Avant de vous parler de notre espérance, je voudrais redessiner le fil de notre argumentaire.
D’abord, quelle est la situation climatique actuelle?
L’ère industrielle a augmenté les concentrations des gaz à effet de serre de 146% pour nous amener à une hausse totale de 41% du « forçage radiatif », ce sont les rayons de soleil que nous retournons contre nous.
Mais ce qui inquiète le plus c’est que le réchauffement, lui-même, détraque les systèmes de régulation, c’est-à-dire :
- les courants océaniques qui distribuent la chaleur et absorbent les gaz,
- les immenses territoires de pergélisol qui séquestrent les gaz carboniques,
- les grandes forêts qui retiennent le carbone,
- les glaciers et les couverts de neige qui retournent le rayonnement solaire dans la stratosphère…
… tout cela, le réchauffement le détraque.
Ce qui ajoute encore à l’inquiétude, c’est qu’un être vivant, complexe comme notre écosphère, est aussi sensible aux variations de température qu’un enfant. Avec un réchauffement de 2 degrés Celsius de plus (que la base de -0,40 Celsius de moyenne planétaire calculé en 1850), nous dépassons la zone de réchauffement climatique pour entrer dans la zone de dérèglement climatique; à plus 4 degrés, nous sortons de la zone de dérèglement climatique pour entrer dans la zone de désorganisationclimatique. C’est précisément là où nous nous dirigeons.
C’est comme placer un enfant fiévreux sous des couvertures de laine. À 37,50, on ne s’inquiète pas trop pour l’enfant, à 380, on fait quelque chose, à 38,50, on a touché la température critique, à 390 ou 400 : sans intervention d’urgence, l’enfant meurt. Personne ne peut dire : « Deux degrés, ce n’est pas grave. » Nous sommes actuellement à 2 degrés de l’irréparable…
Mais nous jouons avec le feu d’autres façons. Nous immergeons notre corps dans une atmosphère et une soupe aux milliers de molécules nouvelles (produits de toilette, nettoyeurs, retardateurs de feu, produits de conservation alimentaire, nanoparticules, pesticides, engrais chimiques, aérosols, polluants atmosphériques, eaux contaminées aux hormones…) Nos systèmes immunitaires sont épuisés. Un des signes de cet épuisement : les allergies et notre sensibilité aux pandémies.
Ajoutons que l’explosion démographique n’est pas le fruit du hasard. L’hygiène est en cause, certes, mais il faut surtout tenir compte de la surexploitation d’une grande partie de la main-d’œuvre, cela forme d’énormes poches de pauvreté dans lesquelles se produit justement l’explosion démographique (réflexe social inconscient de se reproduire lorsqu’on se sent menacé). Si vous prenez une population en pleine expansion démographique et que vous lui donnez la sécurité alimentaire, la paix politique, l’éducation des filles, elle se stabilise en une seule génération.
S’il faut ajouter quelque chose, les grandes entreprises chimiques, pharmaceutiques, génomiques, poussées par l’exigence du profit, jouent littéralement avec le feu, ne respectent pas le principe de prudence et jouent aux « apprentis sorciers » si bien que les experts prédisent des échappées, des pandémies nouvelles, ou des monstruosités génétiques.
Bref, nous participons à une crise globale produisant des « catastrophes » de toutes espèces pour nous avertir.
Phénix, l’homme de feu
Pour tenter de conjurer le sort, les Grecs de l’antiquité ont inventé le théâtre. Ils voulaient aider les consciences à voir les conséquences. Au théâtre, on assiste à une théâtralisation qui fait voir afin de désamorcer une tragédie réelle et prévisible.
L’archétype de la tragédie actuelle est sans doute, ici, le Phénix. Quand le Phénix, un oiseau à la gorge d’or, à la houppe fière, aux griffes d’aigle sentait venir sa fin, il construisait un nid de branches et y mettait le feu. Il battait des ailes pour attiser les flammes, la fumée le grisait, et il se consumait lui-même dans une ivresse de fureur. Une fois le nid réduit en cendres, son rejeton sortait de l’œuf, tout frais, tout fragile, obligé d’user d’intelligence, parce qu’enfin conscient de sa vulnérabilité, de sa dépendance vis-à-vis de tout son environnement.
Le Phénix actuel qui enfume nos villes et dérègle notre climat peut être vu comme la théâtralisation d’une fureur qui nous dévore afin d’enfanter notre humanité collective.
Cette théâtralisation, surtout perceptible dans les grandes mégalopoles où la pollution voile le soleil, éveille nos consciences, nous pousse dans le dos vers une porte de sortie que nous pouvons ouvrir ensemble avant que le pire n’arrive.
Je crois que nous assistons à un « heureux dérapage ».
Étant jeune, ma révolte me venait de l’impunité face à l’exploitation extrême des petits salariés, mon père en était un. Les plus pauvres de la rue Alma (Montréal) payaient de leur misère le mode de vie des plus riches de la rue Beaubien. Mais aucune conséquence sur les riches ne pointait à l’horizon, l’impunité totale régnait, au contraire, on récompensait ceux qui écrasaient les petits travailleurs.
Lorsque plus tard, j’ai pris conscience que l’exploitation extrême de la nature n’allait pas se passer de cette manière, que la planète des conséquences allait cette fois rejoindre la planète des causes, que nous ne pourrions pas l’éviter sans nous humaniser, j’avoue que j’étais content : il existe dans la nature, un principe rectificateur.
Cela me rassure. Il y a des lois dans l’univers qui l’emportent sur la loi du marché, la nature semble posséder une aptitude à rectifier les comportements périlleux de ses créatures.
Parlant de COVID-19, Pierre-Alain Lejeune écrivait :
« Ce monde lancé comme un bolide dans sa course folle, ce monde dont nous savions tous qu’il courait à sa perte, mais dont personne ne trouvait le bouton «arrêt d’urgence», cette gigantesque machine a soudainement été stoppée net. »
Une grande leçon pour nous tous : le pouvoir n’est ni dans les armes, ni dans l’argent, ni dans les doctrines, ni dans la publicité, le pouvoir est dans les consciences de tous ceux qui veulent vivre. Cette sortie de l’impuissance, j’en suis convaincu, sera notre bien le plus précieux lorsque l’épidémie se sera apaisée.
Comment nos gouvernements pourront-ils désormais justifier leur inaction devant le péril climatique? Comment les richissimes de ce monde pourront-ils justifier leurs deux mains dans les poches alors même que nous luttions pour notre vie? Nous nous souviendrons que nos démocraties ont tenté quelque chose, mais pas eux.
Cependant, il nous faut aussi approfondir et consolider notre prise de conscience, creuser dans les causes. Certains fumeurs changent leurs habitudes suite à de sérieux avertissements pulmonaires, mais ceux qui n’ont pas pris toute la mesure du risque et surtout ceux qui n’ont pas retrouvé un vrai goût de vivre continueront comme auparavant. On doit non seulement comprendre les causes, mais découvrir pourquoi nous préférons nous tuer au travail et dans la consommation pour le plus grand profit de quelques-uns plutôt que de vivre en paix avec la nature.
Le capitalisme et l’agriculture
Nous avons vu que le capitalisme d’État comme celui de la Chine et le capitalisme des grands monopoles comme celui des États-Unis et de leurs dépendants, l’un autant que l’autre obligent les entreprises, non seulement au profit, mais au plus de profit et que cela les fait dérailler hors de la finalité de l’économie qui devrait être orientée vers le bien commun. Au contraire, cela les pousse à la surexploitation des hommes et de la nature sans tenir compte des conséquences à long terme.
Gabriel nous a donné l’exemple de l’agriculture qui a été détournée de son but : nous nourrir de façon durable grâce à une solide adaptation aux écosystèmes. Au contraire, après avoir dépossédé la paysannerie sur la quasi-totalité de la planète, les terres sont littéralement tuées pour enrichir les plus riches tout en laissant pour compte ceux qui n’ont pas assez d’argent pour se nourrir.
Mais quelle est la cause des causes?
Je crois qu’elle est à rechercher bien avant l’ère industrielle, et elle est profonde. Si dans l’antiquité, les Grecs, les Égyptiens, les Romains ou l’empire des Hans avaient eu nos moyens industriels, ils auraient détraqué le climat bien avant nous, et nous ne serions peut-être pas là pour en parler.
Depuis près de dix mille ans, l’emprise des Empires politiques ou économiques s’est accélérée et occupe actuellement tous les continents. Nos systèmes politiques, économiques, sociaux sont fondés sur la compétition pour qui est le plus habile à profiter des autres et de la nature à leurs détriments. Dans ce genre de culture, profiter des autres et de la nature n’est pas une honte, c’est un honneur. Ce déséquilibre mène nécessairement à toutes sortes de manières de surexploiter les êtres humains et la nature, et cela engendre nécessairement des catastrophes sociales et écologiques.
Malgré un grand nombre d’avertisseurs qui identifiaient clairement les causes et les conséquences, les êtres humains n’ont jamais été capables, jusqu’ici, d’éviter ces catastrophes, et ce, pour une raison très simple et toujours la même :
personne parmi les favorisés ne veut payer le prix, personne ne veut abandonner ses privilèges même si ces privilèges viennent d’injustices graves aux conséquences dramatiques.
Ces privilèges viennent de trois déséquilibres tragiques: la misogynie, la surexploitation de la main-d’oeuvre et celle de la nature. Jamais on ne verra de telles civilisations seulement destructrices de la nature, ou seulement misogynes, ou seulement injustes, elles sont toujours atteintes de ces trois formes d’aveuglement.
Nous portons dans nos structures sociales, économiques et politiques des déséquilibres qui accumulent des conséquences devant nous, tel un mur inéluctable.
Malgré notre science et notre conscience qui les voient s’aggraver, beaucoup refusent de changer de peur de perdre leurs privilèges, et ceux qui en ont beaucoup encore moins que les autres.
Vers vingt et un ans, même si je n’avais pas d’argent, je me suis acheté à crédit une belle moto luisante et bruyante. Sur une pente de gravelle, voilà que je perds le contrôle, un dérapage heureusement sans conséquence. Me relevant et me retournant, qu’est-ce que je vois? De la poussière monter de l’autre côté de la pente, le bruit d’un camion, il fonce sur moi.
Je me précipite au-devant les bras en croix dans l’espoir idiot de sauver ma moto. Le camion réussit à m’éviter. Une fois refroidi, je me suis dit : « Idiot, pourquoi étais-tu prêt à risquer ta vie pour sauver ta bébelle? » J’étais incapable de me synchroniser avec la réalité parce que, inconsciemment, j’étais plus attaché à ma moto qu’à ma vie.
C’est l’image de là où nous en sommes collectivement, nous tenons plus à nos privilèges qu’à la vie.
Si nous tenions vraiment à la vie, nous aurions un ministre du fleuve Saint-Laurent, un autre pour la fertilité des sols, un autre pour la santé de l’atmosphère… Cet attachement nous fait courir au-devant de ce qui nous menace.
Heureusement, ceux qui n’ont rien à perdre finissent toujours par renverser les choses. Hélas! Renverser l’échelle sociale ne rend pas moins injuste les rapports humains.
Il nous faut comprendre, étape par étape, comment nous pouvons entraîner un changement du jeu de la domination plutôt qu’un simple changement de rôles.
Lorsque j’y pense, le chaos climatique et les désordres de la santé qui viennent vers nous ne sont pas la pire chose qui puisse arriver. Le pire, ce serait qu’on puisse les éviter par un tour de passe-passe purement technique, et que la domination et l’injustice continuent.
Mais cela n’arrivera pas, nos techniques sont pour une trop grande part à la solde de ceux qui fabriquent le problème. Pour une part importante, la science s’est détournée du bien commun et sert les intérêts de ceux qui la financent. Il faudra une solidarité mondiale très déterminée pour orienter la science et la technologie vers le bien commun plutôt que vers le profit de quelques-uns.
On ne peut arriver à cela sans une transmutation de nos institutions politiques et économiques, ce qui nécessite une conscience devenue solidaire et agissante.
C’est l’inconscience de nos comportements téléguidés par « le marché » et la publicité, par la mimésis et l’aliénation, qui nous joue des tours.
Sans catastrophe d’envergure mondiale, serons-nous capables de payer le prix du changement, serons-nous capables de :
- refuser l’exploitation et la relégation des femmes;
- refuser d’acheter les produits de l’injustice;
- refuser de travailler à polluer;
- refuser d’emprunter ou d’épargner chez des investisseurs pollueurs…
… afin de forcer le développement d’une véritable démocratie capable de mettre au pas l’économie mondiale, de la mettre au service de la vie?
Pourrons-nous passer à l’étape suivante de la réalisation de notre humanité : l’ère écologique où l’être humain agit comme s’il savait désormais qu’il dépend de la nature?
On le dit et on le sent : nous sommes la première génération à prendre conscience de la nécessité du changement, mais la dernière à pouvoir éviter la grande débâcle.
Voilà mon espérance.
Sageterre n’est qu’une petite ferme en Fiducie d’utilité sociale agricole qui fait partie d’un grand mouvement vers l’ère de l’équilibre écologique et de l’humanisation de nos rapports entre nous et avec la nature.
Ce mouvement :
- favorise le bien commun plutôt que la propriété individuelle;
- la responsabilité plutôt que la facilité;
- la sociocratie plutôt que la compétition;
- l’harmonie avec la nature plutôt que son exploitation;
- l’équilibre des sexes et la culture des différences plutôt que l’homogénéisation vers des valeurs vides;
- la recherche scientifique orientée vers des solutions communes plutôt que vers les profits privés;
- l’agriculture écologique plutôt que la pollution;
- l’intériorité plutôt que la consommation.
On ne peut y arriver que si nous aimons la vie. Nous aimons la vie lorsque nous vivons en harmonie avec la communauté de tous les vivants. L’équilibre avec la nature apporte la paix. La paix intérieure apporte le bien-être et le bien-être, la joie. Et la joie, c’est le goût de vivre, le moteur du changement.
Tel est le cycle du bonheur qui est identique au cycle de la vie.