Petite révision des blogues antérieurs. La question : l’univers est-il une œuvre d’art? Notre hypothèse sur l’art : une source créatrice cherche non pas seulement à communiquer quelque chose, mais à secommuniquer elle-même sans assimiler l’autre à soi ni se faire assimiler par l’autre. Cela nous a amenés à préciser la notion « d’information ». L’information réfléchit la source d’où elle vient et, pourtant, elle produit de l’organisation différente et souvent plus complexe qu’elle-même. C’est qu’il y a interaction entre la source d’information et un récepteur (qui est d’ailleurs lui-même une source). La complexité n’est pas la complication, elle unit un grand nombre d’éléments hétérogènes dans une unité qui apparaît simple pour réaliser des fonctions multiples et poursuivre un développement bien plus large qu’un but, une sorte d’équilibre et de dépassement à la fois interne (avec soi) et externe (avec l’environnement).
L’énergie-information apparaît inséparable d’un organe global de pensée, sinon comment comprendre sa cohérence, sa logique, ses mathématiques? Comment notre pensée pourrait-elle développer une science si notre pensée n’était pas en relation avec une pensée matérialisée devant nous? Je sais qu’il y a bien des contre-hypothèses à ce sujet qui veulent, elles aussi, concilier deux choses :
- le fait que l’univers soit logique, mathématique et appréhensible par notre pensée la plus logique et la plus mathématique
- avec
- avec la sensation que l’univers n’est pas personnel, alors que nous, nous le sommes.
Parce que nous pensons que l’univers est impersonnel alors que nous ne le sommes pas, nous disons que l’univers ne pense pas, il serait de la non-pensée, il serait un objet. Cette idée repose sur le fait que la science ne peut pas faire l’hypothèse du contraire, elle ne peut pas poser l’hypothèse que l’univers est de la pensée, car une telle hypothèse est improuvable en science. Et je suis tout à fait d’accord. La science ne peut s’exercer que sur des objets. Par exemple, même vis-à-vis de l’être humain, elle ne peut étudier, chez lui, uniquement ce qui apparaît objet, car seul un objet est suffisamment déterminé, délimité, défini pour être découpé, analysé, réduit à une série de causes et d’effets. Le scientifique sait bien que l’être humain pense puisqu’il pense, pourtant, lorsqu’il place l’humain devant lui pour l’étudier, celui-ci devient un objet d’étude : il ne pense plus, simplement, il se déroule en lui des chaînes de causalité similaire à un processeur. Le scientifique ne peut pas prouver qu’il pense, puisque c’est le sujet en lui qui pense, alors que ce qu’il pense est toujours transformé en objet de pensée.
Je n’aime pas la pseudo science qui cherche à prouver ce qui n’appartient pas à la science de démontrer. La science doit rester dans son domaine. Mais la science ne peut pas non plus prouver que l’univers ne pense pas. C’est hors de son champ. Cela appartient au monde de la philosophie qui ne peut jamais rien prouver, mais suggérer seulement. On n’est plus dans le domaine de la preuve, mais de la probabilité, trouver plus probable une hypothèse plutôt qu’une autre, la sentir plus satisfaisante pour la raison, mais aussi pour la conscience et pour le sens que cela donne à la réalité, parce que cela apparaît plus près de l’expérience. C’est très subjectif, évidemment, mais il s’agit d’enlever, de purifier le plus possible le sujet qui pense (moi) de tout ce qui pourrait distordre sa pensée. Et ce n’est pas rien.
Cependant, même si, comme moi, un grand nombre de philosophes sont arrivés à l’idée que l’univers est une pensée créatrice qui s’exprime en créant (se transformer soi-même, par soi-même, en soi-même), il n’est pas question d’imaginer qu’il pense comme nous, car c’est lui le génie, pas nous. C’est lui qui nous a faits, nous; nous qui sommes à peine capables d’enfiler quatre ou cinq raisonnements cohérents en tenant compte de trois ou quatre dimensions. Il ne s’agit donc pas d’anthropomorphisme, il ne s’agit pas de projeter notre pensée dans le cosmos, comme s’il était aussi limité que nous. Il s’agit, au contraire, de percevoir qu’il est probable que le cosmos produise ce qui lui ressemble, nous, par exemple, mais à un état embryonnaire, rachitique, primitif.
Comment définir la pensée autrement que par une créativité cohérente, logique et mathématique! L’information est l’acte de « quelque chose » qui est de l’information-informante organisée et organisante (Spinoza parlait de nature-naturante).
Entrons dans cette vision du monde.
Dans la pensée, une possibilité stimule l’imagination à produire la possibilité contraire. On ne peut penser la lumière sans l’ombre (son absence relative). Sinon, il n’y aurait qu’une forme : soit la forme lumière, soit la forme ténèbres, dans les deux cas tout serait statique : une page toute blanche ou une page toute noire. Alors, plus rien n’est pensable. La pensée est bloquée par une pensée unique, blanc ou noir.
Toute création est ainsi, l’histoire du monde comme l’histoire de l’art. Dans la vie réelle comme dans un roman, les personnes et les personnages ont besoin d’une suite d’événements lumineux constructifs et d’une suite d’événements ombreux destructeurs pour se réaliser, sinon, ils restent faux, sans caractère et nébuleux. En vivant ces réalisations, ces suites d’événements se déréalisent derrière nous (elles passent de réelles à souvenirs clairs, puis de souvenirs clairs à souvenirs vagues, puis à une sorte d’imprégnation qui se tapit dans le fond de la mémoire). Cette déréalisation permet une réalisation qui se consolide, nous plongeons le front dans l’opacité du futur. Alors, l’œuvre d’art (la vie ou le roman) fait partie de la suite du monde, elle nous accompagne comme les personnages de Victor Hugo ont accompagné la Révolution française probablement plus réellement que la plupart des politiciens de l’époque. Dit autrement, toute création (la vie comme le roman) est évolutive. Mais bien plus que cela, le roman, qu’il soit écrit ou seulement imaginé, accompagne nos vies, et personne ne peut séparer, sur un côté, le roman de sa vie et sur l’autre, sa vie. Tout ce qui entre dans l’esprit humain est une intrication de la pensée humaine dans la pensée du monde, une intrication de l’imagination humaine dans l’imagination universelle, c’est toujours une composition à multiples acteurs. Comment cela serait-il possible si nous étions autre chose qu’une pensée dans une pensée, une création dans une création, un créateur dans un créateur?
Précisons. Un homme qui fait une action juste fait apparaître une action injuste. Imaginons un maître qui décide de traiter son esclave comme son frère, il fait apparaître aux yeux de tous, l’injustice de l’esclavage. Continuons l’histoire par avancement et recul dans la grande histoire de la justice : la justice se consolide infiniment lentement, par petites actions lucides et courageuses dans la ténébreuse rapacité de la bête humaine. Jamais la justice parfaite ne sera réalisée, car il y a une infinité de manières d’être juste que seules des injustices spécifiques peuvent faire apparaître. Ici, le mot justice n’est pas une idée morale qu’on peut clarifier d’avance, hors des réalisations, hors de l’expérience, au contraire c’est le résultat d’un processus évolutif à travers un combat entre ce qui peut durer parce que adapté et ce qui ne peut pas durer parce qu’inadapté.
La durée ne doit pas s’éteindre dans une perfection statique. Seule la complexification permet un dynamisme durable, c’est-à-dire une dynamique qui ne revient pas parfaitement au même, mais apprend et se stabilise par apprentissage.
La réalisation des possibilités se décide par des affirmations et des négations qui se côtoient, se combattent, se testent l’une par l’autre dans une réalité cosmique qui ne tolère que l’expérience menant au durable, jamais le statique ni le n’importe comment. Durée, ici, ne signifie pas sans changement, mais au contraire, on ne dure que par adaptation, donc dans le maintien des liens d’informations sans être absolument déterminés par ces liens.