L’attitude qui gâche tout

Si on a bien compris le jeu de l’entropie et de la néguentropie, dans la nature, on voit évidemment sous ce jeu, une poussée globalement créatrice. C’est comme si à chaque niveau (particules subatomiques, atomes, molécules, cellules, plantes, animaux, sociétés…) il y a une source créatrice capable d’une certaine participation au mouvement d’ensemble. On dirait que chaque élément est un mini sujet créateur. On a l’impression qu’il n’existe jamais d’objet aux formes fixes, au zéro information, au zéro créativité. Tout est sujet de participation et non pas seulement objet; rien n’est un fragment inerte en lui-même dans une mécanique ou d’une programmation. Dans nos sociétés industrielles, l’entropie l’emporte nettement, il y des complications plutôt que des complexité, des mécanisation plutôt que des organisations, des objets aliénés plutôt que des sujets participants.

Dans un organisme, il n’y a pas d’objet inerte et simplement obéissant : chaque élément est un peu créateur avec un certain taux d’autonomie et d’interdépendance. Tout est sujet dans un grand sujet (sujet veut dire, ici, créateur de complexité).

Dictateur

Derrière la rupture entre la violence destructrice et la violence créatrice, il y a une attitude : celle de gagner sur l’autre, de profiter de lui, de tirer de lui tout ce qu’il est possible, de consommer son énergie, sa liberté, son intelligence; bref, une tendance à l’assimiler à un objet. C’est le fameux processus d’aliénation. C’est une attaque au principe d’autonomie participative (toute décision qui peut être prise au plus bas niveau d’organisation doit l’être). L’initiative responsable prime.

Certes dans la nature, il y a un risque à l’autonomie dès le premier étage de l’organisation. Chaque individu qui tend vers son autonomie cherche sa survie avant celle des autres, cherche la reproduction de son espèce avant celle des autres. Au niveau des métaorganisations (comme le corps humain), cela engendre des problèmes graves comme le cancer, mais justement, le corps lutte contre cette maladie, et si la maladie l’emporte, elle ne l’emportera pas longtemps : ce sera la désorganisation et la décomposition.

Chaque individu et chaque espèce est responsable de sa survie individuelle et de la survie de son espèce. C’est bien, mais cela ne marcherait pas s’il était le maître. Heureusement qu’il ne l’est pas, qu’il est plongé dans un écosystème qui s’assure de l’équilibre évolutif grâce à la compétition, à la prédation et à la mort. L’animal individuel n’est pas écologique, si ce n’était que de lui, il détruirait l’écosystème. Le doryphore de la patate peut manger toutes les feuilles jusqu’à épuisement de sa nourriture spécifique et ensuite disparaître du champ. Chaque individu qui ne pense qu’à sa survie est heureusement enfermé dans un système global, un écosystème qui le dépasse, le contrôle, le limite. Il est régulé par des valeurs qui le transcendent (diversification, complexification, recherche de métaorganisation…).

L’être humain, lui, à cause de sa conscience, de son intelligence et de sa socialité est capable de participer à l’évolution de l’écosystème en y ajoutant prudemment ses valeurs, il est capable de voir, de comprendre jusqu’à un certain point la totalité d’un système écologique et son mouvement évolutif. Il peut injecter des valeurs qui lui permettraient d’avancer vers un niveau plus élevé de collaboration. Le principe moral de la conscience l’amène à  participer à la beauté du monde et à l’amélioration des conditions de vie des êtres vivants.

Mais pour le moment, rien ne va, car ce potentiel positif est orienté vers le profit d’une minorité et non vers la totalité de la maison des vivants. L’être humain a simplement développé des techniques pour tenter de s’évader de la régulation de la nature tout en agissant comme son propre prédateur, c’est-à-dire comme un consommateur qui se consomme lui-même. Rien d’étonnant, il agit comme le doryphore de la patate, mais avec des techniques mortelles!

Cela va changer. Émerge un autre monde. Rien n’est pourtant gagné.

Les deux violences de la vie

Le sens commun a toujours perçu deux sortes de violence : la violence créatrice, comme l’accouchement et la violence destructrice comme le meurtre. La chirurgie qui sauve des vies est jugée créatrice. Certaines chirurgies esthétiques peuvent être considérées destructrices. Pousser quelqu’un loin d’un danger immédiat est une violence protectrice. Pousser quelqu’un qui est sur notre chemin simplement parce que l’on est pressé est une violence destructrice. En justice : la légitime défense est acceptée. L’abus de la force, non. Violence destructrice et violence créatrice ne sont pas toujours faciles à distinguer.

Comment fonctionne la nature? Son fonctionnement peut-il nous éclairer?

Dans la nature, en physique, en chimie, en biochimie, en écologie, il y a deux mouvements contraires qui forment une vaste circulation au bilan positif : l’entropie et la néguentropie.

Néguentropie

L’entropie (processus destructeur d’information) peut se comprendre ainsi : tout échange d’énergie s’accompagne d’une perte en chaleur. La chaleur est une perte d’information. Elle est un ensemble de collisions non orientées, c’est-à-dire au hasard, donc informes. De la chaleur pure, du hasard pur, c’est le point zéro information.

Exemples d’entropie : les molécules de pétrole qui se divisent, et donc perdent de la complexité en produisant une explosion pour faire avancer une voiture, la fragmentation des protéines par la digestion, la décomposition après la mort d’une plante ou d’un animal… L’exemple le plus simple vient de la question d’enfant : pourquoi dois-je faire de l’ordre dans ma chambre, alors que le désordre se fait tout seul? Parce que l’entropie travaille toujours, alors que la néguentropie travaille par périodes intensives. Chaque fois qu’ il y a décomplexification et généralement, cela se fait en décomposant des organisations, il y a entropie. La poussière qui s’accumule chaque jour, voilà un des résultats de l’entropie du jour.

La néguentropie (processus de création d’information) peut se comprendre ainsi : un flux continu de chaleur, dans certaines conditions, produit des sauts d’information (une plus grande complexité) et parfois des chaînes de complexification, ou même des histoires de complexification… Cette complexification, c’est ce que l’on appelle la néguentropie. Notre planète reçoit un flux très stable de chaleur en provenance du soleil et elle répond à certaines conditions : l’histoire du développement de la vie et de son évolutive, voilà la plus belle forme de la néguentropie.

Exemple de néguentropie : Sur une grande plaque chauffante, un liquide entre en turbulence sous l’effet de la chaleur, à certains moments du réchauffement, les turbulences s’ordonnent parfaitement d’un seul coup en formant des dessins étonnants; la synthèse de grosses molécules par la chaleur et la pression; l’organisation de la vie à des niveaux de complexité de plus en plus grands sous l’action de turbulences caloriques dans une soupe de molécules déjà complexes.

Destruction de l’information (entropie = décomplexification) et création d’information (complexification = néguentropie) sont comme les bras de Shiva. L’entropie est une chute vers la décomplexification qui force la complexification à s’élever toujours plus haut, par sauts.

Mais si l’entropie l’emportait, elle serait fatale, elle mènerait au vide informationnel, au zéro complexité, à la poussière sidérale. On a longtemps cru cela. Cependant, un grand nombre de phénomènes physiques, chimiques, biochimiques, biologiques prouvent le contraire.

Lorsqu’on regarde la dilatation cosmique de l’espace-temps, l’entropie  semble l’emporter, mais la néguentropie gagne dans la concentration des soleils et des planètes. (Pour plus de précision, on peut référer au travaux du Prix Nobel, Ilya Prigogine, résumés dans ce bloque au menu Prigogine : https://jeanbedardphilosopheecrivain.wordpress.com/prigogine/.)

 

Comment discerner qu’il y a complexification?

La complexité n’est pas la complication, la complexité est une augmentation de la quantité d’information organisée de façon stable avec le plus d’autonomie possible à chaque niveau d’organisation, en diminuant la dépendance et en la remplaçant par l’interdépendance, dans laquelle on peut repérer des principes de fonctionnement simple qui engendrent des effets gracieux (un cheval au galop). Un cheval est beaucoup plus complexe qu’une automobile.

La complexité tend à ajouter de l’hétérogénéité, de l’autonomie à chaque niveau d’organisation, de l’interdépendance, de la diversité; elle tend à organiser les éléments les plus divers et souvent contradictoires pour les faire travailler ensemble à multiples buts, et ensuite à se relier avec les autres organismes complexes pour ajouter un étage complet de complexité (par exemple passer d’unicellulaire à multicellulaire).

Donc, toujours autonomisation, interdépendance, diversification, organisation interne, collaboration externe, métaorganisation (comme les métazoaires, ou comme une ruche d’abeilles). Cela nécessite un principe historique de discontinuité (rompre avec le passé : muter, par exemple) et de continuité (préserver la mémoire des bons coups : la génétique et l’épigénétique, par exemple).

Voilà un jeu de valeurs lancé dans la création : diversification, contradiction, lien entre les contradictions, organisation à des niveaux de plus en plus élevés d’interdépendance et d’autonomie, participation des organisations pour arriver à de hauts niveaux de métaorganisation, souplesse, grâce et adaptabilité, capacité d’autoréparation … Ces valeurs s’exprime dans un mouvement : l’évolution pointe vers des finalités…

Un mot sur le concept d’organisation, c’est-à-dire le développement d’organismes. Un organisme n’est pas un mécanisme. Dans un organisme, tout contribue à penser et à réaliser le système, tout participe du système et participe au système. Dans un mécanisme, chaque élément est en réalité statique en lui-même, il obéit à des engrenages et à des programmations.

Si la beauté est l’agencement dynamique du maximum de contradictions dans l’unité maximum du fonctionnement pour inspirer et multiplier les forces créatives, alors une des grandes valeurs de l’évolution est sans doute la beauté, une beauté qui s’élargit, s’approfondit, se différencie, se multiplie à l’infini, une beauté sans but spécifique mais orientée vers des finalités.

Dissocier l’entropie et la néguentropie est une violence contre la vie. Ce n’est pas introduire une valeur dans la dynamique des valeurs de la nature, c’est détraquer le fonctionnement universel de la nature.

Lorsque la consommation se limite à une assimilation, à une accumulation d’objets, à la réduction de sujet en objet utilisé puis jeté, elle se dissocie des processus vitaux d’autonomie, de recyclage, de fertilisation, d’ensemencement… La nouvelle économie nommée « économie circulaire » vise à lutter contre ce mal. L’économie de surconsommation constitue une grave métaviolence, c’est-à-dire une violence contra violence supposée de la nature. On est dans l’univers de l’Ogre qui a tout dévoré et risque de disparaître.

Vers une éco-humanité, deuxième partie, premier blogue

Dans la première partie de ce petit essai, nous avons avancé l’idée que nous devons contribuer à l’émergence d’une éco-humanité. Dans la deuxième partie que nous allons « bloguer » sur comment participer à cette émergence. Cela suppose une conversion considérable des habitudes de penser, d’agir et même de ressentir.

2020-03-19 12.59.25

Inscrire nos valeurs dans les valeurs de la vie

La tâche de l’écologiste, c’est d’inscrive des valeurs d’humanité dans les valeurs de la nature sans semer la pagaille, mais en améliorant les conditions de vie de tous les vivants.

Imaginez : nous sommes choqués par la dureté de la vie naturelle, ce combat contre les prédateurs, cette fuite permanente et inquiète des proies, les insectes qui dévorent les réserves, les moustiques, le froid, la faim… On va s’organiser en société, on va se protéger, on va cultiver en masse, on va élever des animaux de façon industrielle. Qui peut contester la légitimité d’un tel mouvement!

On est là dans le ventre de la vie. On veut introduire une valeur : une vie moins dure, une vie moins violente. Excellent, c’est la fonction même de la conscience d’introduire des valeurs dans le ventre de la vie pour améliorer notre sort. Mais il faut croire que ce n’est pas si facile, puisqu’à force d’introduire nos valeurs, on est en train de tout détruire! C’est peut-être que la vie, elle aussi, chemine autour de quelques valeurs.

C’est quoi les valeurs qu’on veut introduire dans les valeurs de la vie? 

On est un peu égocentrique, presque tout ce qui nous bouscule sur le chemin de ce que l’on veut peut être vu comme une violence. Par exemple, on veut vivre le plus longtemps possible. Donc tout ce qui vient raccourcir cette idée de la vie, les maudites maladies, les maudits accidents pourraient être vue comme des actes de violence. Pourtant, dans l’état actuel de notre évolution, vivre jusqu’à 500 ans, ce n’est pas une très bonne idée, c’est même la meilleure route pour l’élimination de notre espèce. Sans les maladies, notre patrimoine génétique (littéralement travaillé et enrichi par les virus et les bactéries) ne nous donnerait aucune chance de nous rendre à l’âge de la reproduction. Par ailleurs, les accidents, les famines, les difficultés nous ont rendus adaptatifs.

Contrer la supposée violence de la nature, cela ne peut pas être « lutter contre ce qui fait obstacle à notre volonté », car ce qui fait obstacle à notre volonté est presque toujours notre planche de salut. Pourtant, cela ne justifie pas d’endurer la vie naturelle comme une fatalité.

L’émergence d’une éco-humanité

Ce blogue est un court essai sur la crise globale actuelle et sa signification positive.

2020-04-04 10.06.25

1.             Introduction

Et il est écrit que viendra le jour
où tout le royaume de l’Ogre,
qui fut jadis la terre des ogres,
sera détruit…
(Chrétien de Troyes)

Collectivement, nous arriverons à faire la révolution qu’il faut, je veux dire, à rendre révolu l’automatisme de la consommation de tout et à rendre naturelle la participation intelligente à l’évolution de la vie. Nous le ferons pour vivre et pour vivre heureux sur une terre florissante. Ce ne sera pas une révolution comme les autres qui n’ont été que des renversements, ce sera une transformation si profonde et globale, une métamorphose si complète qu’on peut bien déjà parler de naissance ou d’émergence, comme si l’humanité allait faire bloc pour se libérer de ses structures incompatibles avec la vie et prendre place dans la communauté des vivants pour s’épanouir avec elle.

Les structures impropres à la vie reposent sur une mentalité : vivre serait consommer l’air, l’eau, la végétation, les animaux; consommer l’air serait la vicier; consommer l’eau serait la salir; consommer les plantes et les animaux serait les digérer, les transformer en boue d’égout; exister serait se consommer soi-même, s’user, se faire utiliser. Le cosmos entier serait la lente consommation de soi après l’explosion fortuite de l’infiniment petit.

Cette idée existentielle de la consommation totale est devenue une logique, une façon de penser, un automatisme mental, si bien qu’on accepte d’être consommés par nos structures, avalés par ceux qui profitent de nous afin de pouvoir consommer à notre tour. On appelle cela « l’économie », rien n’y échappe, tout irait en direction de la dégradation, en terme technique tout serait entropique, tout passerait du complexe au simple ou, si vous voulez, de l’organisé au désordre. Vivre consisterait à tout transformer en produits et services afin de tout dégrader en déchets et en gaz. Cette mentalité tournée vers la mort, cette façon de penser est révolue et ne peut-être que révolue.

Pourquoi?

Imaginons l’Ogre des contes anciens, il est habitué à tout consommer. L’Ogre est précisément le fantasme mythique de la consommation, de l’idée que tout va vers la mort. L’Ogre est maintenant devant son dernier repas, et c’est un gros pamplemousse. Il n’y a plus que cela à manger sur toute sa planète, absolument rien d’autre, parce tout a été consommé. Il a beau être l’Ogre et non le Petit Poucet, lorsqu’il aura avalé les trois quarts de son dernier pamplemousse, il va commencer à réfléchir. Il va semer les graines qui restent, il va les cultiver, et gageons qu’il ne piétinera pas trop ses petites pousses. Ce sera son premier comportement écoresponsable.

Collectivement, nous sommes là. Nous n’avons aucune échappatoire. Nous allons passer d’Ogre à Petit Poucet dans deux générations.

Con-sommer, calculer la somme, totaliser, pour la faire disparaître, veut dire forcément disparaître soi-même et ensuite, tout. Le seul moyen pour que cela ne finisse pas mal, c’est d’utiliser les déchets pour en faire de la terre et d’y enfouir la semence pour en faire des fruits et des légumes. La vie ne consomme rien, elle ne connaît pas la logique utiliser-jeter, elle est toujours dans la logique recycler, cultiver, inventer, faire évoluer, élargir, diversifier, harmoniser. Elle est une créatrice forcenée.

En langage scientifique, cela veut dire relancer l’information. L’être vivant peut être vu comme une montagne, que dis-je, comme un univers d’informations, une échelle démesurée d’informations, et il profite de toute dégradation de l’information (la décomposition d’un organisme par exemple) pour régénérer l’information et la faire monter encore plus haut dans l’univers de la complexité, de la diversité, de l’adaptation, de la coordination. Vivre, c’est toujours réduire la complexité pour relancer l’aventure créatrice vers une plus grande complexité participative. C’est toujours et nécessairement tourner les pédales pour faire avancer le vélo afin d’explorer de meilleures manières d’ajouter à la diversité, à la complémentarité, à la socialité… On dirait une œuvre d’art collective et débordante.

Et donc, par simple raisonnement mathématique, si on ne complète pas le processus de la vie, c’est la fin pour nous. Continuer notre idée cassée de la consommation équivaut à refuser le principe de la vie, et donc à s’auto-éjecter de l’existence.

Le Petit Poucet doit maintenant découvrir qu’il a été perdu, qu’il a été abandonné à l’Ogre, et que l’Ogre finit toujours par manger sa progéniture. Le Petit Poucet doit se trouver perdu. Heureusement, tout le long de son histoire humaine, il a semé des petites pierres de sagesse. Il va les découvrir, les nettoyer et retourner à sa demeure : la maison de la vie.

Voilà un changement si simple, si évident, si logique, qu’il faut bien l’appeler « retour de l’humanité dans la communauté des vivants », processus d’éco-humanisation.

Et pourtant, ce sera une très difficile métamorphose, car il faudra se demander pourquoi nous n’avons jamais réfléchi collectivement, pourquoi nous n’avons jamais « allumé » malgré les conséquences, pourquoi nous ne sommes pas arrivés à découvrir le fait si évident qu’il faut bien vivre selon le mode de la vie.

2.             Un « Heureux » dérapage climatique

Étant jeune, ma révolte venait de l’impunité face à l’exploitation extrême des petits salariés, mon père en était un. Les plus pauvres de la rue Alma (Montréal) payaient de leur misère le mode de vie des plus riches de la rue Beaubien. Mais aucune conséquence sur les riches ne pointait à l’horizon, l’impunité totale régnait, on honorait même les plus riches.

Lorsque plus tard, j’ai pris conscience que l’exploitation extrême de la nature n’allait pas se passer de cette manière, que la planète des conséquences allait cette fois rejoindre la planète des causes, que nous ne pourrions pas l’éviter sans devenir éco-social et éco-responsable, j’avoue que j’étais content : il existe dans la nature, un principe rectificateur.

Pourquoi la consommation sans retour mène-t-elle forcément au réchauffement climatique?

Parce que la chaleur est le résultat prévisible et inévitable d’un moteur qui consomme au lieu de recycler. Aussi simple que cela. Si l’Ogre ne mangeait que ce qu’il cultive en redonnant les résidus au processus de recyclage de la terre de la bonne manière, la température serait stable.

C’est pourquoi je dis : « Heureux dérapage climatique », il nous oblige à reprendre assise sur notre nature d’être vivant dans la nature.

3.             La situation climatique

L’ère industrielle a augmenté les concentrations des gaz à effet de serre de plus de 146% pour nous amener à une hausse totale de 41% de l’effet de serre, ce que les climatologues appellent le « forçage radiatif », ce sont les rayons du soleil que nous retournons contre nous. C’est comme doubler l’enveloppe de la serre chaude dans laquelle nous sommes enfermés.

Ce n’est pas le réchauffement seul qui inquiète, mais le fait qu’il détraque les systèmes de régulation : les courants océaniques qui distribuent la chaleur ralentissent; l’acidification des océans risque d’entraîner leur dégazage dramatique; les immenses territoires de pergélisol dégagent leur méthane en dégelant; les grandes forêts dévastées ne suffisent plus à retenir le carbone; les couverts de neige permanente retournent de moins en moins le rayonnement solaire dans la stratosphère… Le réchauffement sabote le thermostat terrestre.

Ce qui ajoute encore à l’inquiétude, c’est qu’un être vivant, complexe comme notre terre, est aussi sensible aux variations de température qu’un enfant. Avec un réchauffement de 2 degrés Celsius de plus (que la base de -0,40 Celsius de moyenne planétaire calculé en 1850), nous dépassons la zone de réchauffement climatique pour entrer dans la zone de dérèglement climatique; à plus 4 degrés, nous sortons de la zone de dérèglement climatique pour entrer dans la zone de désorganisation climatique. C’est précisément là où nous nous dirigeons. C’est comme placer un enfant fiévreux sous des couvertures de laine. À 37,50, on ne s’inquiète pas trop, à 380, on commence à trépigner à son chevet, à 38,50, on touche la température critique, à 39,50 ou 400 : si on enlève pas les couvertures, si on ne rafraichit l’enfant, il va mourir. Personne ne peut dire : « Deux degrés, c’est rien. »

Nous sommes actuellement à 2 degrés de l’irréparable, et on ne pourra pas plonger la planète dans un bain d’eau froide.

4.             Les virus du climat

Qu’est-ce qui rattache la crise climatique à l’émergence de nouveaux virus?

Réponse : nous.

Derrière l’état actuel du climat, il y a surtout une mentalité. Dans cette mentalité, il y a une vision de la nature et de notre nature.

La nature est vue comme une mécanique, c’est-à-dire un système de causalités que l’on croit connaître suffisamment pour intervenir dessus sans s’inquiéter du principe de prudence (le principe de prudence exige qu’une industrie fournisse la preuve hors de tout doute raisonnable que son produit n’aura pas d’incidence néfaste sur la santé de l’environnement ni celle des êtres humains). On se contente du principe de précaution, qui est bien différent (face à l’incertitude, il faut développer des programmes de recherche pour lever le doute, mais en attendant, on prend certains risques qu’il appartient aux autres de prouver contraires à la santé). Le choix du principe de précaution plutôt que de celui de prudence serait raisonnable si les risques étaient réversibles. Une mécanique est réparable, le remplacement des pièces remet la machine en état, une mécanique ne meurt pas. Un organisme s’autorépare, c’est sa force, cependant, à un certain niveau de dysfonctionnement, la maladie est irréversible, l’organisme meurt. Notre terre n’est pas brisée comme une machine, elle est malade comme un enfant. Donc les risques sont différents. Le principe de précaution appliqué à la vie met la vie en péril, il faut aller plus loin, instituer un principe de prudence.

Consommer est un acte mécanique, on consomme du pétrole (l’effet global est entropique : perte d’information en chaleur). Les êtres vivants ne consomment pas, ils métabolisent et recyclent (l’effet global est neutre).

La limite de nos sciences actuelles vient de ce que ses méthodes sont encore très mal adaptées à l’étude du vivant, cela mène à une surévaluation de ce que nous connaissons par rapport à ce que nous ne connaissons pas. Sans prudence, nous ajoutons chaque année de nombreuses molécules dans l’environnement parce qu’il n’est pas prouvé, pour chacune d’elles, qu’elles sont gravement nocives. Nous immergeons nos corps dans une soupe aux milliers de molécules nouvelles (produits de toilette, nettoyeurs, retardateurs de feu, produits de conservation alimentaire, nanoparticules, pesticides, engrais chimiques, aérosols, polluants atmosphériques, eaux contaminées aux médicaments…) Même lorsque ces molécules ne sont pas chacune toxiques, elles exigent de notre système immunitaire une adaptation beaucoup trop rapide.

Nos systèmes immunitaires sont épuisés. Un des signes de cet épuisement est la multiplication des allergies. De plus, nous combattons les virus et les bactéries toujours de la même façon, à coups de molécules (surtout des antibiotiques), sans jamais miser sur la santé (bonne respiration, bonne gestion du stress, bonne alimentation, bonne élimination, bonne hydratation, exercices physiques adéquats…). Or ces médicaments ne sont, eux aussi, soumis qu’au principe de précaution, mais dans la vraie vie, ajouter à la soupe ces nouvelles molécules ne fait que stimuler les facultés d’adaptation des virus et des bactéries et donc, favorisent des mutations qui en font des ennemis de plus en plus redoutables. De plus, nous jouons à l’apprenti sorcier avec quelque chose qui est encore très mystérieux : la génétique et l’épigénétique. Des échappées sont inévitables.

Tout cela favorise les épidémies. Et que fait-on pour les combattre? Uniquement des mesures de confinement et la recherche de médicaments. C’est bien, mais c’est seulement la moitié de la solution. On pense toujours à combattre la maladie, mais on en fait très peu pour agir directement sur l’environnement et sur les facteurs de santé.

L’affaiblissement de notre santé (ce n’est pas la même chose que notre espérance de vie) et l’affaiblissement de la santé de notre planète résultent d’une même vision mécaniste du monde. La vision écologiste, nécessairement holistique, ne fait pas partie de nos réflexes. La pollution et les épidémies s’entraînent mutuellement dans un cercle vicieux que l’on ne pourra pas briser sans prendre soin de notre santé et de celle de la terre.

Cependant, une chose apparaît évidente à cette étape-ci : même si notre réaction contre les virus se limite à combattre la maladie, nous sommes en train de prouver notre capacité à réagir rapidement et de façon coordonnée. Cela donne à espérer. Nous sommes en train de démontrer que lorsque nous nous sentons acculés au pied du mur, nous réagissons. Hélas! Nous le faisons selon nos vieilles habitudes. Nous devons rendre révolues ces habitudes, faire la « révolution » de nos mentalités.

5.             Un capitalisme totalitaire?

« Ce monde lancé comme un bolide dans sa course folle, ce monde dont nous savions tous qu’il courait à sa perte, mais dont personne ne trouvait le bouton «arrêt d’urgence», cette gigantesque machine a soudainement été stoppée net. Nous voilà contraints à ne plus bouger et à ne plus rien faire » Pierre-Alain Lejeune.

Avant le COVID-19, le profit apparaissait le dieu au-dessus de tous les dieux. Les milliardaires s’enrichissaient au détriment des exclus, des travailleurs surexploités, d’une atmosphère polluée, d’océans de plus en plus acides, de terres agricoles de plus en plus stériles. Nous étions nombreux à protester… Rien n’y faisait. Le capitalisme semblait transcendant.

Mais non, en quelques jours, le Chevalier de la mort (on appelait ainsi les grandes pandémies au Moyen Âge) a tout fait basculer. Il semble avoir détrôné le roi. On peut bien mourir de faim au Soudan et au Bangladesh, étouffer de pollution dans les mégalopoles, périr par obésité ou de n’importe quelle maladie du stress ou de la civilisation, mais pas mourir du COVID-19. Tout à coup, par-dessus toutes les différentes morts, le Chevalier en a placé une. En apparence, il l’a même placée au-dessus du profit.

L’autre dimension du phénomène, c’est la galvanisation de « tous vers une action unique ». La gauche et la droite, les écologistes et les consommateurs compulsifs, les activistes, les journalistes les plus critiques, les écrivains aux dents les plus acérées, les artistes rebelles, tous, le même discours : « Obéissez aux consignes de la Santé publique ».  N’est-ce pas un peu inquiétant!

L’intention de la Santé publique est indiscutable (d’ailleurs, nous avons toujours placé la vie au-dessus de l’argent); en revanche, l’unique moyen imposé durant les premiers mois surprend. Le confinement ne peut être qu’une mesure d’urgence à court terme. Après un mois déjà, les effets du chômage, de l’isolement, du stress collectif sont importants. Une augmentation d’un seul point de chômage entraîne un accroissement immédiat des signalements à la protection de la jeunesse, des drames familiaux, des suicides, des problèmes de santé mentale, de détresse extrême chez les personnes âgées… Et on a tous accepté un confinement de plusieurs mois sans critique formelle comme s’il n’y avait aucune alternative!

Cette pensée unidimensionnelle en a amené plusieurs à se poser la question : est-ce que le capitalisme ne profiterait pas d’une situation d’urgence mondiale pour favoriser une certaine forme de totalitarisme qui, lui, profiterait (entre autres par le profit sur les prêts faramineux aux gouvernements qui deviendront encore plus dépendants des institutions prêteuses, donc du capitalisme mondial)?

Karl Marx pensait que le capitalisme était le dieu des dieux qui aliénait l’être humain de son humanité; pour ma part, je pense de plus en plus que le dieu des dieux, ce n’est pas le capitalisme, mais le totalitarisme. Certes, le capitalisme actuel est un totalitarisme, celui du profit, mais il y a toujours eu d’autres formes de totalitarisme qui ont su l’abaisser au deuxième rang, par exemple les totalitarismes religieux. La leçon qu’il faut peut-être retenir du COVID-19, c’est que le totalitarisme a toujours profité de la peur. C’est sans doute cela que les révolutions marxistes si sanglantes n’ont pas vu. Elles n’ont pas détruit le capitalisme, elles ont même favorisé le totalitarisme.

Dans son roman La peste, Camus raconte tout le drame social de l’isolement, les souffrances, les conséquences qui s’ajoutent à l’épidémie que l’on n’arrive pas à contenir, mais seulement retarder. Alors pourquoi, en 1947, juste après la guerre, a-t-il écrit La Peste ? Non pas, comme on le croit, pour montrer l’absurdité du monde et l’inexistence de Dieu, mais bien plutôt pour dénoncer le totalitarisme. Ceux qui connaissent sa vie savent que c’était son grand combat.

Le totalitarisme est un régime politique qui paralyse toute opposition et dans lequel l’État ou une autre instance (religion, haute finance, pègre…) tend à confisquer la totalité des activités d’une société pour l’orienter vers un but jugé au-dessus de tous les autres. Ce qui amène l’homme unidimensionnel. Dans L’Homme unidimensionnel, Marcuse affirme que les deux systèmes (capitalisme privé ou capitalisme d’État), augmentent et multiplient constamment les formes de répression sociale pour neutraliser toute liberté de penser. La conséquence, c’est un univers de pensée et de comportement « unidimensionnel », au sein duquel l’esprit critique est progressivement effacé.

Malgré cela, parce que nous nous sommes unis vers une fin supérieure à l’argent, la grande leçon est peut-être celle-ci : le pouvoir n’est ni dans les armes, ni dans l’argent, ni dans les doctrines, le pouvoir est dans les consciences de tous ceux qui veulent vivre.

6.             Les explosions démographiques

Une pandémie à plus de 7 milliards de personnes souvent entassées dans des mégalopoles c’est un peu effrayant. La surpopulation est parfois vue comme un des principaux facteurs de destruction de l’environnement. Mais est-ce une cause? N’est-elle pas plutôt l’effet d’une même cause qui a, à la fois, engendré le réchauffement climatique et les explosions démographiques!

La démographie expansive n’est pas le fruit du hasard. Certes l’hygiène et les vaccins ont réduit drastiquement la mortalité infantile, mais cela ne s’est pas traduit partout en explosion démographique. En revanche, les poches de pauvreté extrême, les traumatismes laissés par les tentatives de génocides physiques et culturels, les guerres et surtout les guerres civiles, partout où il y a eu des concentrations de la peur sociale de disparation, des explosions démographiques se sont produites. Il s’agit d’un réflexe inconscient où une population tend à se sur-reproduire pour contrer une menace (comme ce fut de cas chez les Canadiens français à une époque).

Si vous prenez une population en pleine expansion démographique et que vous lui donnez la sécurité alimentaire, que vous lui assurez la paix politique, que vous éduquez les filles autant que les garçons, que vous rendez disponibles et légitimes les contraceptifs, sa démographie se stabilise en une génération. Les explosions démographiques sont généralement le fruit d’une mentalité de colonisation ou de surexploitation économique.

Seules la justice sociale, l’équité hommes-femmes, la sécurité alimentaire, ethnique, identitaire, la libération des religions conservatrices peuvent ramener la démographie à l’état d’équilibre.

 

La pensée unidimensionnelle éprouve de la difficulté à prévoir des catastrophes auxquelles elle contribue pourtant, et que la science annonce avec la précision des mathématiques. La manière dont nous nous traitons nous-mêmes et dont nous traitons l’environnement produit et va produire des catastrophes. Nous préparons minutieusement les catastrophes qui ensuite nous apparaissent comme des fatalités! La pensée unidimensionnelle nous empêche de lier nos comportements aux réactions biologiques, sociales et écologiques de la nature.

Il nous faut approfondir notre prise de conscience, creuser dans les causes si nous voulons sortir de l’Ogre qui mange les morceaux de son propre corps parce qu’il est malade d’un appétit monstrueux.

7.             Le capitalisme

Ici, je voudrais définir le mot « capitalisme » que tout le monde met à tort en opposition avec le communisme de Staline et Mao (qui n’a rien de communiste d’ailleurs). Sans faire l’histoire du capitalisme, on ne peut se cacher qu’il est devenu, aujourd’hui, un impératif transcendant.

Qu’est-ce que le capitalisme? Un système économique qui permet à un petit nombre de personnes de contrôler l’ensemble des paramètres de l’économie : le marché des ressources premières, le marché des moyens de production, le marché de la science et de la technologie, le marché des biens et services (la production et la consommation), le marché de l’emploi (plus généralement l’exploitation des forces de travail) et l’appareil politique. Cela peut se faire tout autant par un capitalisme privé (comme aux États-Unis) que par un capitalisme d’État (comme en Chine). Le capitalisme est actuellement hégémonique, il n’a aucun contrepoids capable de le maîtriser.

Plus gravement, le capitalisme jouit de la science et de la technologie pour multiplier sa puissance qui est devenue une surpuissance. Il y a surpuissance lorsque les moyens détruisent les fins, par exemple, lorsque les moyens de pêche sont si puissants qu’ils détruisent la ressource ou lorsque les moyens de communication sont tels qu’ils dissolvent le message.

La surpuissance a pour effet de concentrer la richesse dans les mains de très peu de personnes qui ensuite cherchent à enlever tous les freins à leur enrichissement (les lois et taxes cherchant à réglementer l’économie). En effet, ces « supercapitalistes » sont prisonniers d’un impératif : faire plus de profit que les autres ou disparaître. Telle est la « loi » au-dessus de toutes éthiques.

Un peu d’histoire. Dès la découverte du grain « capitalisable » (grain que l’on peut accumuler et conserver pour l’utiliser plus tard), la joute a commencé. Nous étions au néolithique. Le capitalisme s’est développé grâce à des armes qui permettaient de piller la production accumulée des paysans et des artisans. Pourquoi se donner la peine de cultiver soi-même ou de fabriquer des outils? C’est bien plus avantageux d’apprendre à utiliser les armes, attaquer, et partir avec le butin, capturer des esclaves et les faire travailler à notre service. Ainsi se sont développés les premiers empires.

Ensuite, les armes ont permis d’accumuler le pouvoir nécessaire pour rédiger et faire respecter les lois de la propriété. Le discours de ceux qui ont accumulé des biens par les armes est à peu près ceci : « Maintenant que nous possédons ces richesses, nous les défendrons grâce à nos lois que le bras de la justice imposera. » Pour favoriser l’application de ces lois tout en économisant sur la violence des armes, les grands possédants ont récupéré les grandes spiritualités pour en faire des religions ou des idéologies. C’est faire une pierre deux coups, car normalement les spiritualités libèrent des contraintes de l’économie en favorisant la simplicité volontaire, alors que les religions, au contraire, encouragent la soumission. Ce qui importe, c’est d’élever une idéologie au-dessus de la pensée critique et de l’expérience de la conscience. C’est précisément le sens du mot transcendant.

Actuellement, la codification, la systématisation, la structuration légale, l’organisation bureaucratique et les infrastructures ont consolidé et mis à l’abri cette forme de capitalisme né du pillage. C’est pourquoi il n’est pas exagéré de parler de capitalisme transcendant.

Nos pseudo-démocraties actuelles (nous démontrerons plus tard combien elles sont encore loin de véritables démocraties), du fait de leur endettement, sont fatalement dépendantes de ce capitalisme.

Les gouvernements nationaux ne sont plus en mesure de temporiser le capitalisme, il est réellement mondial alors que les États sont nationaux. Même les sciences ne peuvent pas se passer de capitaux, ce qui les assujettit à l’argent. La science, qui s’est construite par la libération de la pensée face à la religion, est devenue, pour une bonne part, complice du capitalisme (particulièrement en armement, en agriculture et en médecine). La science est certes rigoureuse, mais elle est fortement engagée en faveur de finalités déterminées ailleurs et cela contamine sa manière de concevoir et de faire la science.

Parmi les règles du marché des capitaux, la règle du profit est devenue la règle du plus de profit. Il s’ensuit qu’une entreprise, non seulement doit faire du profit, mais doit en faire plus que les autres, elle y joue sa peau. Prenons un simple cas, l’industrie des médicaments et des technologies médicales : on pourrait bien imaginer des entreprises tournées non pas contre la maladie, mais vers la santé. Or les moyens de santé sont, par nature, accessibles sans de grandes industries. La santé est un savoir dont le capitalisme ne peut tirer grand profit (du profit oui, mais pas suffisant pour concurrencer la « Big Pharma »). À l’inverse, lutter contre la maladie permet d’identifier des médicaments et des technologies avec des droits de propriété et d’exclusivité. Et cela est payant, même très payant. Faire de l’argent sur la peur de la mort, qui peut faire mieux!

Le véritable savoir agricole est, lui aussi, un savoir non payant, car il rend autonome. À l’inverse, ce qui rend dépendant, voilà ce qui est payant. Si on isole les facteurs contrôlables et patentables qui améliorent la productivité immédiate en se foutant des conséquences, là on peut faire beaucoup de profits (surtout si on rend les agriculteurs et les terres elles-mêmes dépendantes de ces technologies). On pourrait prendre des exemples dans tous les domaines. Et cela n’a rien à voir avec les bonnes ou les mauvaises intentions, cela est un impératif de survie. Celui qui voudrait rendre éthique et écologique une entreprise ne pourrait pas, en même temps, faire plus de profit que les autres. Il se ferait acheter par un « joueur » plus performant au jeu du profit.

C’est cela que je veux dire par capitalisme transcendant, et il rend impossible le principe de prudence vis-à-vis de la santé de l’être humain et de celle de l’environnement. Il engendre des catastrophes et il ne peut pas faire autrement.

Pourtant, chaque jour, chaque personne peut transcender le capitalisme : elle n’a qu’à s’écouter elle-même, et chercher à répondre à ses seuls besoins réels de manière à ne pas brimer les besoins des autres, même si ces autres vivent au loin.

8.              La cause des causes

Nous avons parlé d’une crise globale provenant de notre rapport à nous-mêmes et à l’environnement où l’attitude reste essentiellement celle de gagner sur l’autre, de profiter de lui, de tirer de lui tout ce qu’il est possible, de consommer son énergie, sa liberté, son intelligence. Nous plongeons dans le mythe de l’Ogre qui se dévore lui-même sans percevoir que ce qu’il consomme réduit son avenir, son horizon et son bonheur. Il est enfermé dans sa pensée unidimensionnelle : définir un but, mesurer le résultat voulu et oublier les conséquences; cela équivaut à aborder la vie en fonction de son seul vouloir comme s’il naviguait sur une carte plutôt que sur la mer de la réalité. Il perd la vision périphérique, la complexité de la réalité qui n’est jamais une juxtaposition ou une addition de données, mais une totalité vivante. Les sciences, celles qui n’ont pas intégré les principes systémiques de l’écologie restent, elles, aussi prisonnières de ce niveau primaire et dangereux de se diriger dans le réel.

La gestion d’une pandémie constitue une démonstration magistrale de cette mentalité : à la fin, personne n’aura une vision de l’ensemble des effets de nos actions sur le plan de l’écologie sociale, de l’écologie biologique, de la culture, de l’économie, ni même de l’état de santé des personnes et des collectivités. On aura appris un certain nombre de choses, mais on continuera à fonctionner sur le même principe : « comme si » nous étions en dehors du système de la vie et que nous avancions à la manière d’un capitaine qui regarde ses cadrans, ses cartes sans jamais imaginer qu’il vit dans un monde réel d’une complexité inouïe. Il agit comme s’il dominait la situation, et il est convaincu de la dominer parce qu’il ne voit que ce qu’il domine, tout le reste lui échappe. C’est ce que le prix Nobel René Tom appelait le principe de la catastrophe prévue et évitable dont on est certain qu’on ne l’évitera pas.

Cette vision unidimensionnelle propre à l’attitude de domination (comme si la vie était une carte, un ensemble de données, plutôt qu’une réalité vivante), entraîne des conséquences très graves sur l’environnement : dérèglement climatique, extinction des espèces, acidification des océans… Parmi ces conséquences, nous l’avons dit : l’immersion des êtres biologiques (dont nous faisons partie) dans un environnement toxique enrichi aux herbicides, pesticides, hormones, antibiotiques, médicaments, nanoparticules favorables à toutes sortes de maladies.

Par ailleurs, les conséquences de la surexploitation d’un certain type de main-d’œuvre entraînent des poches de pauvreté, d’ignorance et de misère qui engendrent des explosions démographiques qui amplifient tous ces problèmes.

L’agriculture industrielle, non seulement détruit l’environnement, mais jette dans la pauvreté et la misère une grande partie de la population forcée à migrer, à s’entasser dans des bidonvilles, etc. Par cette double action, elle nous mène à une sévère insécurité alimentaire : une catastrophe prévue et évitable que nous n’éviterons pas sans un changement fondamental.

Nous le sentons tous, nous ne pouvons continuer sur une telle lancée.

Mais quelle est la cause des causes?

Elle est à rechercher bien avant l’ère industrielle, et elle est profonde. Si dans l’antiquité, les Grecs, les Égyptiens, les Romains ou l’empire des Hans avaient eu nos moyens industriels, ils auraient détraqué le climat bien avant nous, et nous ne serions peut-être pas là pour en parler.

Depuis près de dix mille ans, l’emprise des Empires politiques ou économiques s’est accélérée et occupe actuellement tous les continents. Nos systèmes politiques, économiques, sociaux sont fondés sur la compétition pour qui est le plus habile à profiter des autres et de la nature à leurs détriments. Dans ce genre de culture, profiter des autres et de la nature n’est pas une honte, c’est un honneur. Ce déséquilibre mène nécessairement à toutes sortes de formes d’esclavages qui finissent par engendrer des révoltes, des guerres et des dégâts de toutes sortes. Bref, l’histoire de ces déséquilibres passe nécessairement par des catastrophes sociales et écologiques.

Malgré un grand nombre de « prophètes » qui identifiaient clairement les causes et les conséquences, les êtres humains n’ont jamais été capables, jusqu’ici, d’éviter ces catastrophes, et ce, pour une raison très simple et toujours la même : personne parmi les favorisés ne veut payer le prix, personne ne veut abandonner ses privilèges même si ces privilèges viennent d’injustices graves aux conséquences dramatiques.

Ces privilèges viennent de trois déséquilibres tragiques: la misogynie, la surexploitation des femmes et des hommes et celle de la nature. Jamais on ne verra de telles civilisations seulement destructrices de la nature, ou seulement misogynes, ou seulement injustes, elle sont toujours atteintes de ces trois formes d’aveuglement.

Personne ne veut payer le prix du changement, encore moins aujourd’hui, parce qu’une importante classe moyenne profite et un petit nombre de milliardaires commandent, tandis que ceux qui subissent les plus gros dommages vivent au loin et sont sans voix, relégués dans le malheur et le combat pour la survie.

Nous portons dans nos structures (sociale, économique et politique) des déséquilibres qui accumulent des conséquences devant nous, tel un mur inéluctable. Malgré notre science et notre conscience qui les voient s’aggraver, beaucoup refusent de changer de peur de perdre leurs privilèges, et ceux qui en ont beaucoup encore moins que les autres.

Heureusement, ceux qui n’ont rien à perdre finissent toujours par renverser les choses. Hélas, renverser l’échelle sociale ne rend pas moins injuste les rapports humains. Il nous faut comprendre, étape par étape, comment nous pouvons entraîner un changement du jeu plutôt qu’un simplement changement des rôles (passer du jeu d’échec à un jeu collaboratif plutôt que simplement nourrir les meilleurs joueurs d’échec). Il nous faut rendre révolue l’idée de domination et la remplacer par l’idée de collaboration.

Ce sera la première vraie révolution, car toutes les autres ont avorté laissant parfois un système légèrement amélioré parfois aggravé. Cette fois ce ne sera pas possible, car sans une réelle révolution, notre voyage évolutif se terminera en queue de poisson.

9.              Notre espérance

Vers vingt et un ans, même si je n’avais pas d’argent, je me suis acheté à crédit une belle moto luisante et bruyante. Sur une pente de gravelle, voilà que je perds le contrôle, un dérapage heureusement sans conséquence. Me relevant et me retournant, qu’est-ce que je vois? De la poussière monter de l’autre côté de la pente, le bruit d’un camion, il fonce sur moi. Je me précipite au-devant les bras en croix dans l’espoir idiot de sauver ma moto. Le camion réussit à m’éviter. Une fois refroidi, je me suis dit : « Idiot, pourquoi étais-tu prêt à risquer ta vie pour sauver ta bébelle? »

C’est l’image de là où nous en sommes collectivement, nous tenons plus à nos privilèges qu’à la vie. Si nous tenions vraiment à la vie, nous aurions un ministre du fleuve Saint-Laurent, un autre pour la fertilité des sols, un autre pour la santé de l’atmosphère… Cet attachement nous fait courir au-devant de ce qui nous menace.

Heureusement, ceux qui n’ont rien à perdre finissent toujours par renverser les choses. Hélas! Renverser l’échelle sociale ne rend pas moins injustes les rapports humains. Il nous faut aller plus loin.

Lorsque j’y pense, le chaos climatique qui vient vers nous n’est pas la pire chose qui puisse arriver. Le pire, ce serait qu’on puisse l’éviter par un tour de passe-passe purement technique, et que la domination et l’injustice continuent de plus belle.

Mais cela n’arrivera pas, nos techniques sont pour une trop grande part à la solde de ceux qui fabriquent le problème. Pour une part importante, la science s’est détournée du bien commun et sert les intérêts de ceux qui la financent. Il faudra une solidarité mondiale très déterminée pour orienter la science et la technologie vers le bien commun plutôt que vers le profit de quelques-uns. La solution est nécessairement politique (volonté collective).

On ne peut arriver à cela sans une transmutation de nos institutions politiques et économiques, ce qui nécessite une conscience devenue solidaire et agissante.

C’est l’inconscience de nos comportements téléguidés par le marché et la publicité, par la mimésis et l’aliénation, qui nous joue des tours.

Sans catastrophe d’envergure mondiale, serons-nous capables de payer le prix du changement, serons-nous capables de : refuser l’exploitation et la relégation des femmes; refuser d’acheter les produits de l’injustice; refuser de travailler à polluer; refuser d’emprunter ou d’épargner chez des investisseurs pollueurs; tout cela afin de forcer le développement d’une véritable démocratie capable de mettre au pas l’économie mondiale, de la mettre au service de la vie?

Pourrons-nous passer à l’étape suivante de la réalisation de notre humanité : l’ère écologique où l’être humain agit comme s’il savait désormais qu’il dépend de la nature?

On le dit et on le sent : nous sommes la première génération à prendre conscience de la nécessité du changement, mais la dernière à pouvoir éviter la grande débâcle.

Sur quoi se fonde mon espérance? La conscience n’est pas un accident d’une évolution biologique supposément aveugle. Elle nous précède, elle fait partie de la vie. Un jour ou l’autre, elle arrive dans les personnes, puis dans les collectivités. Elle est irréversible, lorsqu’on a vu, on a vu, on peut se mentir, mais on sait que l’on se ment. Et un jour, la vérité gagne, car la vérité est la plus grande puissance adaptative qui soit.

10.          Les pensionnats pour vieux

On se demande souvent : pourquoi est-ce que les prévisions du simple bon sens, l’information à propos de réalités qui sautent aux yeux, la sensibilisation aux souffrances les plus immédiates rejoignent-elles toujours les mêmes cercles de personnes, comme si les autres, souvent aux commandes, appartenaient à un autre monde ? Cette dichotomie sociale rend extrêmement difficile la solidarité informée qui devrait être le moteur de nos démocraties.

Dans les années 1950, lorsqu’on faisait l’autopsie du nazisme, beaucoup de philosophes éclaireurs ont étudié cette question, car elle est à l’origine des grandes catastrophes : les aveugles conduisent les aveugles, et ceux qui crient « le navire est en péril » ne sont entendus que par une minorité qui n’arrive pas à renverser la vapeur. Parmi ceux qui ont étudié ce phénomène, Hermann Broch a marqué mon imaginaire en distinguant l’éclaireur de l’hypnotiseur :

  1. Le premier fait appel à la conscience et à l’intelligence, à la complexité d’une situation réelle et à l’effort mental pour la comprendre; l’autre endort la conscience et la pousse vers l’insouciance : « Tout va bien aller », « Suivez-nous, on sait où on s’en va »;
  2. Le premier fait appel à la responsabilité, à l’adaptation, à l’action et à des changements profonds; l’autre raconte que tout se passe comme prévu, qu’il n’y a qu’à faire comme tout le monde;
  3. Le premier doute puisqu’il pense; l’autre est sûr de lui puisqu’il ne pense pas;
  4. Le premier demande de sacrifier des privilèges, des habitudes, des facilités pour entraîner des changements profonds; l’autre ne met jamais en doute la légitimité de ces privilèges;
  5. Le premier n’a pas accès au média, le deuxième les occupe à temps plein.

Il semble que seul un grand choc peut réveiller un somnambule.

Parmi les personnes qu’on veut à tout prix tenir à l’écart, il y a nous, les personnes âgées. Nous sommes peut-être les dindons de la farce. Non seulement nous sommes exclus de la vie active, mais on nous encourage fortement à quitter nos familles et nos communautés pour aller se faire vider les poches dans de grands pensionnats où nous sommes traités comme des mineurs, « empilulés » à souhait, afin de mourir sans jamais donner notre héritage ni matériel, ni spirituel. J’appelle à un redressement de nos derniers nerfs pour changer cette situation. Nous devons, autant que les enfants et les adolescents, entrer dans l’arène politique, faire partie des Grands-mères en colère.

Toute forme d’exclusion vise à éliminer du débat ceux qui pourraient faire quelque chose, les enfants à cause de leur conscience trop nue, les vieux à cause de leur conscience trop désillusionnée.

11.           L’homme de pouvoir

J’ai dit que la cause de la grande déchirure entre l’être humain et la nature dont il dépend est à rechercher dans l’origine des civilisations conquérantes. On reconnaît ces civilisations parce qu’elles sont misogynes, esclavagistes (ou surexploitante de main-d’œuvre) et convaincues de leur supériorité. Qu’elles soient d’Orient ou d’Occident, elles fonctionnent par le même moteur à deux mouvements : la domination et la soumission. Les deux ont un point commun, ils sont programmés et conditionnés l’un par l’autre, aussi indispensables l’un que l’autre à leur tragique déconnexion de la nature.

Réfléchissons un moment à la dynamique des automatismes du système : un moteur à deux mouvements comme dans un moteur à combustion, mais pour faire tourner une seule roue qui n’est capable que d’une seule chose : la « conquête », puisque cette roue a pour propre de consommer toujours plus que ce que ses ressources peuvent produire. Après l’expansion territoriale, l’expansion politique; après l’expansion politique, l’expansion économique; après l’expansion économique, l’expansion technologique et informationnelle.

Cette conquête avance sur trois fronts : l’exploitation des femmes, l’exploitation des pauvres, l’exploitation des « ressources naturelles ».

Derrière cela, il y a une attitude. Il est ici capital de remarquer qu’il n’y a pas seulement une épidémie, pas seulement une marginalisation des femmes, pas seulement un clivage social entre trop riches et trop pauvres, pas seulement une crise alimentaire, pas seulement une extinction des espèces animales et végétales, pas seulement une désorganisation climatique, pas seulement une acidification des océans… Il n’y a jamais un seul risque, une seule crise, une seule catastrophe, c’est toujours tout cela en même temps, mais organisé en système. Ce qui veut dire qu’il n’y a qu’une seule maladie, et c’est notre maladie, la maladie de l’homme que beaucoup de philosophes ont identifié comme la peur de soi. Et il a raison, notre homme, d’avoir peur de lui-même, il est maintenant si bien armé devant la nature qu’il n’a plus d’autres ennemis que lui-même.

Par le fait même, nous sommes tous embarqués dans un seul mouvement thérapeutique, dans un seul mouvement d’amour pour notre conscience tourmentée. Nous devons chacun et tous ensemble apaiser nos peurs, sortir de notre schizophrénie et atterrir sur terre.

Aucun des rêves que nous inventerons arbitrairement, sans tenir compte de notre nature et de la nature, ne pourra produire autre chose que des catastrophes. Et cela est une très bonne affaire, car justement notre bonheur commence avec cette reconnaissance : nous devons composer avec la nature et avec notre nature, arrêter de fuir, tel un animal en panique. Apprendre à nous installer, ici, dès maintenant, dans la vie de notre corps, de notre cœur et de notre terre.

12.          La pyramide sociale

Le discours du dominateur ressemble à ceci : Je suis un sujet décideur, tu es un objet décidé. Il s’agit en premier lieu d’un clivage entre « je » et « tu » : le « tu », c’est-à-dire l’utilisé, parce qu’il est réduit à l’état d’instrument; le « je », c’est-à-dire l’utilisateur, parce qu’il est acteur dans un jeu de compétition sans merci. Bref, les uns sont des outils pour les autres, mais les autres sont des rivaux les uns pour les autres, si bien qu’au bout du compte, comme aux jeux olympiques, un seul gagne, et c’est au prix d’y consacrer toute sa vie!

Entre l’un des « je » acteur et l’autre, un seul peut prendre le haut du pavé. Il s’ensuit un enchaînement de hiérarchisation. C’est ainsi que par effet domino, se forme la pyramide sociale : on retrouve en haut des seigneurs du monde politique, des seigneurs de la guerre, des seigneurs de l’économie, des seigneurs de la religion… Et plus haut que tout, un « pharaon » unique, car dans une telle pyramide, il ne peut y avoir qu’un seul « je » cause et finalité toute puissante; tout le reste est moyen. Dans une société laïque, à défaut d’un dieu, c’est le système lui-même qui est la cause première et la finalité ultime.

Prenons par exemple le secteur de l’économie. En bourse, le capitalisme spéculatif qui est le nôtre n’a qu’une seule valeur : le « profit ». Mais que veut dire ce mot? Il veut surtout dire ne pas faire profiter, ne pas répartir les revenus de production ni au profit des travailleurs, ni au profit des consommateurs, ni au profit du bien commun, mais uniquement au profit des investisseurs. Il s’ensuit que malgré toutes les bonnes intentions, les entreprises sont orientées vers le profit des investisseurs, car ceux-ci ont le pouvoir d’investir ailleurs en une fraction de seconde. L’investisseur n’a pas d’appartenance à une industrie, mais uniquement au profit. Il n’a jamais à rendre compte du bien ou du mal que font les entreprises dans lesquelles il a investi, mais uniquement du rendement d’argent.

Cette règle du « plus de profit », à quoi sert-elle? À hiérarchiser, à déséquilibrer les rapports de richesse, à faire monter les uns et abaisser les autres. C’est le jeu économique, la compétition, un point c’est tout, la règle de base qui vise à structurer les pyramides, avec en haut les écraseurs de monde et en bas, les écrasés du monde. Ce n’est pas une affaire de bonté ou de méchanceté, c’est toute la société qui est dépossédée de son économie. L’économie est détournée de sa vocation : elle n’est plus une affaire d’échanges de services et de biens, elle vise la domination du plus petit nombre possible sur le plus grand nombre.

Tous les secteurs de la société sont organisés pour sélectionner, hiérarchiser, faire monter et abaisser, produire des gagnants et des perdants. Et lorsqu’on parle de perdants, on entre dans le monde de la plus grande misère.

Mais pourquoi ce jeu? Pourquoi se déposséder, se dépouiller de notre valeur intrinsèque d’humanité, d’être humain digne sujet de sa vie, finalité de sa propre activité, pour n’être plus que des instruments au service de quelques seigneurs? Voilà pour moi une grande question : pourquoi acceptons-nous d’être dépouillés de ce qui fait notre humanité pour devenir des instruments aux mains de quelques dominants (eux-mêmes dominés par leur propre jeu)?

Cette question est développée dans Jean Bédard, Le pouvoir ou la vie, Fidès, 2008.

13.          La misogynie

C’est en étudiant l’histoire universelle de la misogynie que j’ai trouvé un début de réponse au sacrifice de notre identité de « sujet » pour devenir des engrenages de la mécanique pyramidale de nos sociétés. Elle est un peu psychanalytique, mais éclaire quelques soubassements qu’il faut affronter.

Nous abandonnons notre humanité, sujet de valeur, pour entrer dans le monde de la non-valeur (« le profit »), parce que notre humanité nous angoisse, et elle nous angoisse parce qu’elle s’enracine dans le féminin.

Je m’explique. Avant d’être des « je », des sujets de valeurs conscient d’être des finalités autant que des acteurs de notre vie, avant notre naissance, nous étions dans quatre ventres : le ventre d’une femme, le ventre d’une famille, le ventre d’une communauté et le ventre de la nature. Certains peuples ont un mot pour désigner l’entité mère-bébé, qui elle-même ne se distingue pas de l’entité famille-enfant ni de celle encore plus large de terre-mère-enfant. Nous étions donc dans un « nous » et nous n’étions pas encore différenciés de ce nous.

Avant même notre naissance, un couple s’est mis à parler de nous sans pouvoir dire « il » ou « elle ». À l’accouchement, nous sommes devenus des « tu » sexués. Et c’est beaucoup plus tard que nous sommes devenus des « je » distincts. C’est en disant « tu » que nous devenons « je ». Nous devrions donc conjuguer les verbes ainsi : nous nous aimons, tu m’aimes, je t’aime. « Je » ne devrait pas être la première personne, mais la troisième.

Cependant, se voir ainsi, troisième, donne le vertige, car c’est reconnaître notre dépendance absolue vis-à-vis de tous ces ventres : la nature, la communauté, la famille et notre mère. Alors, on a appris à commencer par « je » et à imaginer que tout le reste est un tas d’objets à notre disposition dont certains sont utiles, d’autres ne sont que des déchets.

Évidemment, cela se passe avant la naissance de notre conscience et de notre identité propre, je veux dire avant l’appropriation de notre être vulnérable plongé dans l’interdépendance vis-à-vis de tous les vivants.

Dans les bras de sa maman, le bébé est un gouffre de besoins, c’est la mère qui est une réserve de ressources. Dans sa première année, « je » est d’abord un immense vide qui ne peut vivre qu’en se remplissant du lait de sa mère. Ce sentiment ne peut être supporté que si l’amour subsiste.

Il est tentant de faire comme l’adolescent, de renverser complètement les rôles, de dire : « je » suis la ressource et « tu » dépends de moi. Ainsi naît l’attitude de la domination. Tout à coup, le « maître » qui dépend complètement des femmes, des paysans et des serviteurs qui le nourrissent, renverse la situation, réussit à croire que ce sont les autres qui dépendent de lui. C’est pourquoi je constate que la domination est toujours à la fois misogyne, anti-paysanne et dévastatrice de la nature. Elle est surtout et toujours l’hypnose de la conscience, car la conscience est l’incapacité de se cacher à soi-même la vérité de notre dépendance.

Oui, il y a une sorte de hiérarchie, mais une hiérarchie de cercles de dépendances, de ventres, et dans ces ventres, il faut se l’avouer, la totalité de la nature occupe de haut du pavé, elle décide de notre vie et de notre mort. Et pourtant ce ventre ne nous veut pas simples objets, simples instruments, il nous veut partie prenante.

Dès le départ, l’acceptation de notre dépendance vis-à-vis de la nature devrait nous guérir de la folie sociale de l’écrasement de tous par quelques-uns au nom de la grande peur d’être dans les mains de dame nature.

* Cette idée de la misogynie est développé dans la trilogie Professeurs d’espérance, Typo, 2012 et surtout dans Marguerite Porète, VLB, 2012.

14.           Le totalitarisme « rationnel » et le totalitarisme religieux.

Devant une catastrophe, la tendance est au totalitarisme. Nous l’avons dit. Je ne parlais pas forcément du totalitarisme religieux ni du totalitarisme communiste, il y en a d’autres. On combat le totalitarisme par la séparation des pouvoirs, et toute réunification des pouvoirs conduit au totalitarisme.

Le pouvoir de l’argent est aujourd’hui fortement intriqué avec celui de la science, surtout en pharmaceutique, en agronomie et en médecine.

La tendance est forte vers le totalitarisme politico-scientifico-financier pour s’opposer aux différents totalitarismes religieux. Il se présente comme le courant rationnel. Dans la société américaine, ces deux tendances se confrontent dramatiquement. Le totalitarisme « rationnel » se présente comme celui de l’avenir, il propose de sauver le monde par la raison, mais en réalité, il domine la raison. Pour lui, la raison de la vie consiste à vivre le plus longtemps possible pour faire tourner la machine le plus longtemps possible et pour cela, il faut une agriculture et une médecine qui nous tiennent vivants longtemps et qui doivent coûter très cher pour faire monter les profits très haut. Il s’agit toujours de siphonner de l’argent vers le haut. La science sera au service de cette fin qui est en fait un moyen, si bien qu’on a remplacé l’irrationalité religieuse par l’irrationalité tout court : au lieu d’avoir des religions absurdes, l’absurde est notre religion, car la définition de l’absurde, c’est justement d’arriver à la conclusion que tout est un moyen pour quelque chose qui n’a pas de sens.

Bref, l’homme « rationnel » est convaincu qu’il va finir par remplacer l’homme religieux alors qu’en fait il s’agit de deux religions égales en folie et en présage de mort. Nettement dit, il s’agit dans les deux cas de tendre au totalitarisme; il s’agit de placer quelque chose au-dessus de la conscience; il s’agit surtout de se croire au-dessus de la nature, ayant même le devoir de la dominer.

15.          Le pouvoir des armes

Cependant, l’homme de pouvoir et toujours le même. Sa conscience lui fait voir sa dépendance, mais plus il sent cette dépendance, plus il la maudit, et la retourne queue sur tête. Tout à coup, ce sont les autres qui sont dépendants. Exemple : « Ce sont les petits travailleurs qui dépendent de moi, proclame le PDG, c’est moi qui crée de l’emploi ». Mais en réalité, il n’est que le résultat de leur travail. Pour arriver à ce renversement complet, l’homme de pouvoir projette dans la nature sa propre attitude, il imagine que le règne animal est basé sur la « loi du plus fort ». Il en fait une fatalité. Il a des arguments de son côté : « Si j’ai des armes, de l’argent et des moyens de manipulation, je peux dire : fais ceci, et on le fait. » Il ne s’agit donc pas de loi naturelle, car les animaux n’ont pas de mitraillettes et de canons, ils ne sont pas tous d’égale force, mais il n’y a pas de différence si excessive qu’un seul peut en tuer mille autres en quelques instants.  Les armes renversent les jeux de dépendance. L’individu dépend évidemment de la communauté, mais s’il a des armes, c’est tout à coup la communauté qui dépend de l’individu.

Quand j’étais dans la vingtaine, j’ai été moniteur dans un camp de vacances pour jeunes délinquants. Un jeune a réussi à déjouer la surveillance, à voler une carabine, et il est revenu au camp. Il nous a dirigés plusieurs heures avant l’intervention de la police.

L’argument est persuasif. La violence des armes a effectivement le pouvoir de renverser le jeux de la dépendance. L’argent peut faire la même chose, car beaucoup sont prêts à abandonner leur indépendance pour un salaire, surtout si on leur a enlevé tous les autres moyens de subvenir à leurs besoins. De même, le beau parleur peut faire beaucoup avec de belles promesses surtout s’il s’accapare du micro et enterre la critique. Et que dire de celui qui s’accapare des connaissances et des moyens de connaissance? Que dire de celui qui peut mettre la science à son service?

La « Loi du plus fort » est l’invention de l’homme armé, armé de fusils, d’argent, de pouvoir médiatique, et qui s’est accaparé en plus du pouvoir de la science, mais cette loi n’est pas naturelle et elle n’est pas sans faille.

Dans la nature, une telle loi serait si peu adaptative que l’espèce qui la pratiquerait disparaîtrait rapidement. Il est vrai que chez beaucoup d’herbivores, les mâles se concurrencent sur le terrain de la force physique, mais ce sont les femelles qui orientent et déterminent les décisions familiales et celles du troupeau. Les mâles développent principalement le vecteur de la force physique alors que les femelles développent le vecteur de l’intelligence adaptative. Il ne viendrait pas à l’idée d’un troupeau de chèvres de laisser les décisions du troupeau au « bouc dominant ». Le « mâle dominant » va gagner un pouvoir de reproduction, mais pas un pouvoir de décisions. Les femelles sont assez nombreuses pour se ficher de la « puissance » du mâle, elles ne sont pas folles, elles gèrent elles-mêmes leur survie et celle de leurs progénitures. Ce que je dis ici n’est pas valide pour toutes les espèces, mais cela démontre que la « loi du plus fort » n’est pas « la » loi de la nature.

Cependant chez l’être humain, l’arme se développe outre mesure et vient renverser les rapports de dépendance et de collaboration. Cette disproportion entre le missile téléguidé et le rebelle qui n’a que ses poings, on la retrouve entre le milliardaire et le pauvre, entre les vedettes de Tout le monde en parleet la femme sans domicile fixe, entre le grand spécialiste de médecine et le patient. Et si ces quatre puissances s’unissent, la disproportion est presque absolue.

Dans ce cas-là, il n’y a plus qu’un seul pouvoir d’opposition : la capacité des désarmés à se solidariser en surmontant la peur des armes, l’indifférence face à l’argent, la capacité critique vis-à-vis des beaux-parleurs et l’intelligence contre la science achetée. Seule la désobéissance pacifique solidaire peut renverser les choses, sinon, c’est la compétition pour les armes les plus puissantes dans un jeu de conquêtes, de guerres et d’écrasement économique des masses.

Pour éviter cette solidarité des désarmés, l’homme de pouvoir divise : récompense les uns, punit les autres; favorise les obéissants, défavorise les hésitants; distribue les privilèges, élimine les opposants. La société se fracture entre extrêmement riches et extrêmement pauvres. Lorsqu’il produit l’insécurité, il règne seul.

 

Que cela soit devenu notre histoire humaine me bouleverse, mais ce qui m’importe, c’est l’autre histoire humaine, celle qui s’accumule chez les laissés pour compte, dans les décombres, les marges, les campagnes abandonnées, cette histoire qui va bientôt sortir de terre à mesure que les dinosaures s’enfonceront dans leurs bêtises. C’est là où je veux aller.

16.          Pouvoir, autorité et conscience

L’homme de pouvoir peut avoir plusieurs visages : le clown, le psychopathe, le saint, le guerrier, le séducteur, le justicier, le révolutionnaire, le capitaliste, l’anticapitaliste et même l’anarchiste, mais il sait toujours que sans les armes, sans l’argent, sans le pouvoir de la manipulation, c’est lui qui serait dans la foule des serviteurs, des travailleurs, des esclaves, des mendiants.  Cela, il ne l’oublie jamais. « Si je ne suis pas en haut, je suis en bas; si je n’écrase pas, je suis écrasé. »

Il faut le distinguer des personnes à qui l’on accorde une autorité morale parce que celle-ci nous retourne à notre propre conscience. Ces personnes-là, c’est réellement autre chose, elles n’assujettissent pas, elles favorisent l’intériorité qui mène à la connaissance et à la conscience, les deux préalables à l’émergence d’une démocratie non dénaturée. Elles ne voient pas le monde comme une compétition sans merci, mais comme la lente montée de la conscience maîtrisant progressivement la force.

L’homme de pouvoir, lui, sabote toujours la conscience, y compris la sienne. Il a même développé l’art de la division intérieure, sorte de clivage interne. L’inquisiteur qui conduisait une prétendue sorcière au bûcher le faisait pour son « bien », convaincu de lui donner une chance d’aller au Paradis en lui faisant vivre l’enfer. Sans jamais douter de la supériorité de sa vision, il se substituait à sa conscience à elle. Il agissait comme s’il connaissait quelque chose au-dessus de la conscience, comme s’il existait une surpuissance au-dessus de toute conscience.

Élever une surpuissance au-dessus de la conscience constitue peut-être la seule erreur capable d’entraver l’évolution de l’humanité, le reste n’est qu’erreurs utiles sur le chemin de l’humanisation.Car alors on projette dans cette surpuissance une légitimation de la dénonciation, de la séquestration, de la torture, du meurtre et autre tentative pour détruire la conscience… Et si cette surpuissance n’est pas un dieu, ce sera la raison d’État ou la nécessité du profit…

On le voit, on l’expérimente, la conscience d’un groupe, d’une foule, d’un peuple est fortement en retard et tourne souvent en rond. La conscience s’infiltre dans les personnes qui, elles, peuvent influencer des groupes. D’ailleurs, c’est la conscience qui transforme l’individu (un élément indivis d’un ensemble) en personne responsable de soi.

C’est pourquoi la démocratie ne doit jamais être considérée comme le règne des individus statistiquement dénombrés faisant avancer des compétiteurs, non, la démocratie est une aspiration de la conscience, elle est l’émergence de personnes habitées par leur conscience défendant le droit de vivre, de s’exprimer, de renverser tout ce que l’on tente de mettre au-dessus des consciences. C’est pourquoi la base de la démocratie est l’éducation à l’exercice responsable de la liberté.

Dans une véritable démocratie naissante, le pouvoir collectif s’arrête là où la vie physique et morale des personnes réelles commence. Pourquoi? Parce que la première chose que ressent la conscience, c’est que la vie concrète d’un seul être vaut plus que la plus belle idée : la première est concrète, la deuxième est abstraite. Une collectivité peut se défendre contre un individu destructeur, mais doit lui laisser la vie et respecter sa conscience même déformée ou obscurcie.

Mais la conscience est une intelligence adaptative, un « voir » au-dessus des moyens, une intelligence des finalités telles la beauté (mais pas une « Beauté » définie d’avance), la vérité (mais pas une « Vérité » définie d’avance), la justice (mais pas une « Justice » définie d’avance). La conscience ne veut pas imposer une forme particulière de justice qui soit au-dessus du réel, sinon elle se détruit elle-même, elle veut cultiver une justice qui est là, présente, dans les consciences.

17.          L’homme désaxé

Si je désire comprendre l’homme de pouvoir, c’est que son visage n’a généralement rien de sanguinaire, son piège n’a rien d’effrayant, il est même plutôt séduisant, pour cette raison, il n’est pas toujours facile à reconnaître. Peu à peu, on se retrouve dans son sillage sans même s’en rendre compte. Après, après seulement, on voit des choses étranges et même inhumaines comme laisser mourir un malade contagieux dans la solitude la plus complète. Sans le côté séduisant du totalitarisme, il n’y aurait jamais eu de génocides, de tortures systématiques, de misère extrême.

Son arme principale, c’est la bureaucratie, ou si vous voulez, la dépersonnalisation. Si vous enlevez toute qualité aux êtres vivants comme aux choses, il vous reste des nombres. Et avouez que des nombres, c’est plus facile à manipuler que des arbres, des oiseaux ou des personnes. Des nombres, on peut les mettre en colonnes ou en paquets, utiliser les données pour manipuler des comportements; des nombres, ça ne parle pas, ne crie pas, c’est incroyablement silencieux, c’est l’objet politique par excellence.

Beaucoup de philosophes ont étudié l’homme de pouvoir dans son pire, par exemple chez les nazis de la dernière guerre. Ils ont remarqué qu’un chef nazi pouvait aimer la musique la plus sublime, adorer ses enfants, faire preuve de sensibilité artistique, de curiosité scientifique, de génie même… En réalité, c’est le contraire qui serait étonnant : seul un idéaliste fanatique peut devenir froid comme la pierre et mécanique comme un protocole. Il est enivré de son idée du bien.

Le propre de l’homme de pouvoir est justement de tenter d’appliquer une idée parfaite et grandiose (évidemment la sienne) à un monde qu’il juge dépravé. Si les chefs nazis n’avaient pas été sûrs de la valeur suprême de « l’ordre social et de l’État national », ils n’auraient pu torturer tant de gens. Si les grands seigneurs du pétrole ne vivaient pas dans des tours de verre absolument convaincus de faire rouler le monde vers la croissance et le progrès, ils ne feraient pas mijoter la terre dans une grande marmite à gaz. Ils peuvent refouler à l’infini leur sensibilité humaine parce qu’ils sont mobilisés par une idée immense et des nombres extraordinaires.

Ce qu’il faut absolument comprendre pour changer les choses, c’est que les hommes de pouvoir ne connaissent qu’un axe : l’axe de l’idée magnifique et de l’objet abstrait, par exemple leur idée de « démocratie » appliquée à leur idée « d’Afghanistan ».

Ils ne sont pas forcément méchants, dans beaucoup de cas ce sont même de très bonnes personnes, il faut arrêter de leur prêter des mauvaises intentions, leurs intentions sont presque toujours formidables. Le problème n’est pas là, mais dans un aplatissement de l’esprit, dans une abstraction de la réalité qui les désensibilise.

Ils sont simplement incapables de percevoir le deuxième axe qui travaille dans la vie concrète, l’axe de l’adaptation : la tension entre les aspirations vitales ressenties par la conscience et la complexité extraordinaire du réel. Ce deuxième axe représente la tension entre l’empathie (ce que soi-même et les autres ressentent) et les conséquences (ce que le réel nous reflète de nos actions).

Louis Lavelle faisait remarquer que le sage laisse multiplier les valeurs en lui, car les valeurs n’ont de valeur que dans la diversité et l’adaptation à la réalité sinon, c’est une puissance de destruction proprement « surhumaine », c’est-à-dire placée artificiellement au-dessus des êtres humains concrets. Et qu’est-ce qu’un être humain concret? C’est quelqu’un qui ressent la joie et la souffrance, qui pense, parle et décide, qui ne peut pas être un objet politique, mais un sujet politique, bref un être franchement embêtant.

S’il y a une valeur première, elle est primaire : la vie doit l’emporter sur l’idée de la vie, et tout idéal doit être corrigé par la multiplicité et la subordination à la réalité des conséquences. Sinon la morale et l’éthique ne sont pas la vie en marche, mais des statistiques décidant pour les femmes et les hommes.

Oui, il y a l’axe abstrait entre par exemple les idées de justice que chacun peut avoir et une vision simplifiée du social, du culturel, de l’économique, mais il y a aussi l’axe concret entre l’aspiration pour la justice telle que ressentie dans nos relations avec le réel et la complexité bien réelle des relations humaines. L’artiste, par exemple, n’a pas une idée du beau qu’il tente d’appliquer sur du papier vierge pour faire sensation, si tel était le cas, son tableau ou son texte serait un concept, pas une œuvre d’art. L’artiste tente plutôt de refléter la tension entre la multiplicité des beautés et la multiplicité des réalités.

L’indissociabilité du lien entre les deux axes :

  1. l’axe de la conscience qui relie le cœur et la réalité;
  2. l’axe de l’intelligence abstraite qui relie l’idée d’un but à l’idée d’une chose…

… cette capacité bidimensionnelle de l’esprit humain nous donne l’assurance qu’il ne se déshumanisera pas ni ne se laissera déshumaniser.

Le totalitarisme arrive lorsque la pensée devient unidimensionnelle ou, si vous voulez, bureaucratique.

Pour atteindre à la violence, il ne faut pas nécessairement être méchant, il faut simplement avoir perdu le premier axe, il faut être désaxé.  Seul l’homme qui a perdu l’axe du concret peut vouloir le bien pour un autre plutôt qu’avec lui.

18.           Rituel orgiaque

Revenons sur la convergence des grands problèmes de l’heure :

Premièrement. L’érosion des démocraties, la tentation du totalitarisme, l’accaparement des richesses par quelques milliardaires, l’endettement extraordinaire des personnes et des États (et la dépendance aux capitaux qui s’ensuit) montrent bien l’existence de mécanismes sous-jacents d’automatisation et de déshumanisation de l’économie. L’être humain n’est plus la finalité de son travail. L’économie est devenue une machine spéculative qui accumule les profits simplement parce que c’est sa structure de fonctionnement.

Deuxièmement. L’extrême pauvreté qui résulte de « l’économie » actuelle favorise les explosions démographiques qui elles-mêmes deviennent des causes de la pauvreté et de la détérioration de l’environnement.

Troisièmement. La montée des capitaux, devenue une fin en soi, permet aux grandes fortunes d’acheter tous les moyens de son augmentation, la science comprise, et principalement l’agronomie pour engendrer la dépendance alimentaire et la pharmacomédecine pour exploiter l’anxiété de la mort. Cela interdit le principe de prudence. La science au service du capital se met à jouer avec le feu, à prendre des risques sur le dos de la vie humaine et de l’environnement. Il s’ensuit des maladies liées à un environnement et des épidémies de virus de plus en plus résistant.

Quatrièmement. Le totalitarisme religieux unit les pouvoirs politique et économique à la religion. Dans une société totalitaire laïque, c’est la science (en réalité, le scientisme) qui s’est autoproclamée seule porteuse de vérité, aussi elle exerce dans le totalitarisme laïque la même fonction que la religion dans le totalitarisme religieux. L’effet le plus destructeur pour la culture, c’est que la « vérité » cesse d’être une valeur, elle devient un moyen politique, et donc, tout fondement s’effondre dans la culture, cela produit une généralisation de l’angoisse.

Cinquièmement. Comme l’économie spéculative ne peut que s’accélérer, comme l’angoisse ne peut qu’augmenter, la surconsommation engendre une crise climatique en accélération. C’est comme avoir cassé le système de pilotage pour se retrouver dans un train sans frein : ce train ne peut aller que de plus en plus vite vers le mur.

L’économie spéculative fonctionne automatiquement. Elle engendre des monstres de richesses qui monopolisent tous les moyens du pouvoir. C’est ainsi que les hommes de pouvoir ont engendré la machine qui les engendre. Une telle roue ne peut produire que des catastrophes. Le système est aveugle.

Il n’y a donc pas plusieurs problèmes graves, mais un seul : l’automatisation d’une économie spéculative qui ne sait que croître tel un cancer. Cette vision est assez juste, mais elle ne doit pas nous déresponsabiliser. Cette machine n’a que l’apparence de l’automatisme, c’est en fait de l’obéissance synchronisée, c’est-à-dire un énorme refoulement de conscience.

Ce refoulement de l’axe de la conscience est nécessaire à l’aveuglement qui lui-même est nécessaire au fonctionnement mécanique de l’économie, sinon, l’être humain verrait les conséquences, et changerait les structures auxquelles il s’assujettit lui-même. Pour rester malade, non seulement, il est nécessaire de cultiver la maladie, mais il faut aussi rejeter toute sagesse du débat.

Rappelons que l’homme de pouvoir est « désaxé », il a perdu l’axe de la conscience. L’axe de la conscience relie la complexité effarante des valeurs ressenties à la complexité extraordinaire de la réalité, il est adaptatif; alors que l’axe du pouvoir relie l’idée d’un bien (un idéal) à l’idée d’un monde (une vision des choses) ce qui le rend aveugle.

Le philosophe Jan Patočka a cherché à comprendre l’extraordinaire violence du système nazi, celui tout aussi cruel du système soviétique et, plus sournois encore, celui du système capitaliste devenu spéculatif et transcendant. Il a voulu approfondir le mécanisme du refoulement de la conscience : le refoulement de la conscience engendre la haine de soi; la haine de soi est activée par la peur du vide intérieur; la peur du vide intérieur est projetée dans l’idée de la mort; l’idée effrayante de la mort produit le refoulement de la conscience. Ce refoulement de la conscience amène la mauvaise conscience et celle-ci pousse inconsciemment l’homme de pouvoir vers le rituel orgiaque de sa propre élimination.

À quoi donc assistons-nous, sinon à la mondialisation d’un gargantuesque rituel orgiaque consistant à abandonner la folie collective vers l’autosacrifice! Un rituel orgiaque est une grande fête des perversions : pédophilie, viols, pornographie, banquets effrénés, beuveries, drogues, consommation de tout, élimination de tout référent moral. Une grande débauche pendant qu’on accumule les combustibles du bûcher dans lequel se termineront les derniers élans de l’ivresse.

* Cette montée de la civilisation jusqu’à sa fin prophétique est développée dans la trilogie des chants de la terre : Le chant de la terre innue, Le chant de la terre blanche, Le dernier chant des premiers peuples, édition VLB.

19.          La révolution

Au Brésil, le président Jair Bolsonaro représente à merveille la polarisation qu’entraîne l’homme de pouvoir lorsqu’il joue, sans complexe, toutes les cartes du pouvoir : armes, argent, médias, idéologie (dans le cas Bolsonaro au Brésil, le fameux slogan bBb : balles, Bible, bœufs).

Il s’agit en premier lieu de galvaniser une minorité suffisante (entre 30 et 40% suffit) : en flattant leurs plus inavouables préjugés (par exemple, le racisme); en leur accordant d’importants privilèges (le port des armes, l’élimination de contraintes environnementales…); par un appel à « l’ordre » public qui nécessite, selon eux, une police et une armée brutales; par le redressement moral, c’est-à-dire le retour aux valeurs conservatrices (proscription de l’avortement, relégation des femmes au domaine privé…); en encourageant la haine de l’autre (les migrants, les marginaux, les homosexuels… ); par la répression de tous ceux qui menacent l’autorité et l’immunité des décideurs.

Autant l’homme de pouvoir unit une minorité qui lui est favorable, autant il divise ceux qui ne sont pas pour lui : la majorité aux multiples opinions qui recherchent habituellement des voies mitoyennes, l’équilibre, l’amélioration progressive des conditions de vie, un certain respect de l’écologie… Ce travail de division de la majorité est facile : il suffit de braquer la classe moyenne contre les pauvres (ce sont ceux-ci, évidemment, qui dévorent le budget et font augmenter les taxes), de pointer du doigt le laxisme de la gauche morale (qui veut mettre en liberté des meurtriers et des dépravés), de monter les nationalistes contre les mondialistes, d’accuser les écologistes de vouloir nous ramener à l’âge de pierre, etc.

Cette polarisation permet à une minorité unie de l’emporter sur la majorité divisée. C’est la faille principale de nos démocraties beaucoup trop vulnérables à la manipulation de l’opinion par des pouvoirs religieux, financiers et politiques.

Cette stratégie fonctionne encore mieux lorsque la société se sent menacée. Qu’on ait peur d’une pandémie, d’une terrible crise économique ou d’une crise climatique épouvantable, toute peur favorise la polarisation des opinions. Dans le passé, ces polarisations ont été le moteur des révolutions violentes et des répressions encore plus violentes. Peut-on trouver la voie d’une montée de la conscience qui évite l’escalade de la violence?

Dans ma jeunesse, la crainte de participer malgré moi à une « révolution » poussant devant elle une « contre-révolution » menant à un régime de terreur qui sera inévitablement remplacé par un autre régime de terreur m’a beaucoup fait réfléchir. Cette menace, omniprésente dans l’histoire, a fait déraper les meilleures intentions (par exemple, entre les intentions de Victor Hugo et la Terreur de Robespierre, on passe de la plus grande espérance aux pires violences). Cela m’a conduit à rechercher l’action conséquente plutôt que le seul militantisme critique.

Dans le cas de l’écologie, l’action conséquente consiste à pratiquer l’écologie en plus de manifester contre ceci ou cela. Je me suis rendu compte qu’il est plus facile de réclamer des changements pour les autres que de changer soi-même, et qu’il est même très difficile de trouver concrètement un chemin pour la vie écologique.

Personnellement, il me fallait traverser un changement intérieur loin d’être terminé, car seule une mutation de ma vie la plus intime pouvait me permettre de découvrir la joie d’une vie harmonieuse avec la nature. Sinon, la vie écologique devient une sorte de moral austère, négative, une discipline du comportement et cela nous amène à devenir le juge des autres, à devenir de simples dénonciateurs.

Ma lecture de l’évolution des civilisations m’a poussé vers une question en apparence insoluble : comment contrer la violence?  En effet, la violence force à la violence. Devant les armes, comment faire? Si on se soumet, nous devenons nous-mêmes une force de travail dans la machine de surexploitation de la nature et des hommes; si on combat directement l’homme de pouvoir, un jour ou l’autre, on est acculé à prendre des armes similaires aux siennes.

La seule porte de sortie consiste à miser sur la conscience, car le fondement de la violence réside dans la non-pensée, l’automatisme, la programmation, la bureaucratie, le somnambulisme collectif… Cependant, la conscience chemine de désillusion en désillusion, elle connaît presque toujours des moments désespérants. La conscience positive arrive au bout d’une longue démarche de conscience négative. Durant la transition, la peur et le désespoir favorisent la révolte de celui qui n’a plus rien à perdre. C’est là que la révolution devient violente et que la terreur remplace la terreur.

Le militant doit faire la longue traversée vers l’action conséquente, c’est-à-dire qu’il doit devenir responsable de lui-même, soucieux de congruence avec ses valeurs, vivant dans le dialogue plutôt que dans la rupture, plus occupé à faire un monde meilleur qu’à combattre un monde qui court à sa perte.

 

20.         Les pistes d’action

Nous sommes maintenant prêts à réfléchir aux pistes de libération.

Ne jamais se soumettre

Lorsque Gandhi demanda aux Indiens d’apporter leurs vêtements britanniques pour en faire un grand feu de joie, il appliquait le principe de non-soumission à la consommation. Aujourd’hui l’enjeu est de taille et pratiquement inapplicable. Quel citoyen cohérent pourrait se débrouiller un mois ou deux sans consommer un seul produit injuste : injuste parce que destructeur de l’écologie, injuste parce que son bas prix vient de la surexploitation de travailleurs, injuste parce que son transport est trop polluant, injuste parce qu’il résulte de capitaux investis dans des industries polluantes… C’est le découragement assuré.

La plus grande angoisse vient de la conscience vive d’un problème vis-à-vis duquel nous nous sentons impuissants. Plus gravement, nos comportements de travail et de consommation sont programmés pour nous compromettre.

Dans le contexte actuel, ne jamais se soumettre, c’est choisir un ou deux vecteurs de cohérence (l’alimentation, le vêtement, le transport, la récupération…) et en faire assez pour y trouver une certaine satisfaction. Du point de vue collectif, Gandhi a misé sur les vêtements anglais. Il a identifié une cible précise. Sinon, l’action se disperse. La cible collective la plus logique en ce moment est sans doute le pétrole. Un Québec sans pétrole, c’est possible et bien plus qu’on ne le croit.

Le capital est le point fort de l’industrie, mais c’est aussi son tendon d’Achille. L’investisseur veut des profits prévisibles : le pétrole, il s’en fout, dès qu’il craint pour son profit, il mise ailleurs.

La résistance pacifique

Le principe de la violence est assez simple à comprendre. Dès qu’on a l’avantage des armes, il devient tentant de piller les produits et la main d’œuvre. La grande histoire de la violence qui s’ensuit est si extrême, mais si continue et incorporée dans nos cultures, si glorifiée dans nos livres que l’être humain a fini par s’interpréter lui-même comme son propre prédateur. Alors, comment contrer cette violence devenue apparemment constitutive de notre être? Si le peuple (ou le groupe) surexploité prend les armes pour se défendre, c’est la révolte, la répression ou la guerre. Et l’histoire continue. S’il rend les armes, c’est la continuation de la surexploitation. Et l’histoire continue. Que peut-il faire pour changer le jeu?

Lao-tseu, Bouddha, Jésus, Gandhi, en fait, l’histoire de la sagesse constitue une tentative pour répondre à cette question. Car si une sagesse ne peut y répondre, en quoi est-elle sage? La réponse unanime : la résistance pacifique. Elle a fini par faire avancer l’humanité vers plus de sensibilité et plus de démocratie.

Cependant, chez les fondateurs de la résistance pacifique, tout l’enjeu consiste à surmonter la peur, la peur du marquage, de l’emprisonnement, de la torture et de la mort. C’est encore le cas. La résistance pacifique suppose une détermination qui transcende cette peur, car il faut être capable de se soustraire à la soumission en solidarité, et cela va enclencher à coup sûr la répression. L’esclave qui refuse de se soumettre est un mort. Mais si sa mort inspire dix mille esclaves qui refusent de se soumettre, l’étincelle du changement vient d’allumer. Grâce à la solidarité, le mouvement porte, on ne pourra pas tuer tous les résistants sans mettre en ruine la sainte économie.

Bref, transcender la peur de la mort apparaît comme l’arme absolue contre les armes : tu peux me tuer, mais je ne ferai pas ce que tu veux. La mitraillette ne peut rien contre une telle volonté. Ce n’est pas l’arme, si énorme soit-elle, qui a de la puissance, mais la peur qu’elle impose. Le char d’assaut recule devant une seule personne prête à mourir si une caméra met en haleine des millions de personnes prêtes à la grève générale.

Sauf que… Et tout est là, le fanatisme, encore bien plus facilement que la sagesse, inhibe la peur de la mort. Et le fanatique peut inspirer à la violence encore mieux que personne. Un pur inconscient fanatisé ou embrigadé dans une idéologie (et l’économie néolibérale est une idéologie) peut se tuer au travail, à la guerre ou dans un mouvement d’enragement collectif. À l’opposé, un pur conscient comme Gandhi tenant à la vie peut, malgré tout, jeûner jusqu’à ce que mort s’ensuive s’il le faut. Il aura tout fait pour ne pas devenir « martyr », mais si les circonstances le pousse à cette extrémité de la résistance pacifique, il le fera.

Tout l’art de la sagesse consiste à distinguer le fanatique et le sage, car le premier aggrave la violence, l’autre finira par la contrer. Dans le premier cas, le courage est un simple coup de rage, un déni de la mort qui peut aller jusqu’à ne plus ressentir la souffrance et l’angoisse ni pour soi-même ni pour les autres. Dans l’autre cas, au contraire, la sensibilité à soi et aux autres le conduit à l’amour et l’amour vécu concrètement l’emporte sur la peur pleinement ressentie.

Dès que cette règle de la lutte non violente n’a pas été respectée, les meilleures révolutions ont simplement produit un changement de dictateur ou de dictature, aucun changement dans la structure du pouvoir. Et l’histoire de la violence continue.

Briser le clivage homme-femme

On manifeste contre le racisme, la réduction de l’immigrant à sa seule fonction économique, l’exclusion des minorités dites « sexuelles » (quelle curieuse réduction), etc. Mais l’exclusion n’a qu’un seul principe, la peur de « l’étranger », c’est-à-dire de celui que l’on ne peut réduire à soi, assimiler.  Le chat qui avale la souris transforme la souris en chat (en lui-même) dans son système d’assimilation des nutriments. Accepter l’autre, c’est-à-dire celui qui nous apparaît résister à l’assimilation, c’est aller en sens contraire du prédateur, c’est vouloir coopérer d’égal à égal avec l’autre justement parce qu’il est autre, et donc, possède des richesses que je n’ai pas.

Dans l’histoire des civilisations de la domination, l’exclusion la plus généralisée, fut et est encore celle des femmes. Les femmes ont été assimilées (dès l’antique Code d’Hammourabi ou la Loi des douze de Rome) à l’esclave (une possession). Il ne faut pas l’oublier. Dans nos sociétés patriarcales, la femme est l’archétype de l’exclu. Et la raison de départ venait de ce que sa force créatrice faisait peur et envie.

C’est pourquoi la lutte pour l’égalité de statut entre hommes et femmes doit comprendre l’art de la coopération entre les êtres différents et semblables. Elle ne doit pas ressembler à une assimilation des femmes à une économie, une politique, une société qui reste encore presque complètement machiste. Sinon l’égalité n’est plus qu’une forme d’assimilation.

Préparer une résistance à long terme

Le combat pacifique pour un changement en profondeur sera un long et dur combat. Aussi, j’encourage une forme de résistance capable de survivre à un long siège. La clef : la communauté ouverte et militant…

  • … organisée si possible en FUS (fiducie d’utilité sociale) pour éviter les enjeux d’intérêts privés;
  • visant l’autosuffisance en complémentarité avec les autres groupes résistants;
  • dirigée en sociocratie (démocratie appliquée à des petits groupes qui se connaissent) ;
  • travaillant dans l’égalité et la collaboration femme-homme;
  • cherchant et pratiquant honnêtement l’autosuffisance;
  • évitant l’assimilation à des idéologies dominantes;
  • luttant contre l’injustice sociale;
  • permettant l’intégration des personnes vulnérables;
  • aimant et encourageant des initiatives toutes différentes…

Cibler d’abord la lutte à la pauvreté

Quelle cible collective viser en premier? Lutter contre la pauvreté et l’exclusion m’apparaît plus prometteur pour l’écologie que l’inverse.

Lutter contre la pauvreté et l’exclusion :

  • freine les explosions démographiques plus que tout autre moyen, car elle diminue le stress social (la peur de disparaître qui engendre l’angoisse de reproduction) et oblige l’éducation, et entre autres l’éducation des filles (autre élément pour stabiliser à tout coup la démographie);
  • diminue forcément l’écart entre les très grands riches et les très pauvres, or, cet écart fournit le carburant (il est facile de surexploiter quelqu’un qui n’a rien) aux « hommes de pouvoir » et donc change le jeu lui-même;
  • permet une réelle démocratie (l’exclusion des pauvres équivaut à l’élimination de leur parole, de leur apport, de leurs valeurs, et finalement de leur vote);
  • amène dans le combat pour l’écologie la majorité oubliée qui dispose souvent de compétences étonnantes en matière de simplicité de vie;
  • amène dans le combat une ancienne paysannerie et des traditions autochtones qui ont conservé de grandes compétences écologiques;
  • coupe l’herbe sous le pied à l’économie de surexploitation;
  • décourage « l’écologie » individualiste des riches (du genre : villa écologique).

En somme, la lutte contre la pauvreté est la première étape pour renouveler nos démocraties, c’est-à-dire les rendre concrètement démocratiques, et seule la démocratie peut réaliser les changements de structure économique nécessaires pour tourner le travail vers le bien commun, ce qui nous amène à la vie écologique.

Mobiliser vers la démocratie

La démocratie n’est pas une idée de la justice appliquée à une idée du peuple, cela, c’est l’axe du pouvoir. Pour l’axe de la conscience, la démocratie est l’aspiration ressentie dans le cœur humain pour rendre la vie réelle chaque jour un peu plus juste, un peu plus durable, un peu plus harmonieuse. La démocratie n’est pas une constitution, un document, mais le combat constant pour rendre la vie plus réellement agréable à tous et pour les générations à venir.

Comenius qui a peut-être le mieux exprimé cette aspiration des consciences à la liberté collective proposait quelques conditions pour avancer vers la démocratie universelle :

  1. L’élévation du droit à la vie au-dessus des idéaux;
  2. L’éducation à la liberté responsable contre les tentatives d’endoctrinement;
  3. Le désarmement progressif des personnes, des peuples et des nations en faveur de négociations sans armes;
  4. La séparation et l’indépendance des pouvoirs (législatifs, exécutifs, économiques, informationnels, justiciers, éducatifs, religieux, scientifiques, artistiques…) sous l’égide de collèges de décisions et non de représentants individuels;
  5. La participation de tous, sans discrimination, aux responsabilités et aux décisions;
  6. Le communautarisme sociocratique (comme le pratiquaient les communautés moraves guidées par Coménius bien avant que ce terme ne fasse surface);
  7. L’orientation vers le bien commun et la justice sociale.

Nos démocraties ont encore du chemin à faire. La tâche est énorme, car il s’agit toujours et encore de faire passer l’intelligence adaptative au-dessus du pouvoir des armes, de l’argent et de la manipulation. Il faut prendre conscience qu’il n’y aura pas de changement significatif vers l’écologie tant que nos démocraties resteront prises en otage par l’impératif du profit.

21.          Question de motivation

Le diagnostic apparaît évident : nos comportements politiques et économiques menacent la paix et l’équilibre de l’environnement. Nous ne sommes pas pires que nos prédécesseurs, mais nos moyens sont énormes : un chalutier-usine peut éliminer toute une espèce; une bombe atomique peut faire disparaître une grande ville; un moyen de transport peut empoisonner toute l’atmosphère; un moyen de communication peut nous inonder de mensonges… Nous devons apprendre à maîtriser nos moyens, sinon, nos moyens nous briseront !

Alors, comment un diagnostic aussi clair peut-il se traduire en actions efficaces ? Que doit-il se passer pour qu’une connaissance se transforme en changement d’habitudes ? Par exemple, un fumeur apprend que le tabac l’empoisonne, que doit-il se passer avant qu’il arrête de fumer ?

Avant d’aborder cette question, j’ai deux convictions : Je crois que tant que l’écologie ne sera qu’une question de savoir et de devoir, nous n’y arriverons pas. Ne pas faire ceci, ne pas faire cela, les sept péchés capitaux de l’écologie, l’approche par la culpabilité, nous l’avons essayée, cela ne marche pas.  Je pense aussi que la technologie ne suffira pas, car elle est au service des pouvoirs politiques et économiques et non au service de l’environnement. Pour la mettre au service de l’environnement, il faudra que les citoyens le veuillent vraiment.

C’est l’affectivité qu’il faut toucher.  Il nous faut un coup de cœur pour la terre : sans l’amour de la terre, des océans, des espèces végétales et animales, sans l’amour de notre propre espèce, nous ne changerons pas.

Alors, parlons d’amour. Comment ça fonctionne ? Comment faire pour nous aimer assez et qu’il nous vienne à l’esprit de prendre soin de notre terre ? Pour cela, il nous faut mieux comprendre tout le processus de la prise de conscience qui est toujours à la fois intellectuel et affectif.

Dans ma carrière d’intervenant social, j’ai cru distinguer certaines étapes dans le cheminement de la conscience. Mais avant tout, comprenons que la conscience est cette chose qui, au fond de nous-mêmes, tient à la vérité comme nos poumons tiennent à l’air.  Même lorsque nous dénions une vérité, la conscience nous fait sentir que nous nous mentons à nous-mêmes.

C’est d’ailleurs cela qui fonde mon espérance : l’être humain est incapable d’échapper complètement à sa conscience. Dans son contact direct avec la réalité, la conscience sait d’instinct qu’une erreur de perception peut entraîner la mort. Comme un chien, la conscience flaire ce qu’il y a de vrai dans une odeur.

Mais de quelles vérités parle-t-on ? La vérité des faits afin de trouver les actions adaptées. La vérité des émotions : par exemple, est-ce une vraie peur ou une peur construite ? Car la première peut me sauver la vie, l’autre, me précipiter dans une panique périlleuse. La vérité des responsabilités : est-ce que j’y suis pour quelque chose, individuellement ou collectivement ? Sans cette reconnaissance, je ne sais pas ce qu’il faut changer.

Ces trois étapes de la vérité sont déterminantes, il est nécessaire de les franchir toutes les trois, mais j’ai souvent expérimenté que cela ne suffit pas. La conscience doit arriver à quelque chose d’autre, elle doit arriver à une étape où elle tient à elle-même, où elle tient à la vie. Sinon pourquoi changer ?

Collectivement, est-ce que l’humanité tient à la vie ? Trouve-t-elle la vie suffisamment belle pour tenir à elle ? C’est sans doute pour cette raison que toutes les morales fondées sur des interdits, le devoir, la faute n’ont jamais fonctionné. On ne peut pas vouloir ce que l’on n’aime pas. La volonté est comme le serviteur, elle suit son maître l’affectivité, et lui, il aime ou il n’aime pas. Par exemple, un fumeur peut savoir qu’il détruit sa propre santé, mais s’il préfère la sensation que lui apporte la cigarette à la sensation d’être en santé, il va continuer à fumer. Il doit arriver à l’amour de lui-même.

L’être humain des temps modernes préfère-t-il la sensation de la puissance à la santé de la planète ? Il doit lui aussi arriver à l’amour de lui-même.

Je pense que quelque chose en nous résiste à l’amour, même à l’amour de nous-mêmes, même à l’amour de la vie. D’où vient cette résistance ? Il faut dire que vivre, c’est dépendre, dépendre de l’air, de l’eau, de la santé des terres et des océans. Vivre, c’est prendre soin des conditions de la vie.

Vivre, c’est toujours se sentir intérieur à ce qui fait vivre comme un fœtus dans le sein de sa mère. Peut-être que l’homme préfère se sentir au-dessus de la nature qu’assujetti à elle, même si c’est un éminent mensonge. Vivre, c’est s’avouer notre vulnérabilité. Vivre, c’est s’avouer qu’on n’est pas le maître, qu’il faut suivre les lois d’un autre, les lois de la nature.

Dit autrement, nous sommes informés de la nécessité de changer nos comportements pour vivre encore un bon moment sur terre, mais nous n’avons pas encore pris conscience de la valeur de notre être, nous ne tenons pas à nous-mêmes au point de faire face à la vérité de notre dépendance vis-à-vis de la grande totalité du vivant.

22.         Coup de cœur pour la terre

J’ai dit que nous résistons à l’amour, parce que nous n’aimons pas notre vulnérabilité et notre dépendance à la nature. Alors, si notre amour de la vie n’est pas suffisant pour entraîner un changement dans nos habitudes, et si l’amour ne dépend pas de notre volonté (qui peut décider d’aimer!), que faire pour provoquer notre amour ?

Pour arriver à l’amour, il faut sans doute traverser au moins deux étapes : faire l’expérience d’appartenir à la communauté de tous les vivants et participer à la beauté d’un milieu vivant. Bref, l’amour arrive dans la rencontre.

La méconnaissance de notre destin commun avec tous les vivants est l’origine et le moteur de la crise écologique. Il y a un grand plaisir à trouver notre place dans un écosystème, dans un paysage.

L’être humain est double : biologiquement, il n’est qu’une composante d’un écosystème, il puise sa vie de cet écosystème comme un arbre puise sa vie de la terre et du soleil; intellectuellement, il peut comprendre certaines lois de la physique, de la chimie, de la biologie, de la psychosociologie, et s’en servir pour rendre le monde meilleur. Donc, il peut participer à la vie et cela, c’est un tel plaisir, qu’on y prend goût.

Trouver belle la nature est un acte de la conscience qui surgit de la rencontre. Pour aimer, il faut trouver beau. Trouver beau c’est résonner, c’est vibrer, et cette vibration survient lorsque notre monde intérieur rencontre le monde extérieur et se reconnaît en lui. Le bébé musaraigne aime sa maman musaraigne, ils se reconnaissent l’un l’autre. Pour cela, une rencontre est nécessaire. L’être humain ne peut pas ne pas aimer sa mère-terre, même si elle est parfois rugueuse, elle le rejoint au cœur.

Cependant, un préalable s’impose : puisque l’amour n’est pas une relation de sujet à objet mais constitue une relation entre des sujets, vous comprenez que c’est un renversement profond de notre pensée et de notre affectivité. Comment aimer la nature comme un sujet ?

Lorsque nous regardons un arbre, nous sommes immédiatement mis en face de deux arbres : le premier est un objet de pensée, il est construit à partir de ce que nous savons d’un arbre. L’objet se définit en quelques mots, en quelques pages ou en quelques schémas. On peut imaginer qu’on le connaît et qu’on le contrôle; l’arbre réel, je pourrais le scruter au microscope, l’examiner sous tous ses angles, je verrais sans cesse des détails nouveaux. En face de lui, même le plus grand spécialiste du monde se sent démuni et émerveillé. Il y a tant et tant à découvrir.

Lorsque l’homme croit qu’il domine la nature, en réalité, il ne domine pas la nature, il domine un objet de pensée qu’il appelle la nature. Mais pendant ce temps-là, il est évident que la nature réelle reste le maître. Pour aimer, il faut être capable de sentir la présence réelle des êtres vivants au-delà de ce que nous en connaissons.

Nous sommes un mystère, et parce que nous sommes un mystère, nous ne vibrons que devant un autre mystère, l’amour n’est possible qu’entre deux mystères.

Ressentir la présence du vivant, oui, vraiment ! Ce n’est pas une présence similaire à celle d’un autre être humain, j’en conviens. La communauté intégrale de tous les vivants, la biosphère n’est peut-être pas un sujet comme moi, un sujet conscient de lui-même… Je ne le sais pas. Peut-être que l’appeler Mère-terre n’est qu’une figure poétique… Peut-être aussi que la nature est mille fois plus consciente et intelligente que nous ! Mais une chose est certaine, c’est en la rencontrant que je la connaîtrai un peu plus, et c’est en la connaissant que je l’aimerai un peu plus, et pourtant c’est parce que je l’aime que je cherche à la rencontrer. C’est le cycle de l’amour.

Je t’aime d’instinct parce que je suis en toi, je dépends de toi. Je cherche à te rencontrer, à ressentir ta présence. Te rencontrant, j’apprends à te connaître. En te connaissant, je t’aime encore plus, non plus d’instinct, mais pour participer à ton évolution.

L’être humain n’exerce de violence que lorsqu’il a réduit les êtres réels à l’état d’objets. Nous n’arriverons pas à changer cette violence en actes responsables tant et aussi longtemps que nous ne tenterons pas de rencontrer les personnes réelles, les êtres vivants réels avec tout leur mystère. Dans une rencontre, nous reconnaissons la différence entre la petitesse de nos pensées et la grandeur des êtres réels.

Rencontrer l’être réel c’est ressentir la présence. La présence réelle est toujours pleine d’infinis : une infinité de détails jusqu’aux atomes et aux quarks ; une infinité de relations entre chaque élément et la totalité ; une infinité de significations selon le regard qu’on lui porte, etc. ; une infinité de potentialités et de mystères car on ne connaît pas tout ce qu’elle peut devenir.

C’est en ressentant sa présence que nous pouvons aimer la nature. Parce que nous participons de la vie et à la vie, nous occupons une place qui nous permet de prendre soin du vivant. Mais pour cela, nous devons comprendre notre rôle, comprendre le fonctionnement de la vie, aimer la vie et nous aimer nous-mêmes.

Pour l’être humain, voir permet d’aimer et ensuite l’amour nous engage à prendre soin. Nous pouvons apporter un regard de plus en plus compétent pour aider la vie à s’épanouir dans toutes ses branches, ses espèces, ses possibilités. Et nous serons le bénéficiaire heureux de cet accomplissement.

23.         Le fruit

Comment cela se passera-t-il? Quelles transformations surviendront-elles?

L’être humain ne trouve pas de solution tant que le problème n’est pas affectif, c’est-à-dire tant qu’il ne l’affecte pas gravement et personnellement, le plaçant, non seulement en danger de mort, mais surtout en danger de vie, en danger de vivre pleinement, consciemment, fraternellement, ou si voulez, en danger de bonheur.

Le bonheur, sa grande peur, parce qu’il suppose l’épanouissement de tout son être y compris le gouffre de potentialités qui nous habite tous et qui peut nous transformer en sages ou en fous.

Voyez-vous, l’être humain, est sujet et non pas objet, et c’est assez effrayant. Un objet, on peut le tenir, le palper, l’acheter, le vendre, le mesurer, lui fixer une valeur. Sur ce terrain, un gramme d’or est pas mal plus stable que soixante-dix kilogrammes d’un être humain qui peut disparaître du jour au lendemain. Que vaut un gramme de sujet? Tout dépend de ce qui en sortira. L’œuvre de Beethoven vaut encore une fortune. Mais lui, Beethoven, une fois dans l’au-delà, que vaut-il?

Bref, si vous êtes un sujet, et espérons que vous l’êtes, vous ne valez rien, mais vous vous éprouvez vous-même, vous ressentez valoir plus que tout, car si vous n’êtes pas là, pleinement présent, pleinement conscient, rien n’a de valeur pour vous. Vous vous palpez : os et chair ne valent pas cher, mais vous ressentez votre vide intérieur; il a beau être vide : surgissent de lui les sentiments, les pensées, les actions, les œuvres qui transforment le monde et qui donnent de la valeur à tout. Tant que vous faites sortir de vous-même ce que vous pouvez être, ne serait-ce que l’angoisse de vivre, vous êtes, vous jouissez de l’existence; mais que cette source vitale s’affaisse, s’assombrisse, abandonne sa pulsion vitale, et votre vide, votre angoisse vous emporte dans des effrois insupportables.

Bienvenu dans la réalité humaine. Vous êtes comme moi, rien et tout, alors que tous les objets autour de vous sont tout et rien.

Un tel sujet n’est pas un objet, cela veut dire qu’il peut se ressentir vivre et être, il peut transformer et se transformer et cela, il l’a appelé bonheur : ressentir l’acte de sa propre existence. Dans ce moment, oui, tout peut s’écrouler, et pourtant tout renaît de ses couleurs, de son sang, de sa sève, de son amour des êtres vivants, de son amour de lui-même.

Voilà le nœud, bonheur et angoisse du vide oscillent dans le même cratère.

Lorsqu’il est ainsi en danger de bonheur, en danger d’épanouissement créateur et donc en danger de chute dans son cœur, il a tendance à paniquer comme lorsqu’on ressent que tout peut changer dans notre vie parce qu’un homme, une femme, s’éloigne ou s’approche.

S’il tombe en état de panique, l’être humain n’examinera pas son esprit, au contraire, il le fuira et le combattra jusqu’au bout, il prendra des mesures pour continuer son entreprise de destruction de lui-même jusqu’à la fin. Par la panique, il perd toute capacité de réfléchir. Il a beau s’entourer d’objets en or, en porcelaine, en marbre, il a beau transporter son corps en première classe à la vitesse du son, boire et manger à en crever, consommer toutes les viscères de la terre, il est tout aussi vide : ne pouvant caresser en lui que de possibles actes d’autocréation de soi.

Mais plus il paniquera, plus il s’engouffrera en lui-même en emportant les jungles et les océans de la terre, plus il choquera les autres qui se réveilleront. Bref, il reste sujet, donc, tout en lui et malgré lui est moral, c’est-à-dire qu’il ne peut pas échapper à la pulsion de la vie : ce qu’il détruit un peu partout s’accumule dans la conscience des autres qui, déjà, reconstruisent le monde sur de nouvelles bases. Le gouffre que ses actions folles et inconscientes font dans les organes vitaux de la terre, la conscience de l’humanité le transforme en élan créateur. Tout rejaillit nouveau. Des villes s’enfoncent dans la mer, mais autour d’elles s’élèvent des villages flamboyants de potagers et de vergers.

Oui, l’angoisse du bonheur forme une très forte et très dangereuse polarisation : les uns misent sur les villes intelligentes, la technologie, la migration dans l’univers virtuel, la robotique, la transhumanité; les autres achèteront les plus gros pick-up, des yachts, des villas en granite et des armes fixées à des drones pour tenir jusqu’à la fin des temps.

Cependant, le meilleur surgit toujours, car les questions de base restent : « Qu’est-ce que vivre? Qu’est-ce qu’aimer? Comment se rencontrer soi-même et les autres? Comment rencontrer cette nature qui nous a fait et dont nous dépendons? Comment vivre ensemble, avec la communauté de tous les vivants? » Dès que la conscience se développe, et son développement est irréversible, si bien que s’accroît forcément le goût de l’épanouissement de soi, des autres, de la nature, le goût de la vie. Cette croissance se prend sur la chute elle même.

Cette voie n’est justement pas une route, ni un sentier, ni une bifurcation, mais une aventure, une découverte, un complexe de relations créatrices et participatives avec l’arbre de vie.

Il y aura assurément un nouveau monde, une nouvelle façon de fleurir, car la conscience ne nous quittera jamais puisqu’elle est la vie en marche. Mais comme toujours, cette révolution sortira de la contradiction et cette contradiction rend l’avenir imprévisible. Il ne s’agit pas de prévoir d’ailleurs, il s’agit de participer, non pas en s’agitant comme une poule à qui on a coupé la tête, mais comme des personnes un peu abasourdies après un cauchemar et qui reprennent peu à peu leur esprit.

L’Ogre tombe, le Petit Poucet revient caillou après caillou dans sa patrie : la vie.

L’humanité entre dans sa première révolution.

La révolution néolithique des peuples conquérants n’était pas une révolution, mais un clivage entre la personne créatrice et la société esclavagiste, un clivage interne à chaque société et entre les sociétés, et surtout un clivage entre les sociétés humaines et la nature. S’en est suivie une grande histoire de massacres et de conquêtes, de désertification, de génocides, de pauvreté et de désolation. À l’intérieur de cette histoire, combien de révolutions ont avorté ne réussissant pas à former une humanité unifiée et harmonisée avec la nature. Sans doute était-ce notre parcours d’apprentissage, mais aujourd’hui, le soleil s’acharne de l’intérieur et de l’extérieur à la grande germination de l’humanité, il ne relâchera pas son effort, car il tient à nous bien plus que nous tenons à nous-mêmes.