La dialectique des ombres

Petite révision des blogues antérieurs. La question : l’univers est-il une œuvre d’art? Notre hypothèse sur l’art : une source créatrice cherche non pas seulement à communiquer quelque chose, mais à secommuniquer elle-même sans assimiler l’autre à soi ni se faire assimiler par l’autre. Cela nous a amenés à préciser la notion « d’information ». L’information réfléchit la source d’où elle vient et, pourtant, elle produit de l’organisation différente et souvent plus complexe qu’elle-même. C’est qu’il y a interaction entre la source d’information et un récepteur (qui est d’ailleurs lui-même une source). La complexité n’est pas la complication, elle unit un grand nombre d’éléments hétérogènes dans une unité qui apparaît simple pour réaliser des fonctions multiples et poursuivre un développement bien plus large qu’un but, une sorte d’équilibre et de dépassement à la fois interne (avec soi) et externe (avec l’environnement).

Fusain de Pierre Lussier

L’énergie-information apparaît inséparable d’un organe global de pensée, sinon comment comprendre sa cohérence, sa logique, ses mathématiques? Comment notre pensée pourrait-elle développer une science si notre pensée n’était pas en relation avec une pensée matérialisée devant nous? Je sais qu’il y a bien des contre-hypothèses à ce sujet qui veulent, elles aussi, concilier deux choses : 

  • le fait que l’univers soit logique, mathématique et appréhensible par notre pensée la plus logique et la plus mathématique 
  • avec 
  • avec la sensation que l’univers n’est pas personnel, alors que nous, nous le sommes. 

Parce que nous pensons que l’univers est impersonnel alors que nous ne le sommes pas, nous disons que l’univers ne pense pas, il serait de la non-pensée, il serait un objet. Cette idée repose sur le fait que la science ne peut pas faire l’hypothèse du contraire, elle ne peut pas poser l’hypothèse que l’univers est de la pensée, car une telle hypothèse est improuvable en science. Et je suis tout à fait d’accord. La science ne peut s’exercer que sur des objets. Par exemple, même vis-à-vis de l’être humain, elle ne peut étudier, chez lui, uniquement ce qui apparaît objet, car seul un objet est suffisamment déterminé, délimité, défini pour être découpé, analysé, réduit à une série de causes et d’effets. Le scientifique sait bien que l’être humain pense puisqu’il pense, pourtant, lorsqu’il place l’humain devant lui pour l’étudier, celui-ci devient un objet d’étude : il ne pense plus, simplement, il se déroule en lui des chaînes de causalité similaire à un processeur. Le scientifique ne peut pas prouver qu’il pense, puisque c’est le sujet en lui qui pense, alors que ce qu’il pense est toujours transformé en objet de pensée.

Je n’aime pas la pseudo science qui cherche à prouver ce qui n’appartient pas à la science de démontrer. La science doit rester dans son domaine. Mais la science ne peut pas non plus prouver que l’univers ne pense pas. C’est hors de son champ. Cela appartient au monde de la philosophie qui ne peut jamais rien prouver, mais suggérer seulement. On n’est plus dans le domaine de la preuve, mais de la probabilité, trouver plus probable une hypothèse plutôt qu’une autre, la sentir plus satisfaisante pour la raison, mais aussi pour la conscience et pour le sens que cela donne à la réalité, parce que cela apparaît plus près de l’expérience. C’est très subjectif, évidemment, mais il s’agit d’enlever, de purifier le plus possible le sujet qui pense (moi) de tout ce qui pourrait distordre sa pensée. Et ce n’est pas rien. 

Cependant, même si, comme moi, un grand nombre de philosophes sont arrivés à l’idée que l’univers est une pensée créatrice qui s’exprime en créant (se transformer soi-même, par soi-même, en soi-même), il n’est pas question d’imaginer qu’il pense comme nous, car c’est lui le génie, pas nous. C’est lui qui nous a faits, nous; nous qui sommes à peine capables d’enfiler quatre ou cinq raisonnements cohérents en tenant compte de trois ou quatre dimensions. Il ne s’agit donc pas d’anthropomorphisme, il ne s’agit pas de projeter notre pensée dans le cosmos, comme s’il était aussi limité que nous. Il s’agit, au contraire, de percevoir qu’il est probable que le cosmos produise ce qui lui ressemble, nous, par exemple, mais à un état embryonnaire, rachitique, primitif.

Comment définir la pensée autrement que par une créativité cohérente, logique et mathématique! L’information est l’acte de « quelque chose » qui est de l’information-informante organisée et organisante (Spinoza parlait de nature-naturante).

Entrons dans cette vision du monde.

Dans la pensée, une possibilité stimule l’imagination à produire la possibilité contraire. On ne peut penser la lumière sans l’ombre (son absence relative). Sinon, il n’y aurait qu’une forme : soit la forme lumière, soit la forme ténèbres, dans les deux cas tout serait statique : une page toute blanche ou une page toute noire. Alors, plus rien n’est pensable. La pensée est bloquée par une pensée unique, blanc ou noir.

Toute création est ainsi, l’histoire du monde comme l’histoire de l’art. Dans la vie réelle comme dans un roman, les personnes et les personnages ont besoin d’une suite d’événements lumineux constructifs et d’une suite d’événements ombreux destructeurs pour se réaliser, sinon, ils restent faux, sans caractère et nébuleux. En vivant ces réalisations, ces suites d’événements se déréalisent derrière nous (elles passent de réelles à souvenirs clairs, puis de souvenirs clairs à souvenirs vagues, puis à une sorte d’imprégnation qui se tapit dans le fond de la mémoire). Cette déréalisation permet une réalisation qui se consolide, nous plongeons le front dans l’opacité du futur. Alors, l’œuvre d’art (la vie ou le roman) fait partie de la suite du monde, elle nous accompagne comme les personnages de Victor Hugo ont accompagné la Révolution française probablement plus réellement que la plupart des politiciens de l’époque. Dit autrement, toute création (la vie comme le roman) est évolutive. Mais bien plus que cela, le roman, qu’il soit écrit ou seulement imaginé, accompagne nos vies, et personne ne peut séparer, sur un côté, le roman de sa vie et sur l’autre, sa vie. Tout ce qui entre dans l’esprit humain est une intrication de la pensée humaine dans la pensée du monde, une intrication de l’imagination humaine dans l’imagination universelle, c’est toujours une composition à multiples acteurs. Comment cela serait-il possible si nous étions autre chose qu’une pensée dans une pensée, une création dans une création, un créateur dans un créateur?

Précisons. Un homme qui fait une action juste fait apparaître une action injuste. Imaginons un maître qui décide de traiter son esclave comme son frère, il fait apparaître aux yeux de tous, l’injustice de l’esclavage. Continuons l’histoire par avancement et recul dans la grande histoire de la justice : la justice se consolide infiniment lentement, par petites actions lucides et courageuses dans la ténébreuse rapacité de la bête humaine. Jamais la justice parfaite ne sera réalisée, car il y a une infinité de manières d’être juste que seules des injustices spécifiques peuvent faire apparaître. Ici, le mot justice n’est pas une idée morale qu’on peut clarifier d’avance, hors des réalisations, hors de l’expérience, au contraire c’est le résultat d’un processus évolutif à travers un combat entre ce qui peut durer parce que adapté et ce qui ne peut pas durer parce qu’inadapté.

La durée ne doit pas s’éteindre dans une perfection statique. Seule la complexification permet un dynamisme durable, c’est-à-dire une dynamique qui ne revient pas parfaitement au même, mais apprend et se stabilise par apprentissage.

La réalisation des possibilités se décide par des affirmations et des négations qui se côtoient, se combattent, se testent l’une par l’autre dans une réalité cosmique qui ne tolère que l’expérience menant au durable, jamais le statique ni le n’importe comment. Durée, ici, ne signifie pas sans changement, mais au contraire, on ne dure que par adaptation, donc dans le maintien des liens d’informations sans être absolument déterminés par ces liens.

La musique de l’être

Répétons la question : l’univers est-t-il une œuvre d’art? Nous poursuivons une première hypothèse : dans l’art, une source créatrice cherche non pas seulement à communiquer quelque chose, mais à secommuniquer elle-même sans assimiler l’autre à soi ni se faire assimiler par l’autre. Cela nous a amené à préciser la notion « d’information », car tout l’univers est, en fait, une énergie-informante, c’est la résultante des grandes avancées scientifiques du XXème siècle.

L’information réfléchit la source d’où elle vient et, pourtant, elle produit de l’organisation différente et généralement plus complexe que ce qu’elle est elle-même. Par exemple, la lumière transporte de l’information à propos du soleil d’où elle provient (sa source) et participe à l’organisation de la vie supercomplexe sur terre. Par spectroscopie de la lumière, on peut en savoir beaucoup sur l’organisations interne du soleil d’où provient cette lumière, et pourtant, cette lumière participe à organiser la vie sur terre, une organisation très différente de ce qui se passe à l’intérieur des soleils d’où vient la lumière et beaucoup plus complexe. C’est comme un auteur, son œuvre nous dit beaucoup de choses sur lui, et pourtant, l’œuvre participe à notre croissance, et nous devenons différents de l’auteur. Il y a interaction entre la source et un récepteur qui est d’ailleurs lui-même une source.

Globalement, l’information ajoute de la complexité. Mais le prix est élevé : plus un système est complexe, plus les échanges d’énergie affaiblissent cette complexité. C’est ce qu’on appelle « entropie » : décomposition progressive des organisations complexes. L’usure. Si notre corps, par exemple, n’avait pas développé d’immenses capacités d’autoréparation, nous ne pourrions jamais vivre assez longtemps pour nous reproduire. Mais complexité n’est pas complication, un système mécanique est compliqué mais il est peu complexe, un système biologique est énormément plus complexe. La complexité unit un grand nombre d’éléments hétérogènes pour réaliser des fonctions toujours multiples et poursuivre un développement bien plus large qu’un but, une sorte d’équilibre et de dépassement interne et externe de diversification. Un brin d’herbe est déjà extrêmement complexe (la complexité des atomes, des molécules, des cellules, de l’organisation des cellules en une unité biologique capable de communication réciproque avec son milieu, d’adaptation, de réparation, de reproduction…).

Mais structurellement de quoi est faite l’information? L’information est faite de rythmes, de battements,d’ondes. Une onde comporte son inversion: la courbe positive est suivie d’une courbe négative, de telle sorte que si la courbe négative est parfaitement identique et synchrone à la courbe positive, les deux s’annulent.

Ondes croisées

Il y a discontinuité à travers les passages à zéro entre le négatif le positif. Si l’information était continuecomme une corde, par exemple, elle ne pourrait transporter d’autres complexités que sa propre substance. Lorsque deux enfants utilisent un fil de fer pour transporter le son entre deux cannettes amplificatrices, c’est le son qui voyage et non le fil tendue entre les deux enfants. Pour transporter de l’information, un support doit pouvoir recevoir et donner une information autre que ce qu’il est

Bref, dans un premier temps, on constate que l’information n’est pas une « substance » au même titre que son support (dans notre exemple, le fil de fer est le support, le son est l’information). On peut même penser que moins le support est une « substance », plus il laisse l’information être ce qu’elle est sans trop la déformer. Le vide est donc un excellent « support » d’information et c’est vraiment une drôle de « substance ». Dans le vide (l’espace-temps sans atomes, ou très peu), la lumière conserve son information sans aucune perte, c’est pourquoi, dans ce cas, l’information ne vieillit pas. Si nous étions une information dans un rayon de lumière lancé dans le vide, pour nous, le temps ne passerait pas.

Cependant, il faut y revenir sans cesse, il ne peut y avoir deux « substances » primordiales, donc, il ne peut pas y avoir « des supports » sur un côté et des « informations » sur l’autre, il ne peut pas non plus y avoir de l’énergie sur un côté et de l’information sur l’autre. On doit imaginer que toute « matière », toute « substance » est de la complexité, de l’énergie-information, sauf que dans le cas d’un quark (particule la plus élémentaire de l’atome), on a affaire à de l’énergie-information complexe en boucle sur elle-même. Et c’est vrai pour toute particule qui est une caillot d’ondes enveloppé d’un paquet d’ondes de probabilité. La grande découverte du XXème siècle, c’est que l’idée qu’on se faisait depuis toujours de la matière n’existe pas. Il n’y a rien qui soit passif et uniquement agité par des forces extérieures, rien qui soit uniquement à un endroit sans avoir une probabilité d’être en même temps ailleurs, il n’y a rien qui n’ait aucune caractéristique ondulatoire. Tout est une onde, mais il y a des ondes bouclées qui s’auto-entretiennent par résonnance et des ondes rayonnantes, qui servent à échanger de l’information.

 image d’un quark.

Ces deux états de l’énergie-information (bouclée et rayonnante) ne peuvent pas être des catégories étanches, il faut pouvoir passer de l’un à l’autre. Rien n’est totalement fermé sur soi-même. On peut dire que dans le monde physique, la communication ne consiste pas à communiquer quelque chose, mais à se communiquer en engendrant, par interactions, de la différence et de la complexité.

Dès le point de départ, il y a un lien instructif entre la nature et l’art. Les deux sont des relations qui n’ont pas de buts spécifiques (il ne s’agit pas de communiquer quelque chose pour arriver à un but défini) et sont créés par relations. Il s’agit toujours de se communiquer sans s’identifier à l’autre ni l’autre à soi, mais au contraire en ajoutant de la différence. Une grande symphonie dont le maestro n’est perceptible que par l’harmonie relative de l’œuvre participée.

Information de source

Rappelez-vous notre question : la nature, l’univers est-t-il une œuvre d’art en plus d’être une œuvre géniale? Évidemment, ce n’est pas une question scientifique. Aucune science ne répondra ni positivement ni négativement à cette question. C’est une question philosophique, c’est-à-dire ni subjective ni objective, mais concernant la relation entre sujets à travers la perception des objets. 

Dans le blogue précédent, nous avons libéré un indice à ce propos : dans l’art, une source cherche non pas seulement à communiquer quelque chose, mais à se communiquer elle-même sans vouloir ni assimiler l’autre ni se faire assimiler par lui.

Il nous faut maintenant mieux comprendre ce qu’est l’information. L’information est ce qui permet à une source d’information d’échapper à la parfaite reproduction d’elle-même. Lorsqu’une onde sonore croise son image parfaite inversée, les deux s’annulent. Une particule (agrégat d’ondes complexes) et son antiparticule s’éliminent mutuellement (cette pulsation forme d’ailleurs le fond vibratoire de l’espace-temps). 

L’information est toujours « configurante » (elle donne une figure, une forme), c’est-à-dire qu’elleproduit de l’organisation qui réfléchit sa source tout en s’en différenciant. Par exemple, la lumière transporte de l’information sur le soleil d’où elle provient (sa source), mais participe à différencier les atomes avec lesquels elle interagit (sa rencontre avec des électrons qui changent d’orbitaux sous son impulsion). Elle ne reproduit pas de l’identique, elle garde les distances (grâce au plafond de sa vitesse 300000 km/sec.) et différencie (ajoute de l’information).

Si les êtres communiquaient immédiatement (à la vitesse absolue) la totalité de leur être, l’univers disparaîtrait en un seul être avant même de pouvoir se différencier.

Bref, l’information :

  • forme une onde complexe capable de caractériser des infinités de différences qui conservent leur cohérence plus ou moins longtemps. Elle engendre l’intégrité d’une source. Un proton, par exemple, reste stable des milliards d’années, mais un neutron dure très peu de temps;
  • elle permet à une source de communiquer avec un réceptacle sans le confondre avec elle ni être confondue avec lui. L’information localise et différencie;
  • elle tient ensemble le total et le local en produisant des configurations, des complexités différenciées.

Il y a toujours une certaine réciprocité entre les sources d’information. En réalité, tout dans l’univers est à la fois une source et un réceptacle d’information. Les sources-réceptacles s’informent mutuellement, on parlera donc d’interactions.

Quand l’information me rejoint, elle participe à ma réalisation (par exemple, la lumière sans laquelle je ne vivrais pas), elle fait corps avec moi sans se confondre à mon corps, puis elle sort de moi en transportant de l’information à propos de mon corps et s’en va à la rencontre de d’autres sources-réceptacles, par exemple, l’œil d’un ami. Elle est une certaine empreinte-mémoire d’une source d’information.

En somme, on peut dire que l’information ne vise pas essentiellement un but informationnel (produire un effet donné), mais à exprimer quelque chose de plus global à propos d’une source. C’est une expression limitée de soi. Par exemple, en analysant le spectre de la lumière provenant d’une étoile, on peut connaître énormément de choses sur cette étoile, comme si elle voulait non pas communiquer quelque chose, mais se communiquer elle-même sans s’approcher et fusionner avec l’autre. C’est un premier indice qui nous rapproche de l’univers œuvre d’art plutôt que du simple gros ordinateur inconscient. L’information est une empreinte-mémoire codée, mais codée comment? C’est ce que nous verrons dans le prochain blogue.

Les premières images de collisions à 13 TeV dans le détecteur Alice. Les traces courbes montrent les particules chargées dont la trajectoire est infléchie par le champ magnétique de l’expérience. © Cern 

De l’information à la fulguration

Hier, c’était là, devant moi, un bosquet d’érables aux couleurs d’automne. Il est entré dans mon œil par l’ouverture d’une question poignante : S’agit-il d’une œuvre d’art? Car, si « oui », je suis dedans en pleine expression corporelle.

Mais comment pourrais-je savoir si c’est une œuvre d’art plutôt que, par exemple, un simple jeu de hasard ou un assemblage d’atomes électromagnétiques, le produit d’ingénierie d’un gros Inconscient génial? Évidemment, le moindrement qu’on a lu quelques formules biochimiques qui décrivent le changement des feuilles à l’automne, on est bien obligé d’exclure le hasard. Il nous reste l’hypothèse du gros Inconscient : pendant des millénaires et des millénaires, des vibrations en boucles sur elles-mêmes nommées « quarks » se sont combinées dans les étoiles pour faire toutes les espèces d’atomes (déjà une complexité inouïe), puis, les atomes ont formé des milliards de molécules différentes sur des planètes, et par essais et erreurs évolutives, les feuilles ont appris à mourir en couleur. C’est beau, mais par hasard.

Qu’importent les détails qui décrochent les mâchoires de notre intelligence tellement limitée, la question qui me tient à cœur, je la répète : Sagit-il d’une œuvre d’art? Si oui, qu’est-ce qui me le prouve? Quels critères ont pu convaincre le premier rédacteur de la Genèse qu’il avait affaire à un artiste, et non pas seulement à un Inconscient génial? Car la culture juive (et bien d’autres) répond positivement à cette question, alors que la culture grecque (celle qui a donné nos sciences et qui préside à notre rationalité) considère qu’il s’agit du fruit d’un mécanisme déterministe qui transvide dans le cosmos la mémoire absolue de Dieu (Platon) ou du déterminisme des atomes tombant dans le vide où, par hasard, ils forment des lapins et des carottes, le cerveau, et même l’idée du hasard (Épicure).

Pourtant, en lisant sur Max Planck, un des plus grands qui a développé la théorie quantique, j’ai rencontré cette phrase : « Pour moi qui ai consacré toute ma vie à la science la plus rigoureuse, l’étude de la matière, voilà tout ce que je puis vous dire des résultats de mes recherches : il n’existe pas, à proprement parler, de matière ! Toute matière tire son origine et n’existe qu’en vertu d’une force qui fait vibrer les particules de l’atome et tient ce minuscule système solaire qu’est l’atome en un seul morceau […] Nous devons supposer, derrière cette force, l’existence d’un Esprit conscient et intelligent. Cet Esprit est la matrice de toute matière. »[1]

Mais cet esprit est-il artiste, ou inconscient de ce qui se passe en lui (comme un ordinateur par exemple)? Joint-il un cœur (un organe de résonnance) à une conscience ?

Répondre : « la beauté le prouve », c’est simplement larguer la question dans le camp des illusions. Par le fait même, s’est avouer qu’il ne s’agit pas d’une œuvre d’art, mais d’une chose qui en donne l’illusion. Tout enfant trouve son parent beau, même un crapaud. Un acte purement subjectif qui ne repose sur aucune objectivité. 

Cela ne résout rien, car qu’est-ce qui fait que, justement, l’être qui naît d’un univers donné trouve beau cet univers donné, plutôt que simplement génial? Le crapaud est sujet, la maman est sujet. Si la beauté est subjective, elle est surtout intersubjective. Par le fait même, comme l’ont remarqué bien des philosophes, l’objectivité est surtout intersubjective (c’est pourquoi, en science, l’assentiment de la communauté des scientifiques fait partie des critères de validité de l’objectivité d’un énoncé).  

Pour avancer, j’ai reformulé la question de l’intersubjectivité de façon suivante : ces arbres fabuleux communiquent-ils quelque chose ou cherchent-ils à se communiquer eux-mêmes? Un objet communique des informations, un sujet se communique en informant. Il me semble que la maman cheval, par exemple, ne fait pas que communiquer des informations à son petit, elle se communique à lui, et lui à elle. L’art, me semble-t-il, ne vise pas seulement à informer, mais à exprimer une totalité de soi (une image) qui n’est justement pas réductible à une quantité finie d’informations. Sinon, les modes d’emploi des meubles IKEA seraient une œuvre littéraire. Le propre d’une œuvre d’art est de donner une configuration, une image et parfois un « visage » à une relation entre un auteur et un sujet. Un peintre ne peint pas un objet mais un sujet. Une photo a une qualité artistique si, et seulement si, elle traduit le sentiment entre le photographe et son sujet de photographie.

J’irais plus loin : peut-être que nous existons uniquement par et dans des actes de se communiquer? Et peut-être même que tout existe uniquement par et dans des actes de se communiquer? En tout cas, la théorie quantique en donne l’impression.

Pour avancer, il nous faut comprendre plus finement ce que les savants actuels appellent « l’information » (ce qui donne des formes, par exemple : un atome est une organisation super complexe d’ondes hyper complexes qui construisent différentes formes atomiques par et à travers leurs interactions). Après tout, en évoluant, la quantique s’est installée sur la théorie de l’information comme sur une base. Mieux comprendre l’information est essentiel pour nous guider sur ce qu’est l’art en comparaison à ce qu’est un mécanisme.

Dans les prochains blogues, nous tenterons de mieux comprendre ce qu’est l’information. Cela nous avancera vers notre question fondamentale : la nature, dans sa totalité et dans ses parties, est-elle une œuvre d’art ?

Pour ceux qui veulent ressentir l’univers dans sa globalité afin d’arriver immédiatement à une conclusion intuitive, voici une photo et un lien menant à une courte vidéo qui représente environ le cinquième de l’univers connu. Dans cette image, les galaxies comme la nôtre, La Voie Lactée (formée d’environ cent milliards de systèmes solaires » n’est qu’un grain de lumière à peine visible. Traverser cet univers à la vitesse de 300 000 kilomètres par seconde prendrait plusieurs milliards d’années!

Photo : https://www.sciencesetavenir.fr/espace/uchuu-un-cinquieme-de-l-univers-observable-mis-en-boite_158031

En vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=R7nV6JEMGAo


[1] Cité dans : https://fr.wikipedia.org/wiki/Max_Planck

La logique de l’art

Ce texte s’adresse qu’à ceux qui sont fascinés par le lien serré entre la pensée, l’imagination et l’art. Pour ma part, il m’est impossible de réfléchir à l’art si je n’ai pas sondé le roc et assuré les fondations. C’est d’autant plus important que l’art enveloppe tout même la science qui est un art spécifique (nous en reparlerons plus tard). 

Par fondations, j’entends la logique, qui est l’art premier. Allons-y.

L’axiome premier de la logique est simple : le néant n’existe pas. 

L’idée de néant réfère à un absolu qui ne serait rien du tout, non pas le rien de quelque chose, ce qui est le vide, mais absolument rien. Le vide de quelque chose suppose l’idée d’une chose et ensuite, on lui enlève l’existence. Ce n’est pas encore le néant, c’est juste le vide de cette chose. Pour penser le néant, il faut produire l’idée de toutes les choses possibles et imaginables, et ensuite, on lui enlève l’existence. 

Bref, l’idée de néant est l’idée de l’absolu (tout le pensable) niée. Elle prouve seulement l’existence de la pensée, et le fait que la pensée enveloppe tout l’être et le dépasse par une idée, l’idée de néant, le non-être auquel elle ne peut accorder l’existence. C’est son intuition première. Comme on sent notre peau seulement lorsqu’on effleure quelque chose et que l’on prend conscience que ce quelque chose n’est pas moi. De même, on sent l’être lorsqu’on sent l’impossible néant et que l’on se dit, ce n’est pas de l’être. Par le fait même, la pensée a, un moment, dépassé les limites de l’être. Cette sphère de dépassement, c’est l’art, la peau de la pensée qui sent l’abîme.

Pour découvrir la première loi de la logique, il faut affirmer le néant et ensuite le nier. Mais si le néant n’existe pas, alors l’être est absolu, c’est-à-dire sans aucune limite absolue (une limite au-delà de laquelle nous serions dans le néant). Et pourtant je sens la limite. Mais toujours, je la sens parce que je la dépasse par mon imagination créatrice, c’est ce dépassement qui est le propre de la pensée artistique. Une sortie hors de l’horizon de l’être.

« Absolu » veut dire tout, pas seulement tout ce qui existe, mais tout ce qui peut exister et seul le néant ne peut pas exister. L’Absolu est une affirmation de la pensée qui a compris l’inexistence du néant. Le néant est l’intuition de l’irréalité, une intuition qui fait la différence entre ce qui ne peut être qu’une pure abstraction imaginaire-temporaire et ce qui peut être une possibilité réalisable. Un musicien peut imaginer deux ondes parfaitement identiques, mais inversées qui se croisent de façon parfaitement synchrone, mais il ne peut pas les réaliser parce qu’elles s’anéantissent dans la réalité. La musique est une structure des possibles que l’imagination peut dépasser sans pouvoir réaliser ce dépassement autrement que de façon purement abstraite. Mais combien le compositeur aime se promener à la frontière de l’être pour toucher à l’abîme!

Le néant suppose que la pensée puisse penser l’être et le non-être et donc il suggère que la pensée transcende l’être. L’être serait la pensée en tant qu’elle porte des contraintes qui lui sont inhérentes et qui font la différence entre être et non-être : l’être serait la pensée dans sa réalisation possible (ce qui comprend aussi le virtuel), et le néant serait une idée irréalisable, mais nécessaire à l’art. Le dépassement de l’être et sa retombée, ce que l’on pourrait appeler « le sublime », sont peut-être le point de fuite de l’art, son ensorcellement, sa hantise désespérée qui la fait participer à la tragédie créatrice, et surtout à sa joie ultime.

Pour ceux qui veulent approfondir les implications de cette première pierre de la logique de l’art, voici une synthèse très courte et très dense.

S’il y a de l’être, il est donc pensée absolu en acte d’être, on pourrait le comparer à une Source absolue : source des possibilités, source de leurs réalisations, source de leurs relations. 

  • Un premier postulat : On ne peut pas non plus séparer la pensée et l’Absolu car alors la pensée serait en dehors de la réalité, la réalité serait tout autre chose que la pensée. Dans ce cas, le réel serait impensable et la pensée serait irréelle, le néant aurait fendu l’Absolu en deux ce qui ne se peut pas (sauf dans la pure abstraction des supposés de l’imagination et non dans l’être). 
  • Il en ressort un deuxième postulat : aucune possibilité n’est absolue, car pour que deux absolus existent, il faudrait qu’ils soient absolument séparés, et seul le néant pourrait le faire, or il est incompatible avec l’existence.
  • Le troisième postulat est sans doute que l’absolu ne peut pas être statique, car le dynamique peut contenir la possibilité du statique, mais pas l’inverse.

Les conséquences de ces postulats :

  1. Tous les contraires sont forcément relatifs : par exemple une noirceur absolue ne peut pas exister de pair avec une lumière absolue, mais une lumière relative dans une noirceur relative forment deux complémentaires, la lumière ne trouve sa pleine vitesse que dans la noirceur du vide. Un autre exemple, une force destructrice ne peut être que le complémentaire d’une force créatrice, mais la force créatrice doit l’emporter car la négation ne peut s’exercer que sur l’affirmation. L’éternité est relative, elle est la relation à soi formant le temps. Il n’y a donc pas de commencement ni de fin absolus.
  2. En mathématiques, une division absolue est incompatible avec les nombres, si les nombres étaient absolument divisés, séparés absolument, aucune opération ne serait possible, donc aucun dynamisme. On ne peut additionner deux nombres qui ne sont pas liés d’une quelconque façon à un tiers qui les relie. Une pomme et une orange sont reliées aux fruits, on peut donc les additionner en tant que fruits. Il n’y a pas de division absolue, toujours une certaine qualité relie les nombres alors qu’une autre les sépare. Une quantité ne peut être sans une qualité reliante et une qualité séparante. 
  3. L’absolu ne s’appréhende que par des affirmations négatives du type « ce n’est pas seulement… » :  ce n’est pas seulement la totalité des choses, ce n’est pas seulement la totalité que l’on peut imaginer, ce n’est pas seulement ceci ou cela… C’est toujours quelque chose qui transcende ce qu’on tente de limiter ou de définir.
  4. Pour que l’Absolu soit absolu, il doit pouvoir toutes les possibilités et donc tous les infinis dans le respect des contraintes logiques, mathématiques, et de réalisation. Donc dans le respect de l’inexistence du néant.
  5. Il n’y a pas d’ensemble infini qui ne soit pas aussi un système ouvert, c’est-à-dire un dynamisme structuré dans le dynamisme infini de l’Absolu. S’il n’était pas structuré, il ne réaliserait pas des possibilités. Réaliser, c’est suivre un processus logique, un processus organisateur si conséquent que la pensée se rend consistante, visible, palpable, stable, pour ainsi dire « matérielle ».
  6. L’Absolu doit avoir pour qualité non pas des qualités particulières, mais la qualité de créer, non pas à partir de rien, mais à partir de la pensée, non pas en dehors de la pensée, mais dans la pensée
  7. Aucun infini ne peut épuiser les possibilités de l’Absolu et un infini répond à un autre infini comme l’infini des nombres pairs répond à l’infini des nombres impairs.
  8. On doit donc imaginer l’Absolu comme une Source absolue en acte de réaliser sa pensée. Cela lui donne une étrange identité, une sorte de débordement de créativité, que les anciens (comme Albert le Grand) appelaient exubérance (littéralement : sortir des mamelles) ou joie ou sublimation. 
  9. L’absolu est ineffable, en ce sens qu’il peut se faire connaître relativement à travers ses expressions (les réalisations), mais ces expressions ne sont pas lui, l’Absolu transcende tous les infinis et même l’ensemble infini des infinis, car il est source y compris source de lui-même.
  10. L’absolu est libéré d’une identité définie et définissable pour être créatif. Une création peut suggérer l’identité de l’Absolu, mais pas la limiter ou la définir. Donner un nom ou une identité particulière à l’Absolu, c’est le trahir.
  11. Pour tous les êtres en réalisation, l’Absolu est une présence, car la présence est la manifestation la plus large d’une pensée attentive tout en marquant le fait qu’elle n’est pas seulement cette manifestation, qu’elle n’est pas absolument là, qu’elle se retient d’envahir ses réalisations, qu’elle laisse de la place à des alter egos. 
  12. L’absolu est inénarrable. Un cosmos qui en fait la narration n’empêche pas un autre cosmos de qualité différente d’en faire une autre narration. Mais deux cosmos ne pourraient pas être absolument séparés ni absolument identiques, car cela supposerait le néant.

De ces conditions logiques découlent des tensions. Tension veut dire au moins deux pôles relatifs, c’est-à-dire à la fois séparés et reliés qui ne peuvent ni fusionner ni se diviser complètement. Une tension produit une dynamique.

  • La tension entre la Source absolu ineffable et ses réalisations relatives. Cette tension vient de la nécessité de ne jamais « tomber » dans une identité définie, « je suis ceci », ni dans une non-identité absolue « je ne suis rien ».
  • La tension entre l’absolu et son identité est « amour », c’est-à-dire recherche de s’identifier dans l’impossibilité de s’identifier. D’où la nécessité des alter egos, des semblables différents. L’amour n’est jamais seulement une relation à soi, il est toujours une relation à soi pour sortir de soi, pour procréer un autre que soi, créateur lui aussi, mais créateur relié à soi.

De ces tensions, ou si vous voulez de l’amour, découlent des conséquences :

  1. Le potentiel, le virtuel, la réalisation, le réalisé et leurs conséquences forme le cosmos
  2. Tout y est à la fois créé et créatif.
  3. Les possibles ne peuvent se réaliser d’un seul jet. Ils s’impliquent les uns les autres dans un certain ordre de causalité. Cependant cet ordre de causalité laisse place à l’adaptation inventive et à l’initiative imparfaite et tâtonnante.
  4. Des relations entre le potentiel, le virtuel, la réalisation, le réalisé et ses conséquences découle le réalisable devenu possible grâce au déjà réalisé. Par exemple, la réalisation d’une musique suppose des transporteurs d’ondes sonores. La réalisation cosmique n’est donc pas seulement comme un rayonnement venant d’une seule source, mais comme une multiplication de sources qui participent à l’ensemble
  5. Le cosmos comporte donc une imprévisibilité qui peut se traduire par une part de hasard, une part d’aléatoire, une part de probabilités, dans le champ des causalités systémiques (jamais seulement linéaires), dans l’atmosphère d’une Présence totale et d’une finalité ouverte et multiple. Rien ne peut échapper absolument à l’Absolu.
  6. Un cosmos exprime nécessairement une identité particulière, il comporte des qualités propres. C’est un infini spécifique et reconnaissable. 

Bref, il faut tout réaliser non seulement dans un processus, mais dans des processus évolutifs. Ce qui va donner certaines caractéristiques à l’information.