La personne ukrainienne

Que se passait-il en Ukraine alors que la Russie consolidait l’idée délirante de l’État totalitaire, c’est-à-dire l’idée d’un Tout (pourtant devenu un seul individu décideur) devant contrôler les éléments qui le composent jusque dans leurs pensées et sentiments les plus intimes? Revoyons très brièvement l’histoire de l’Ukraine.

Peinture de Michel Casavant

Antes, Huns, Avars, Bulgares, Khazars, Magyars, Petchénègues, Polovtses, Varègues forment les premiers noyaux de la population. En 1240, Kiev est pillée avec grande cruauté par les Mongols. Ensuite apparaît le règne des princes et des seigneurs propres au Moyen Âge. Au XIVe siècle, le territoire passe sous l’autorité de la Pologne-Lituanie. Il est habité par des Polonais, des Moldaves, des Allemands, des Arméniens, des Juifs et des Russes. Les paysans cosaques et les Tartares développent leur indépendance par opposition à l’assimilation polonaise. Se dessine peu à peu la polarité ukrainienne : le nord-ouest pro-européen et le sud-est pro-russe, mais un peu partout la personne tend à s’affranchir. Les Cosaques se soulèvent contre la noblesse polonaise. Ce soulèvement aboutit à la création d’un territoire cosaque autonome baptisé «Ukraine». Les Cosaques combattent la Pologne et plus tard la Russie afin de garder leur indépendance. En 1708, l’Ukraine devient vassal de la Russie, mais la Crimée tartare est soumise à l’Empire ottoman. Il y aura encore bien des départages selon les empires qui se disputent l’Ukraine comme une proie.

Avant la Première Guerre mondiale, l’Ukraine est découpée entre les Empires autrichien et russe et cela jusqu’à la Révolution de 1917. Elle est devenue le principal pôle de l’industrie lourde de l’Empire russe. Néanmoins, comme d’autres peuples en Europe, un mouvement de renaissance nationale ukrainien se fait jour. Des associations culturelles prospèrent et des mouvements politiques s’organisent, par exemple, l’Union pour la libération de l’Ukraine. Pour sa part, la Russie considère le pays comme sa « Petite-Russie ». C’est une terre d’émigration pour les Russes.

Après la Première Guerre mondiale, le 20 novembre 1918, le Rada proclame indépendante la République populaire ukrainienne. Cependant, quelques mois plus tard, l’offensive des Bolcheviks chasse le gouvernement de Kiev. En mars, Lénine livre l’Ukraine à l’Allemagne qui, elle, permet le retour du gouvernement à Kiev. En janvier 1919, les Allemands se retirent. Les troupes tsaristes (les Blancs), l’armée bolchevik (les Rouges), l’armée nationaliste (les Noirs) s’affrontent en pillant la paysannerie, en violant et en massacrant. Les Bolcheviks finissent par l’emporter. Durant tout ce temps, les Juifs sont sauvagement massacrés par de terribles pogroms. Le 30 décembre 1922, l’Ukraine entre dans l’URSS. Elle demande une fédération, Lénine qui rêve d’une révolution mondiale « dénationalisée » rejette l’idée. Son idée de communisme repose sur la dépersonnalisation du citoyen ouvrier au service de la totalité.  Après sa mort, Staline entre au pouvoir, on sait comment. Il ordonne la collectivisation forcée de l’agriculture qui va engendrer d’horribles famines, la terreur de la police secrète, les déportations massives dans les Goulags, en fait, tout ce que faisaient le Tsar et Lénine, mais à une échelle sans précédent. On évalue à quatre millions le nombre de morts, juste en Ukraine. Plus de 200 000 Ukrainiens, beaucoup de Juifs parmi eux, trouvent refuge au Canada et aux États-Unis. La stratégie de Staline consiste à diviser les communautés, mélanger les ethnies, les cultures et la langue, y aller arbitrairement, procéder par dénonciations. Impossible de faire confiance à qui que ce soit, plus de langue maternelle, plus d’amitié, plus d’intimité, plus d’initiative personnelle. La population ukrainienne a longtemps vécu à l’ombre d’états oppressifs, et c’est dans l’oppression qu’elle s’est forgé une solidarité d’aspiration à la liberté personnelle et qu’elle a conservé sa langue propre.

Les nazis vont exploiter la langue ukrainienne à des fins de propagande. Lorsque l’Allemagne nazie envahit l’URSS en 1941, certains Ukrainiens accueillent la Wehrmacht en libératrice. Ce qui n’empêche pas des massacres de Juifs et de rebelles. En 1944, l’Armée russe réussit à libérer l’Ukraine des nazis. Les Ukrainiens qui avaient supposément collaboré avec les Allemands sont internés dans les Goulags. L’armée insurrectionnelle ukrainienne continue son combat contre l’assimilation. À la fin de la guerre, les pertes ukrainiennes s’élèvent approximativement à 8 millions. Du fait de sa victoire, l’URSS entre au conseil de sécurité des Nations Unies avec un droit de veto et tous les crimes de Staline restent secrets. Victorieux, Staline déplace des frontières et des populations à l’intérieur de l’URSS, un demi-million d’Ukrainiens sont envoyés ailleurs en Union soviétique. La reconstruction commence, les autorités soviétiques choisissent de donner la priorité à l’industrie lourde au détriment de l’agriculture. Une troisième grande famine ravage le pays dont le potentiel agricole est unique, le fameux tchernoziom, une terre noire particulièrement fertile.

À la suite du décès de Staline en 1953, Khrouchtchev natif d’Ukraine et qui l’a gouvernée de nombreuses années va progressivement faire exécuter ses concurrents et obtenir les pleins pouvoirs de l’URSS (1958). Il transfère la Crimée à l’Ukraine. Les Tatares qui occupaient la Crimée avaient été déportés en Sibérie durant le règne de Staline. Les colons russes qui les ont remplacés ont cependant de la difficulté à s’adapter aux conditions climatiques. L’agricole s’effondre. Khrouchtchev qui a dénoncé les déportations menées par Staline envoie des dizaines de milliers d’Ukrainiens dans les Goulags pour avoir participé au mouvement nationaliste. On donne à L’Ukraine une mission essentiellement industrielle : grands barrages, usines chimiques, aciéries, un rôle majeur dans le programme spatial et le nucléaire civil. L’Ukraine est ainsi fortement liée à la Russie.

En 1986, boum! la catastrophe nucléaire de Tchernobyl. L’Ukraine prend conscience qu’elle devient le dépotoir nucléaire de l’URSS. Cette même année, la libération d’un grand nombre de détenus politiques favorise l’organisation de groupes de défense des droits de la personne. En 1989, c’est la chute du mur de Berlin. En 1990, le bloc démocratique obtient environ 25 % des sièges au Parlement. Le Parlement adopte la Déclaration sur la souveraineté politique de l’Ukraine. En 1991, le président Kravtchouk fait du resserrement des liens avec l’Europe démocratique sa priorité. Son successeur, Koutchma, ramène l’Ukraine à la Russie, mais affirme ne pas vouloir devenir son vassal. Il raconte que sa priorité est d’intégrer l’Ukraine à l’Union européenne et à l’OTAN. Durant cette décennie, l’Ukraine connaît un effondrement économique, une redistribution très inégale des richesses et la montée des oligarques. Le gaz russe dont dépend l’Ukraine, ainsi que d’autres biens font l’objet d’un chantage. Se détacher de l’URSS sera très difficile économiquement autant que politiquement. En 2013, un accord d’association doit être signé entre l’Union européenne et l’Ukraine. En raison de pressions russes, l’accord échoue. Ce revirement entraîne d’immenses manifestations réprimées dans le sang. L’opposant Ioulia Tymochenko est libéré et fait sa première apparition le soir sur la place de l’Indépendance, en fauteuil roulant, après deux années de détention… En mars 2014, la Russie annexe la Crimée. La guerre commence.Volodymyr Zelensky arrive au pouvoir en 2021, il lutte contre les oligarques et contre la corruption (viscérale dans l’organisation étatique russe) et se tourne vers l’Europe et l’OTAN. Poutine nie le droit à l’existence d’un État ukrainien, mais surtout, à l’existence des personnes. Le citoyen n’est qu’un simple rouage d’un État totalitaire qui a droit de vie ou de mort sur ses sujets.

Totalitarisme russe

Si quelqu’un entretenait encore des illusions sur Benjamin Netanyahu et sa garde rapprochée, il n’en a plus. Et des sondages montrent qu’une majorité en Israël est toujours favorable aux frappes. Nous reviendrons sur ce genre de délire par résonance entre un chef et un peuple dans lequel un masque d’insensibilité et d’entêtement buté cachent une folie furieuse littéralement délirante. 

Je voudrais maintenant aborder le sujet d’un autre délire quelque peu similaire, celui de Vladimir Poutine et de sa garde rapprochée qui s’acharnent sur l’Ukraine tout en disant que c’est une partie de la Russie. Que se passe-t-il sous cet autre délire qui consiste à imaginer qu’on peut conquérir par des gestes affreux et repoussants ce qu’on n’arrive pas à conquérir par l’attraction de la paix et du bonheur de vivre?

Il nous faut relire l’histoire de la Russie, puis celle de l’Unkraine, alors peut-être verrons-nous l’obsession sous-jacente au délire.

Peinture de Michel Casavant

Entre l’an 800 et l’an 1200, les Varègues (Vikings de l’Est) construisaient Novgorod et Kiev. Les Varègues pillaient, un métier pratiqué un peu partout sur le continent, ce qui leur permettait d’entretenir de lucratifs comptoirs commerciaux jusqu’à Byzance. Les Petchenègues, eux aussi, pillaient. Ils s’installèrent sur le rivage de la mer Noire. Ils s’entendirent avec les Varègues par traités. En 1226, des Mongols, intraitables ceux-là, envahir les principautés de Russie. Ensuite, les Tatars réduisirent en cendre Kiev, Rostov et Moscou. Seule Novgorod résistait aux invasions. Plus tard, par guerres et traités, Moscou prit de la vigueur et vassalisa les principautés sur un immense territoire. C’est en 1547 que la Russie devient un Tsarat. Par traité, la Russie et la Chine développèrent entre eux le commerce. En Eurasie, la paix, n’est toujours qu’une trêve. Les trêves sont nécessaires lorsque les forces viennent à égalité. Durant les trêves, le commerce permet l’augmentation des forces. Le plus fort déclenchera la prochaine guerre. Le cycle banal de l’économie politique.

En 1682, Pierre le Grand monte sur le trône, entre en guerre et réussit à conquérir des débouchés sur la mer Baltique. Sur Novgorod, il fait construire Saint-Pétersbourg et se proclame empereur (du verbe emparer). L’Empire entreprend de nouvelles colonisations : l’Arménie et les pays avoisinants, ensuite il s’empare d’une partie de l’Empire perse, il vend l’Alaska aux États-Unis pour financer ses conquêtes. La Russie s’étend sur la Turquie, l’Allemagne, l’Ukraine, La Pologne… Elle finit même par gagner sur Napoléon, mais la Révolution française a semé son germe. Pendant la Première Guerre mondiale, l’Empire russe entre en guerre pour défendre son alliée, la Serbie, contre l’Allemagne et l’Empire d’Autriche-Hongrie. Elle subit de nombreuses défaites et se retire du conflit en 1917 afin de réprimer la révolution qui éclate en son sein. En 1918, le traité de Brest-Litvosk exige que la Russie abandonne un énorme territoire à l’Allemagne, dont l’Ukraine et la Biélorussie et lui verse 94 tonnes d’or. La grande humiliation. En 1917, la vie en Russie rime avec la misère et la famine, les ferments de la révolution. Le peuple se soulève contre le tsar, les soldats refusent de le défendre. Il abdique.

La guerre civile oppose les Rouges de Lénine, les Blancs tsaristes et les Verts démocrates ou anarchistes. La terreur est partout inimaginable. Les Rouges finissent par écraser les Blancs et les Verts en 1923. À la fin de la guerre, les bolcheviks de Lénine ont reconquis la grande majorité du territoire qui devient l’URSS. Lénine s’empare du pouvoir, se débarrasse de ses opposants, fait assassiner la famille du tsar, s’installe au Kremlin (où résidait le tsar), met en place la Tchéka (police semblable à celle du tsar) et gonfle les goulags de prisonniers politiques (comme le faisait le tsar). Il meurt en 1924. Staline prend le « trône » en1929 après avoir éliminé des opposants. Dès son arrivée, il augmente de beaucoup les stratégies de son prédécesseur (la grande purge, les tortures et les exécutions, les déportations de masse…).

En 1939, Staline signe avec Hitler un pacte secret de non-agression. Ce pacte définissait, entre autres, le départage de tous les pays entre l’URSS et l’Allemagne nazie. En 1941, l’Allemagne attaque l’Union soviétique. Après d’énormes pertes, l’armée rouge regagne le terrain perdu, et continue en prenant les pays d’Europe de l’Est et l’Allemagne jusqu’à Berlin. Parce que l’Allemagne nazie a perdu, toutes les horreurs qu’elle a perpétrées sont exposées à la vue de tous. Staline est vainqueur, avec la complicité des Alliés, ses crimes restent secrets. 

En 1946, alors que les anciennes grandes puissances européennes se sont écroulées, il ne reste plus que deux empires : l’URSS et les États-Unis. Les deux sont radicalement différents du point de vue idéologique. Les États-Unis s’entourent de tous leurs alliés pour former une alliance militaire, l’OTAN. L’URSS forme une alliance similaire avec les pays d’Europe de l’Est. Et c’est la course aux armements les plus monstrueux. L’équilibre de la terreur nucléaire.

En 1985, Gorbatchev prend le pouvoir. L’économie de l’URSS est à terre et nombre de pays du Pacte de Varsovie veulent leur indépendance. Gorbatchev tente une avancée vers la démocratie et une décentralisation de l’économie (en somme, une sortie du totalitarisme en prenant en considération l’existence d’individus). Nombre de populations le prennent au mot, c’est la chute du mur de Berlin et la réunification allemande (1990).

En 1991, l’Armée rouge tente de renverser le gouvernement de Gorbatchev. Le putsch échoue grâce à l’intervention de Boris Eltsine, alors président. La même année, 11 des 15 présidents des républiques autonomes soviétiques se rejoignent au Kazakhstan pour décider la dislocation de l’URSS en démocraties indépendantes. Les débuts de la Russie dépouillée de ses satellites furent marqués par une forte crise économique et la guerre contre les Tchétchènes. Eltsine démissionne et nomme Vladimir Poutine à la tête du pays. Il écrase la révolte Tchéchène dans le sang et la terreur. Il redresse l’économie en utilisant le pétrole et le gaz naturel comme ressource pour inféoder les anciens pays du Pacte de Varsovie et la plus grande partie possible de l’Europe.  Il reprend la Géorgie et annexe la Crimée. Il crée l’Union économique de l’Eurasie.

Bref, l’idée d’empire totalitaire reste l’éternel fond de la Russie qui n’a jamais vraiment connu autre chose. La « Grandeur nationale » se mesure à la grandeur de ce que l’on soumet : territoire, ressources, populations. Cela se fait par la plus petite idée qu’on peut avoir de la « Grandeur » (une idéologie) et par les armes. L’empire totalitaire est en soi l’idée d’une masse humaine désindividualisée et soudée derrière un seul surhomme hanté par cette « Grandeur ». Dans un tel empire totalitaire, toute idée d’existence d’un individu (un être qui refuse de se confondre avec la masse) doit être éradiquée. Il s’agit d’un combat de tous les jours.

L’ordre et le désordre

Dans le monde réel, il n’y a jamais de solution, car il n’y a pas de problème (les problèmes sont formés dans notre esprit), il n’y a que des forces de désorganisation (entropie[1]) et l’émergence d’organisations (néguentropie[2]).

Tableau de Pierre Lussier

Les forces sont par essence entropiques, on dirait des bombes, beaucoup d’énergie en peu de temps, peu d’intelligence et pas de conscience. Une structure très hiérarchisée ou peu de personnes pensent pour beaucoup d’exécutants est très peu intelligente (elle n’additionne pas les intelligences, elle les inhibe). Une structure aveugle sur ses conséquences n’utilise pas le « voir » de la conscience. Elle utilise le maximum d’énergie pour reproduire toujours les mêmes biens, les mêmes services, les mêmes comportements.

Pour faire émerger un système organique, il faut beaucoup de conscience, des intelligences qui travaillent ensemble, une conscience qui voit ce qu’elle fait et un faible flux d’énergie constant. Une organisation très participative, où les finalités sont réfléchies pour entrer en harmonie avec l’environnement complexe de la nature et de la société humaine, émerge de relations adaptatives, par exemple, une ferme collective qui fait des jardins écologiques, une association de citoyens pour la participation de tous à la vie municipale…. 

À cet égard, il y a deux sortes d’ordre :

  1. L’ordre planifié policier : des structures et des plans définis par peu de personnes où tout est prévu, prédéfini et exécuté comme des programmes. Ce genre d’ordre est « forcé » par lois, règlements, programmation, bureaucratie, sanctions… Plus une société s’oriente vers ce type d’ordre, plus elle se dirige vers l’éclatement, c’est-à-dire le désordre : les polarisations, les divisions, les confrontations violentes, les soulèvements… Plus elle retarde ce désordre, plus il sera explosif. 
  2. L’ordre organique : il émerge d’un système où chaque élément voit, juge, agit en fonction d’une finalité qui s’adapte à l’environnement à mesure que l’intelligence collective voit et agit. C’est ce type d’ordre qui préside à la vie. On le retrouve dans des mouvements agiles d’intelligences collectives et créatrices.

Même se le premier est nécessaire, c’est ce deuxième type d’ordre qu’il nous faut pour rendre viable les sociétés humaines qui ne peuvent échapper au monde de la vie, la nature. Ce type d’ordre ne peut émerger que d’une solidarité de consciences. L’ordre planifié et programmé, l’ordre reproducteur du même et donc conservateur est généralisé dans nos sociétés, aussi nos sociétés évoluent vers le désordre organique et adaptatif. Saint-Exupéry entend par démocratie : une manière de vivre qui utilise les capacités créatrices de chaque être humain au service d’un dessein commun qui sollicite notre intervention continue.


[1] Entropie : loi physique qui précise que toute dépense d’énergie diminue la complexité, par exemple une bombe, c’est beaucoup d’énergie et peu d’intelligence, son effet : désorganisation, destruction, mort des organismes complexes comme les êtres vivants.

[2] Néguentropie : le contraire de l’entropie, c’est-à-dire la complexification. La complexification demande un flux d’énergie stable, doux et continue, comme par exemple les rayons solaires, alors les molécules se complexifient et peuvent arriver à former des êtres vivants. L’intelligence adaptative augmente.

Voir clairement l’impasse

Avant de continuer sur les faits (nous aborderons bientôt, l’invasion russe de l’Ukraine), je voudrais expliciter les impasses que toute conscience, sans doute, ressent :

  • l’augmentation des températures, des tempêtes, des sécheresses, des feux, des inondations et l’inexistence d’une instance capable d’agir sur les causes;
  • la fragmentation de l’information et la désinformation qui découpent les collectivités en silos tout en les clivant de la réalité et l’inexistence d’une instance capable d’agir sur les manipulateurs d’informations;
  • la montée de la haine inévitable dans des systèmes clos qui se sentent existentiellement menacés (comme Israël et la Palestine, par exemple) et l’inexistence d’une instance capable d’empêcher les massacres;
  • la facilité des collectivités anxieuses à se rallier à n’importe quel harangueur de foules qui propose une « solution miracle » et l’inexistence d’une autorité crédible capable de les freiner;
  • l’extraordinaire montée des fortunes qui concentrent tous les pouvoirs entre les mains d’égocentriques souvent maladifs en même temps que la descente aux enfers des laissés pour compte et l’inexistence d’une instance capable d’assurer une régulation économique.

Peinture de Michel Casavant

L’impasse est si nette, si étendue et si aiguë qu’elle ne peut être que ressentie. Nous sommes humains, nous ressentons avant d’être capables de nous « mettre les yeux en face des trous ». La conscience qui ressent l’impasse est notre moteur de changements adaptatifs dans la mesure où elle voit une issue. Elle paralyse lorsqu’elle n’en voit pas.

Nous sommes à l’étape où la conscience doit affronter l’énorme défi du processus de solidarisation menant à l’émergence d’un organe mondial de décisions collectives. À ce titre, la solution ne peut que commencer par la base : l’éveil.

Aussi, nous irons toujours du négatif au positif, du défi à l’issue.

L’angoisse heureuse

Il nous faut ici revenir sur une idée générale. Plus l’angoisse refoulée augmente, plus les idées petites, simplistes, fermées attirent et capturent comme un remède miracle à toutes les maladies. Par, exemple : « les Palestiniens n’ont qu’à partir dans leur pays, ils ont déjà un État : la Jordanie », ou la contre-thèse : « que l’Europe reprenne ses colons juifs, comme elle a rapatrié la plus grande partie de ses colons en Afrique. » Plus ces idées miracles capturent, plus l’angoisse devient pathologique, car compressée dans une petite idée fausse et irréalisable. Durant ce temps, les structures de pouvoir légales ou illégales augmentent en armement, en argent, en puissance économique et médiatique pour mieux tasser le plus de monde possible dans des idéologies (idées petites et closes par définition). 

Lorsque l’angoisse atteint un certain seuil de compression par écrasement sur soi dans une idée bornée de soi et du monde (une idéologie), c’est la déflagration sociale : les hommes de pouvoir deviennent fous de pouvoir, l’obéissance tourne au délire collectif, les révoltes deviennent des mouvements de panique. Tout le contraire de la montée en montagne pour affronter l’immensité du bien et du mal en nous-mêmes. De quoi sommes-nous faite pour que nous puissions devenir monstre ou sage, gouffre ou phare?

Se rentrer la tête dans un trou à peine assez grand pour la contenir n’aide personne. Car nous ressentons que le reste de notre corps n’est à l’abri de rien. Nous ne faisons que transmuer notre angoisse existentielle et morale en angoisse pathologique.

Pourtant, l’angoisse devant ce qui nous dépasse en nous est la source même de notre adaptation à notre nature dans la nature. Dans les premiers sous-marins, on amenait des lapins. Si le sous-marin descendait trop bas, les lapins paniquaient sous la pression. On remontait le sous-marin avant qu’il n’explose.

Saint-Exupéry disait lorsqu’il était aux États-Unis alors que son pays était en pleine guerre : « Je souffre de ne pas souffrir avec les miens. » Il écrivait le Petit Prince. Il est revenu en Europe comme pilote de guerre. Là, il était heureux. L’angoisse est un fleuve qui s’apaise dans une issue.

Histoire des Palestiniens

Des études génétiques révèlent que les Palestiniens d’aujourd’hui partagent une continuité avec les populations très anciennes qui vivaient là, à l’âge du bronze, y compris les Juifs[1]. Après la prise de Jérusalem par les Romains, l’influence juive a fortement diminué en Palestine. Entre le IVe et le XIe siècle, la région devient plutôt chrétienne. Cependant, déjà au VIIe siècle, l’islamisation commence. Les musulmans seront majoritaires dès le Moyen Âge. À la fin du XVIIIe siècle, Bonaparte mène campagne en Palestine, il attribue la propriété de la « Terre sainte » au peuple juif. Ensuite, ce fut la conquête des Égyptiens, puis des Ottomans. Il y a toujours eu une population juive en Palestine en bonne entente avec la population musulmane et chrétienne.

Peinture de Pierre Lussier

La révolution communiste russe entraîne la première vague d’immigration juive en Palestine. Les habitants du pays vivent d’une agriculture traditionnelle. Les grands propriétaires terriens vivent dans les grandes villes, parfois aussi loin que Beyrouth, Damas, Paris. C’est à eux, principalement, que les Juifs achètent les terres. À la Première Guerre, le Royaume-Uni, la France et la Russie planifient dans le plus grand secret le partage du Proche-Orient. En réalité, la France et le Royaume-Uni sont en train de perdre la guerre contre les empires austro-hongrois et ottoman (Turc). Ils ont besoin d’alliés pour gagner la guerre. Ils veulent l’engagement de la Russie sur le front Est, celui des peuples arabes sur le front Sud (qui veulent se libérer de la domination ottomane) et des États-Unis pour les armes. Pour s’allier le Tsar de Russie, la France promet de lui « céder » Constantinople et donc un lien maritime vers la Méditerranée. Le Royaume-Uni promet aux Arabes un État indépendant, et aux Juifs (qu’il croit très influent aux États-Unis), un « foyer national juif » en Palestine. Des promesses contradictoires, mais que ne ferait-on pas pour gagner cette satanée guerre de tranchées où meurent des millions de soldats! On découpe la peau de l’ours avant de l’avoir tué.

Consultés, les Arabes de Palestine se prononcent pour un rattachement à la Syrie et non pour un gouvernement « indépendant » sous mandat anglais. Pour contrer ce risque, le Royaume-Uni choisit de soutenir le sionisme pour mieux contrôler la population musulmane. L’immigration des Juifs est rapidement massive. Des émeutes éclatent. En 1928, la commémoration par les Juifs de la destruction du Temple par les Romains est ressentie comme une provocation. De nombreux incidents ont lieu et une rumeur court : un complot juif vise à s’emparer de l’esplanade des Mosquées (lieu sacré des Palestiniens). La rumeur aboutit à des pogroms anti-juifs, des massacres locaux, mais atroces. Le Royaume-Uni décide de limiter l’immigration juive. Débute alors l’immigration illégale. Bientôt, la révolte arabe prend l’allure du jihad. Le gouvernement juif entreprend l’implantation de 51 nouvelles colonies juives. Ce qui aggrave les tensions.

Des groupes armés arabes s’empennent aux Britanniques (la Palestine est sous mandat britannique) et aux Juifs. L’armée anglaise mène une dure répression qui décapite le mouvement musulman. De son côté, l’Irgoun juif commet une série d’attentats à la bombe contre des bus arabes. L’idée juive de « transfert » de population devient majoritaire dans le nouveau gouvernement juif. Pour calmer le jeu, le Royaume-Uni déclare sans équivoque qu’il n’a nullement l’intention de transformer la Palestine en un État juif. Cela ne fait qu’envenimer la polarisation des deux peuples pour la possession indivisible du pays.

Un des grands chefs palestiniens, Amin al-Husseini, rencontre Adolf Hitler et des dirigeants nazis pour les amener à adopter la cause arabe et à étendre leurs mesures anti-juives en Palestine. Mais la majorité des Arabes de Palestine ne le suivront pas. David ben Gourion du gouvernement juif annonce son objectif : la création d’un « commonwealth juif ». En 1944, l’Irgoun organise l’armée juive et lance une campagne d’attentats contre les Britanniques. La milice juive attaque le QG britannique et fait de nombreux morts. En 1947, les Britanniques expulsent l’Exodus des côtes de Palestine avec ses 4 500 survivants de la Shoah. La réplique juive est terrible, le Royaume-Uni abandonne son mandat en Palestine. Il est repris par l’ONU.

L’ONU considère deux options : la solution à deux États indépendants et la fédération à deux États. L’Agence juive coopère, mais pas le Haut Comité arabe qui rejette ce qu’il juge une forme de colonisation de leur territoire par une masse de Juifs européens. Le 29 novembre 1947, l’Assemblée générale de l’ONU vote une résolution sur le partage de la Palestine à deux états. Le territoire israélien proposé couvre 55 % de la Palestine. Le plan est rejeté par la droite sioniste autant que par les Arabes. Des attentats et des représailles surviennent partout. Une troupe syrienne entre en Palestine. Il y a des attaques à l’arme lourde contre des colonies juives. Les forces juives se défendent avec vigueur; 70 000 Palestiniens musulmans partent pour l’étranger. La Haganah, milice juive, reçoit des armes lourdes du Bloc de l’Est en particulier de la Tchécoslovaquie et devient une armée professionnelle. L’URSS veut déstabiliser le Moyen-Orient qui se tourne vers les États-Unis. L’armée juive conquiert Tibériade, Haïfa, Jaffa. Les villages arabes tombent les uns après les autres. On assiste à un autre exode de Palestiniens peut-être 320 000 réfugiés.  Le 14 mai 1948, ben Gourion lit la Déclaration d’indépendance qui proclame la création de l’État d’Israël. Dans les jours qui suivent, des armées composées de Libanais, de Syriens, d’Irakiens, d’Égyptiens se joignent aux forces palestiniennes. Israël se retrouve à nouveau sur la défensive.

Les armes affluent pour aider Israël, principalement des États-Unis. Israël conquiert la plus grande partie de la Palestine. La troisième vague de départ des Palestiniens musulmans est inévitable. On parle de 700 000 personnes. Un exode à la fois intérieur vers la bande de Gaza (qui devient à toute fin pratique un camp de réfugié) et la Cisjordanie, et extérieur vers la Syrie, le Liban et la Jordanie. À la fin, plus de la moitié des Palestiniens musulmans sont des réfugiés. Les départs sont remplacés par les survivants de la Shoah, ainsi que par les Juifs chassés ou fuyant à leur tour les pays arabes. En décembre 1948 : la loi sur les « propriétés abandonnées » permet la saisie des biens de toute personne « absente ». Après, on connaît mieux l’histoire, la Guerre de six jours et le reste.

On voit clairement qu’il ne s’agit pas d’une guerre civile venant uniquement de l’intérieur, au contraire, elle est nourrie de l’extérieur et exacerbée par la Guerre Froide. Gaza vit sous un blocus israélien depuis des années. Seule l’aide humanitaire lui permet de survire. Et maintenant, c’est un massacre systématique avec l’intention ferme d’en finir. Personne ne peut plus douter de l’intention de l’extrême droit juive de se débarrasser d’une grande partie de la population arabe pour assujettir complètement ceux qui resteront.

« Plus d’enfants ont été tués dans la bande de Gaza en quatre mois qu’en quatre ans de guerre dans le monde entier », rapportent les Nations-Unies.


[1] Ranajit Das, Paul Wexler, Mehdi Pirooznia, et Eran Elhaik, parue en juin 2017 chez Frontiers in Genetics.

Massacre à Gaza, le sens

Je ne décrirai pas les horreurs de ce massacre qui continue toujours plus cruellement : les personnes écrasées sous les décombre, les enfants démembrés par les obus, les mères qui meurent de faim avec leurs petits. Ce retour des horreurs commises par les nazis, maintenant commises par les anciennes victimes, ce cycle infernal à la fois injustifiable et absurde. Et si nous en donnions un sens, cela ferait frémir tout le monde. Cette plaie a besoin d’être nue, laide, insupportable, pour nous vacciner à jamais. Nous l’espérons et nous l’espérerons encore dans cent ans… Pourtant, si nous ne voyons pas les médecins, les infirmières, les ambulanciers, les secouristes, les infatigables ouvriers de l’amour toujours là où les journalistes sont interdits, nous risquons le désespoir, et le cycle de l’horreur et des traumatismes ne s’arrêtera jamais.

Lorsque nous plongeons le regard dans le mal, nous ne voyons que des montées de peur existentielle chez les deux peuples, des montées de peur qui deviennent des montées de colère, qui deviennent des montées de haine et ensuite, un envahissement de traumatismes, qui se transforme en un délire collectif horrible, une abomination. Et comme toujours, le plus armé l’emporte, mais il l’emporte au prix d’exposer la gratuité de sa haine et de sa cruauté. Est-ce l’éternelle reproduction du cercle vicieux de la vengeance, vengeance qui, au Moyen-Orient, est depuis Hammourabi, un devoir? Quelque chose dépasse de beaucoup le cercle vicieux de l’horreur. Le sens de tout cela est à chercher dans l’absurdité elle-même de ce que les survivants juifs ont appelé : « le mal absolu ».

Après la Deuxième Guerre mondiale, après les horreurs des camps de concentration et des goulags, il y eut un énorme écœurement dans toute l’Europe et l’Asie. L’humanité voulait se vomir, remplie de honte d’elle-même. Les intellectuels juifs se sont divisés entre trois thèses : 

  1. Dieu ne pouvait plus exister… Beaucoup en sont restés là!
  2. Dieu lui-même est un monstre, le malheur est dans la vie elle-même… Comme les Grecs et les Romains : transférer le mal et ses causes chez les dieux…;
  3. Ce n’est pas l’inhumanité qui a fait l’horreur, c’est notre humanité à tous, nous sommes tous des nazis en potentiel…

Les trois thèses sont devenues existentielles dans la psyché traumatisée. L’esthétique du désespoir qui prit tant de place dans la littérature. La troisième hypothèse est la plus désespérante, elle affirme la folie inévitable de « l’animal conscient » lorsqu’il prend conscience de l’absurdité intrinsèque du monde. Cette thèse unit les trois idées : Dieu n’existe pas, la « Matière, l’Énergie et le Hazard » (la nouvelle Trinité) règnent, la machine de l’univers est absurde et cela mène au pire délire. Cet esthétisme tient à condition qu’il engendre une révolte contre le mal en nous. Mais comment transcender le mal alors que la machine de l’univers est fondamentalement absurde? Elle broie la vie et nous allons tous au néant! L’angoisse latente de cette thèse ne pouvait qu’entraîner une puissante réaction vers les fondamentalismes religieux. Plus l’angoisse est grande, plus les doctrines ont besoin d’être étroites. C’est comme serrer un bébé dans ses langes pour le sécuriser pour qu’il dorme enfin.

Tous ces courants résultent d’une grande démission vis-à-vis du sens même de l’existence. Tout à coup, la raison est confinée à la science, les problèmes existentiels sont abandonnés à l’irrationnel. La philosophie elle-même sonne la cloche, c’est la fin de la métaphysique. L’être humain atteint des sommets de rationalité vis-à-vis de la science et de la technique, mais tout l’univers du sens est laissé aux forces inconscientes de la machine humaine dans la machine de l’univers.

Les rares intellectuels qui n’ont pas été emportés par cette grande démission ont tenté de défendre l’idée que nous n’étions pas voués à la fatalité d’une angoisse pathologique. Nous pouvions affronter notre angoisse existentielle et voir l’univers autrement. La métaphysique était capable d’affronter le vertige de l’immense mystère de l’univers. Si la science pouvait découvrir en partie comment fonctionne la physique, la chimie et la biologie; la philosophie, la métaphysique pouvaient, par une tout autre méthode, avancer dans l’ordre du sens.

Avec d’autres, je ne renoncerai pas à cette issue.

Au sortir des horreurs de la Dernière guerre, il était nécessaire de refonder la métaphysique sur des bases logiques etexpérientielles. Des philosophes comme Jan Patocka, Simone Weil, Hermann Broch, Raymond Abellio, Louis Lavelle et tant d’autres se sont avancés dans cette direction. La route des nouvelles sagesses se développait sur un sérieux effort de tirer le meilleur des sagesses anciennes dont le pire, nous avait mener au désastre. Mais qui les connaît?

Dans le contexte de l’humanité face au vertige de son propre mystère, la fureur de la droite israélienne est particulièrement troublante puisque la Torah juive (presque l’Ancien Testament chrétien) est la base la plus connue de presque toutes les civilisations actuelles, je veux dire de presque toutes les civilisations conquérantes qui ont justement éliminé ou assimilé les civilisations collaboratrices. Bref, ce qui se passe à Gaza est le reflet d’un délire existentiel bien réel qui nous accable tous.

C’est donc le temps et le lieu pour comprendre les impasses, et comme l’eau, avancer entre les impasses en se fracassant dessus. « Ce qui me tourmente, dit Saint-Exupéry dans Terre des hommes, ce ne sont pas ces creux et ses bosses, ni cette laideur. C’est un peu, dans chaque homme, Mozart assassiné. »

La semaine prochaine nous nous pencherons sur l’histoire des Palestiniens, cela nous éclairera peut-être vers une issue.

Le mal être d’Israël, quelques faits

Dans la série de blogues sur Le sens des faits, il y aura toujours des faits et le sens de ces faits en alternance, un blogue après l’autre. Comme les faits sont souvent désespérants, alors que le sens nous donne à espérer, je ne laisserai pas le lecteur longtemps dans le vide ou l’absurde, je tenterai de riposter par le sens dans les jours qui suivent. C’est pour moi une aventure, je ne sais pas si je trouverai chaque fois une issue.

Le mal être d’Israël tourne au délire tragique

Durant la dernière guerre mondiale, le régime nazi a exterminé 6 millions de Polonais, 6 millions de Juifs et 2 millions de Tziganes et le régime de Staline en a fait probablement autant, à petit feu, à travers les millions de déportés dans les goulags. Ce qu’on occulte souvent, c’est le génocide culturel presque total de la culture yiddish. Tous leurs biens et œuvres d’art ont été confisqués, les synagogues ont été incendiées, on a même retourné les cimetières pour profaner les morts. À la bibliothèque bavaroise de Munich, on a détruit plus de 500 000 volumes yiddish, à celle de Hambourg, 650 000, à l’université de Münster, 360 000. À Vilnius, 600 ans de culture yiddish ont été détruits. Du côté de Staline, la totalité des institutions culturelles yiddish a été fermée, les orphelinats, les jardins d’enfance, les yeshivas.

Peinture de Michel Casavant

On peut comprendre dans quel état émotif et mental se retrouvait le monde juif après la guerre, et leur motivation à prendre pays, à devenir un État capable de se défendre. Et ce ne fut pas facile. Après six mois de guerre civile intense entre les populations juives et arabes, en mai 1948, l’État d’Israël est proclamé. Les États arabes voisins contestent sa création et envahissent le pays. Alors que l’ONU propose des plans de partage, Israël s’est fortement mobilisé et armé. Il emporte la Galilée, la majeure partie de la zone côtière, l’ouest de la Judée… Plus de 350 000 Palestiniens fuient le pays. Simultanément, 600 000 Juifs quittent les pays arabes pour cause de persécutions. 

En 1967, avec l’aide de la Syrie et de la Jordanie, l’Égypte essaie d’étouffer Israël par un blocus sur le détroit de Tiran. Elle a rassemblé ses avions, elle est prête à une attaque massive. Mais Israël est informé. Son armée de l’air attaque et détruit au sol l’aviation égyptienne. La guerre dure six jours. Israël a triplé son territoire; l’Égypte a perdu la bande de Gaza et la péninsule du Sinaï; la Syrie est amputée du plateau du Golan; la Jordanie est dépossédée de la Cisjordanie. La vieille ville de Jérusalem est entrée sous le contrôle d’Israël.

Six ans plus tard, l’Égypte et la Syrie attaquent Israël pour retrouver les territoires perdus. Derrière, c’est la Guerre froide. L’URSS arme l’Égypte et la Syrie; les États-Unis, Israël. Mais aucun des deux grands ne veut déstabiliser complètement le Moyen-Orient. Israël gagne, mais doit rétrocéder certains territoires. La ligue arabe réagit en resserrant la vente du pétrole. S’ensuit le choc pétrolier. Et ça va continuer.

Oui, Israël est inquiet pour son existence même, une angoisse existentielle tout à fait compréhensible. Il est entouré par un ensemble de Pays musulmans qui, s’ils s’unissaient, pourraient peut-être l’anéantir malgré ses 90 ogives nucléaires. Mais l’angoisse existentielle devient, à mon sens, pathologique, quelque chose d’inconscient pousse Israël à forcer l’évacuation des Palestiniens au risque de perdre une présence qui freine les nations arabes à une attaque massive contre lui. À cet égard, les Palestiniens sont un peu des otages pour Israël.

Aussi, en 2005, après 38 ans d’occupation juive de la bande de Gaza, le Hamas, favorisé par Israël lui-même, remporte les élections, évince le Fatah (qui reste l’autorité palestinienne en Cisjordanie) et gouverne les quelque deux millions de Gazaouis. Israël retire son armée et sa police, évacue de force 21 colonies juives (environ 7 000 Juifs), et scelle Gaza par un blocus quasi total. Israël laisse passer le financement du Hamas et ferme les yeux sur la construction des tunnels et la préparation souterraine d’une inévitable attaque. Ensuite, elle retire une grande partie de ses troupes pour aider la colonisation juive de la Cisjordanie.

Le 7 octobre 2023, c’est l’horrible massacre perpétré par le Hamas dans les kibboutz (généralement des Juifs qui recherchent la paix) avec prises d’otages. Israël contre-attaque, si on compte les disparus sous les décombres, on arrive à au-delà de 30000 morts. Et la soif, et la faim, et les blessés graves mourant par manque de soins, et les épidémies, et les accouchements sur la rue… Un bilan qui ne sera jamais sans doute fait.

Israël parle sérieusement de recoloniser la Bande de Gaza…. Durant tout ce temps les États-Unis tergiversent, s’ingénient de diplomatie, continuent à armer Israël et font rire d’eux.

Le massacre continue. Manifestement, le conseil de guerre d’Israël veut se débarrasser d’une grande partie de la population palestinienne pour mieux assujettir ceux qui survivront et resteront.

Nous verrons bientôt quel sens on peut dégager de ces faits.

Le sens des faits

Massacre à Gaza, la dictature de Poutine qui attaque l’Ukraine et réinstalle les Goulags, l’érosion des démocraties si fragiles, crise climatique, extinction des espèces… Nous disons parfois : « Ce que nous ne savons pas ne nous fait pas mal ». C’est la stratégie du cancer pour tuer. C’est le feu dans la cuisine du voisin qui n’avait pas d’alarme et a détruit tout l’immeuble. C’est la stratégie de l’homme de pouvoir pour faire ses mauvais coups par en dessous. C’est le refoulement de ce qu’on refuse de ressentir et qui finit par éclater en névrose et parfois, en psychose.

Peinture de Michel Casavant

Pour ma part, je pense que c’est ce que nous ne ressentons pas, ne voyons pas, ne savons pas qui nous détruit personnellement et collectivement. En psychothérapie, ressentir est déjà guérisseur, voir est encore mieux, comprendre change tout. En médecine, savoir sauve des vies. En démocratie, voir et comprendre est la clef de notre survie…

Bon! Il y a parfois le douloureux sentiment d’impuissance. Mais l’impuissance est précisément un sentiment qui se développe dans le brouillard, parce que nous n’y voyons rien. Voir c’est déjà entrer dans le monde réel. L’impuissance diminue à mesure que nous entrons dans le monde réel.

C’est pourquoi je veux ouvrir ici une nouvelle série de blogues, car nous n’en avons pas fini avec la haine, les massacres de masse et même la torture, nous n’en avons pas fini avec la surconsommation, la crise climatique, l’extinction des espèces. Ce n’est pas nouveau, ce qui est nouveau, c’est que la partie la plus aveuglée du monde agit avec des moyens militaires, industriels, techniques et économiques énormes. Voir angoisse, mais c’est une angoisse salvatrice (nous verrons plus tard comment). Se fermer les yeux engendre une angoisse pathologique qui n’est utile qu’à nous gruger de l’intérieur et à donner au pouvoir politique le silence dont ils ont besoin pour régner. 

Évidemment, voir, ce n’est pas tourner en rond dans des « nouvelles » négatives, c’est découvrir ce qui émerge dans ce qui se brise, c’est débrouiller le sens de ce qui apparaît insensé, c’est apercevoir une issue, c’est discerner le jour en train de s’introduire dans la nuit et découvrir la métamorphose dans les déchirures du cocon.

Dans les blogues de cette série, nous allons tenter de prendre acte des faits pour nous en déprendre et comprendre leurs significations afin d’avancer vers l’aube d’une humanité.