolutions ont avorté ne réussissant pas à former une humanité unifiée et harmonisée avec la nature. Sans doute était-ce notre parcours d’apprentissage, mais aujourd’hui, le soleil s’acharne de l’intérieur et de l’extérieur pour achever la grande germination de la conscience, il ne relâchera pas son effort, car il tient à nous bien plus que nous tenons à nous-mêmes.

Nous y arriverons, car nous avons la nature pour alliée, elle nous talonne comme pour se débarrasser d’un parasite qui abuse de son statut, mais elle nous pousse en même temps vers plus de conscience, comme toujours elle utilise la nécessité pour engendrer de la liberté, et quand nous serons libres, nous ferons un monde viable.