Métaphysique 4

Qui est l’informe qui nous transforme?
Est-ce toi la caresse et moi la vibration?
Tu me fais, me défais, me refais.
Mais comment te distinguer
des sensations profondes de mon esprit incarné?
Tu es mon Verbe.
Nous serons des milliards à n’être qu’un.

Nous serons des milliards à n’être qu’un, qu’est-ce que cela signifie?

L’ouvert* oblige la transformation, la différenciation et la complexification, sinon, ce serait l’homogénéité statique, la solitude totale. La transformation est un changement de forme, un changement dans l’information. Un jeu réciproque d’échanges de vibrations.

Tout ce qui est possible finira par advenir lorsque les conditions le permettront, même l’improbable. La pensée cherche toujours à déployer toutes les possibilités réalisables, et même, les plus improbables. 

La recherche de différenciation suppose la complexification, l’augmentation des liaisons, l’harmonisation des différences… Ne l’oublions pas, mémoire = réitération de l’information. La lumière est mémoire, les atomes sont mémoires, les roches sont mémoires, les gènes sont mémoires… En réalité, tout ce qui est visible, tangible, audible est mémoire et nous force à nous adapter. Mais si la mémoire était absolue, elle étoufferait toute créativité.

L’Esprit est donc soumis à la nécessité de l’entropie*, l’érosion de l’information, la défaillance de la mémoire pour alléger l’Esprit et stimuler sa créativité. Mais l’entropie* ne suffit pas. Il faut son contraire, la néguentropie*, la créativité, les tentatives d’améliorations, l’ajout d’informations, de complexité*.

La néguentropie* est orientée vers l’ouvert comme si elle recherchait l’infinie complexité, diversité, liaisons, corrélations* à longue portée. L’entropie tend à réduire cette complexité comme si elle cherchait à revenir en arrière.

Le temps entropique suit les chaînes enchevêtrées des causes et des effets. Pour chaque grain d’énergie dépensée, l’entropie réduit d’un degré la complexité en brisant des liaisons, désagrégeant des informations. Notre métabolisme résulte d’un jeu de déliaison des nutriments et de reliaison des protéines. Le temps néguentropique utilise l’entropie pour ajouter et ajuster à la complexité. Par exemple, un soleil brûle de l’énergie gravitationnelle qui compresse les atomes, mais dans son cœur*, il augmente la diversité des atomes, leurs complexités, leurs liaisons. Diffusant un flux thermique stable vers ses planètes (mouvement entropique), il y provoque des liaisons complexes et même, dans certaines conditions, la vie (mouvement néguentropique).

Ces deux mouvements vont entraîner des miracles, des sauts par-dessus les possibles pour engendrer des improbables qui devront s’adapter au déjà réalisé. Néanmoins toutes ces pertes et ces gains restent liés : « Nous serons des milliards à n’être qu’un. »

Tambour de Jean Bédard

Tu m’es intérieur, tu m’es extérieur,
tu me laisses te pénétrer, tu m’enveloppes,
je rêve, je suis, je cherche ton visage.
J’ouvre la fenêtre, tu te fais autre.
Demain, je me reposerai sur la plage, 
par petites vagues, la marée m’inondera de toi…

« Je rêve, je suis, je cherche ton visage. J’ouvre la fenêtre, tu te fais autre. »

Dans l’Esprit, la pensée découvre ce que peut devenir l’Être et ce qu’il ne peut pas devenir. Dans le devenir se reflètent les creux (ce qui ne peut être toléré qu’un temps) et les saillies (ce qui est un surpassement dans la durée) de l’Être. Un visage est fait de creux et de saillies, de retraits et d’avancées, de caché et de montré.

En réfléchissant et en créant, mon esprit participe du devenir et participe au devenir. Par ce fait, ce qui était prévu bafouille et trébuche, mais ces défaillances engendrent parfois des développements bien plus grands que prévu. Par exemple, une personne en santé tombe malade, elle combat la maladie, elle réussit à la vaincre, sa santé n’est plus seulement l’équilibre précédent, elle a acquis de meilleures armes contre les maladies futures. 

« J’ouvre la fenêtre, tu te fais autre. »

En moi, ton silence est une onde.
Sur ma peau, ton silence est une brise.
Les ailes suspendues dans tes fluides, 
je danse.

Je danse. Cette oscillation et ce tourbillon si présents dans la poésie et la pratique soufie, quel sens a-t-elle?

Lorsque la pensée pense la logique, elle n’est pas enfermée dans une forme de logique qu’on pourrait définir absolument, elle découvre la logique au fil de son exercice. Si elle la découvre, c’est qu’elle est là (en potentiel) dans la structure même de l’Être-Esprit. Mais la pensée n’est pas prisonnière de l’Être (car l’Être est Esprit).

Il y a deux ouverts : le très ouvert, celui de l’imagination et l’ouvert contraint, celui de la réalisation. L’esprit humain ne peut que danser, osciller et tourbillonner entre ciel et terre.

Je chante. Mon corps vibre.
Le son me répond avec une harmonie qui me saisit.
Est-ce toi, est-ce moi, est-ce notre combat, notre union?
Je me compose de toi.

Le son me répond avec une harmonie qui me saisit. L’harmonie* est sans doute le plus grand mystère de l’Être-Esprit en devenir.

Tous les impossibles et les possibles logiques forment une sorte de réservoir à réaliser, c’est un potentiel répondant*. Le logicien, n’importe quel logicien (un potentiel actif*), peut découvrir des morceaux du potentiel logique répondant. La pensée logique est un verbe qui se forme dans une plongée au cœur des potentiels répondants de la logique. C’est vrai pour tous les actes de n’importe quel esprit.

Rien n’est créé du vide absolu. Mais, rien ne sort du néant. Tout surgit de potentiels toujours ineffables, mais jamais incohérents. Une composition musicale, par exemple, surgit des possibilités de la musique qui ne sont pas n’importe quoi. Certaines ondes sont incompatibles entre elles.

On doit retenir que les impasses sont définissables, mais pas les ouvertures. Sur une route, un mur a une forme précise, il se tient à un endroit précis dans une forme finie avec une résistance déterminée. Mais à côté du mur, au-dessus, en dessous, il y a l’ouvert indéfini, indéfinissable et pourtant, pas n’importe quoi. Cet ouvert est toujours ancré dans le fond logique et écologique (en accord avec le déjà réalisé)… Et cela se traduit par une sorte d’harmonie* qui se forme lentement, comme par l’arrière, et fait que le devenir est sous le contrôle de deux choses :

  • les contraintes de la cohérence;
  • la nécessité d’une harmonie qui veille à maintenir un certain équilibre et une certaine beauté…

Nous étions si légers.
Insouciant, j’ai chanté dans le tintement de tes oiseaux.
L’écho strident a froissé l’harmonie.
Où sont les cavernes qui nous réfractent?

Où sont les cavernes qui nous réfractentqui nous corrigent?

La réflexion est possible dans l’imaginaire. Mais il est impossible de tout réfléchir avant de réaliser quelque chose. Pourquoi! Parce que la créativité toujours l’emporte sur la connaissance. Sinon, l’Être plein serait là sous l’Être comme un Dieu omnipotent, et alors l’Absolu serait défini (erreur logique) et les dogmatiques auraient raison. On pourrait posséder la vérité.

La réflexion peut éviter des impasses, des erreurs, mais pas toutes. D’un autre côté, elle ne peut pas découvrir d’avance l’ouvert. Elle y va avec des pas créateurs.

Il y a un fond de cohérence et d’harmonie qui empêche le découplage entre le devenir et l’Être. Mais l’harmonie vit dans une caverne profonde qu’aucune pensée ne peut attraper d’avance. L’harmonie ferme la marche.

Pouvais-tu faire autre chose?
Mes oreilles dans ton silence,
mon nez dans tes odeurs,
mon cœur entre tes poumons.

« Mon cœur entre tes poumons », mon devenir dans ton Esprit.

La Pensée première*, l’Esprit, fonctionne de façon similaire à notre propre pensée, mais elle est infiniment cohérente. Le cosmos est l’Esprit en acte de réalisation. Étudier et comprendre notre pensée permet d’étudier et comprendre l’organisation du cosmos. Nous sommes des microcosmes à la fois semblables et différents de l’Esprit. Sans alter ego, l’Esprit ne serait pas créateur, mais en boucle sur lui-même et l’Absolu serait Narcisse se noyant dans son image.

En réalité, créer, c’est lier : se lier à soi, onduler, réitérer cette ondulation, se différencier en alter ego; se lier aux alter ego; lier les alter ego entre eux; engendrer la participation et la garder sous le contrôle des contraintes logiques et écologiques.

Mes oreilles dans ton silence… Et la musique chante son ouverture.

J’ai percé un trou dans mes hésitations,
j’ai dilaté mes pouvoirs insouciants.
Sur la plage, j’ai fait un grand château de sable.
Au loin, la marée rigole en s’approchant.

Au loin, la marée rigole en s’approchant…

Le mal évitable, les maladies biologiques, psychiques, sociales ou écologiques évitables arrivent lorsqu’il y a un blocage de la réflexion, un rejet de la mémoire des faits. L’action court trop vite dans la réitération, dans le refus d’apprendre. Le risque peut être terrible, surtout s’il y a entêtementPlus les changements retarderont, plus la rupture risque d’être dramatique. 

« La marée rigole » en s’approchant de nos « châteaux de sable. »

Nous, rivières, descendons. 
Nos vagues divaguent en se recourbant.
Sous nos pieds, nos propres ondes.
Dans nos cœurs, nos propres battements.
De chaque côté, des saules se penchent sur nous.
C’est toi, c’est moi, c’est nous tous.

Sous nos pieds, nos propres ondes.

L’Esprit se fait des « images » de lui-même qui prennent vie en eux-mêmes. Nous sommes des alter ego de l’Esprit. D’ailleurs, comment un auteur pourrait ne pas se réfléchir dans son œuvre!

Dans notre fond psychique, nous retrouvons le potentiel actif, l’acteur du mouvement, notre « je ». Cet acteur n’est pas dans une liberté absolue, la cohérence contraint la réflexion, la réalité est chargée de contraintes.

Le « je » est planté dans un fond répondant qui n’est pas n’importe quoi, mais demande la cohérence et invite à l’harmonie. On peut tricher, la vie nous rattrapera.

Toute réalisation est le résultat du potentiel actif décidant dans le cadre d’un potentiel répondant qui oblige. 

Ainsi nous sommes des créateurs, nous nous créons nous-mêmes en créant des œuvres, mais nous le faisons sur un fond qui répond en exigeant un minimum de cohérence. Nous devenons musiciens en composant des mélodies et pas seulement en nous en délectant, car c’est en composant qu’on prend conscience des contraintes de la cohérence et de l’harmonie.

Métaphysique 3

Nous avons tenté d’établir l’axiome de l’inexistence du temps et de l’inexistence d’un être statique définissable d’avance. Il s’ensuit l’infini des infinis (comme en mathématiques) et la dynamique de l’être (qui ne peut pas être une substance fixe). Nous associons poésie et prose pour avancer dans notre expérience.

Fusain de Pierre Lussier

Toi et moi rivière tourbillonnante
entre les écueils de l’être et du néant
tantôt explorant nos cœurs tremblants
tantôt déambulant sur nos terres trop vastes.

Pourquoi me suis-je exclamé  : « cœur tremblant », « terres trop vastes »?

Dans l’Esprit, la pensée a pour propriété de pouvoir faire des hypothèses sur la réalité et d’infirmer ses hypothèses en concluant qu’elles ne sont pas réalisables, ou socialement viables, ou durables… Il y a un écart entre une hypothèse et une réalisation. Certains projets imaginés ne tiendront pas le test de l’existence réelle qui force à la cohérence avec le reste du monde. Ces projets ne seront pas durables. La pensée et la réalisation sont liées dans une relation qui donne à l’Être (l’Esprit en acte) sa dynamique de l’existence, sa tension entre le possible dans l’imagination et le possible tel qu’il sera réalisé. 

Bref, le devenir traverse le risque, les erreurs et les rectifications qu’exige la cohérence de l’Être.

Nos terres sont fertiles, 
jamais nous ne retournerons dans l’engourdissement des eaux tièdes.
Jouons l’un dans l’autre,
toi et moi, 
sous les draps de l’aube. 

Qu’est qui nous permet de faire confiance au devenir? 

« Nos terres sont fertiles. » 

Comment le savons-nous? Nous sommes en relation d’esprits à Esprit, nous jouons dans l’Esprit comme un fœtus dans le ventre de sa mère. Lui aussi connaît le ventre, cependant, c’est l’esprit de sa mère qui le rassure. Il a besoin de sa vibration à travers le ventre. 

La pensée déroule deux temporalités liées : 

  • la temporalité imaginaire dans laquelle elle peut découvrir des impasses avant de les réaliser;
  • la temporalité de la réalisation dans laquelle elle se réalise en se heurtant aux impasses pour découvrir les issues.

L’imaginaire est souple, libre. Le réel est rugueux, contraignant. Dans le réel, il n’y a aucun néant dans lequel peuvent disparaître les conséquences et les incohérences.

À ces deux temporalités s’ajoutent deux dimensions du temps* :

  • Le temps déterministe et probabiliste qui va des causes aux effets;
  • Le temps créatif qui passe de l’imaginaire au réel.

Bref, nous sommes lancés dans le risque et l’aventure, mais toujours ramenés par les contraintes de l’existence.

Les écueils que tu heurtes 
le noyau vide des tourbillons
nous détachent l’un de l’autre 
pour mieux nous enlacer.

Comment pouvons-nous être assez détachés pour créer et rattachés pour réaliser nos rêves? Par les tourbillons de la vie qui individualise notre esprit sans le détacher de l’Esprit. C’est la question de l’identité* (nous y reviendrons).

Les noms reposent sur l’hypothèse qu’une réalité devrait rester identique* à elle-même (du moins pour un temps) et assez détachée pour former une individualité discernable. Un chien est un chien tant qu’il reste semblable à un chien. Le temps* lui aussi suppose des différenciations qui n’isolent pas les formes momentanées. 

Notre eau est lumière et ténèbres,
elle est fluide et percutante,
visible et transparente.
Ne trouves-tu pas que nous sommes beaux ?

Sauf l’Être totalement plein et le néant (qui sont des concepts non réalisables mais imaginables) les contraires forment la dynamique des complémentaires. Par exemple, les observations sur la lumière réalisées par Einstein ont permis de comprendre que tant qu’il n’interagit pas, un photon (quantum de lumière) reste identique à lui-même. Si nous étions ce photon en pleine vitesse de la lumière, nous ne pourrions pas percevoir le temps, car il n’y aurait pas de changement dans notre course. Tant qu’il n’interagit pas, le photon reste relié à une onde complexe chargée d’informations. Cependant, pour donner son information, il doit interagir, ce qui le modifiera lui-même. 

Cette observation permet de mieux saisir le sens de l’identité de tout être. Une identité* absolue, atemporelle, demande un conservatisme total et un isolement complet. Ce qui est incompatible avec le devenir. 

Notre lit n’est pas très stable,
notre ciel est brouillé,
nos mers sont houleuses
sans nos métamorphoses, nous serions perdus.

L’identité est comme une fonction mathématique, une relation à soi et à l’environnement, une relation évolutive qui ne se perd ni dans l’identique ni dans la différenciation absolue. Elle y arrive par adaptations et métamorphoses.

Rester même ou devenir tout autre engendrent deux types de violence : imposer une idée prédéfinie ou, par réaction contraire, tomber dans une anarchie totalement incohérente. Ces deux formes de la violence s’entraînent l’une l’autre par effet de réactions. La rupture de ces deux pôles entraîne des guerres civiles le plus souvent effroyables.

Qui peut nous limiter?
L’arbre est notre infiltration en terre 
et notre montée en lumière.
La terre : notre passé nourrissant notre avenir.
Le soleil : notre tourbillon de feu.

Qui peut nous limiter? 

Cela nous amène à quelque chose de littéralement incroyable : le surpassement de l’Être par la participation à l’Esprit.

L’Être a trouvé le moyen de descendre sous lui-même pour se dépasser lui-même à travers ses créatures créatrices participantes. C’est l’essence même de l’Esprit, fleuve tourbillonnaire dont nous sommes les tourbillons.

On peut imaginer un absolu pouvant s’affranchir de l’hypothèse d’un absolu plein de lui-même pour entrer dans l’ouvert*. Cet absolu dynamique fait entrer dans la réalité des existences capables du pire et du meilleur. Cet absolu ouvert est infiniment plus grand et plus inclusif que l’absolu fermé (qui ne peut d’ailleurs être absolu puisqu’il est exclusif).

Nous continuerons dans cette direction au prochain blogue.

Métaphysique 2

Entre l’être et le néant*

Entre tout et rien, 
ton fleuve coule vers de grandes steppes.

Que veut dire « tout et rien »?

Jeune étudiant en philosophie, je me suis rendu compte que la logique était pour moi comme le sentier de la simplicité. Si tu marches dans le sentier, tout coule de source, si tu tentes d’entrer dans la fourrée, c’est la broussaille la plus dense. Ce sentier est si facile, que la réalité coule dedans encore mieux que la pensée, c’est pourquoi il vaut la peine de s’y fier. D’ailleurs, a-t-on le choix? Si on ne se fie pas à notre pensée, on se fie à quoi? 

Pourquoi ne pouvons-nous pas avancer si rien n’est sous nos pieds ou si tout est dressé devant soi? Rien de rien, on le nomme « néant », il a pour propre de ne pas être. S’il était, il ne serait pas, on l’appelle le néant. Il n’est pas le vide de quelque chose, il n’est pas le temps* vide ou l’espace* vide, car le temps et l’espace ont des caractéristiques et ils sont. Le néant est le vide de tout, même de lui-même, même de l’être, même de l’existence*. C’est un absolu négatif. Son seul problème, c’est qu’il n’existe pas. On ne peut donc pas mettre le pied dessus pour avancer.

Comme le néant n’est pas, il n’y a pas de frontière qui puisse terminer l’être et ensuite, ce serait le règne du néant. Donc, rien ne limite l’Être*.

Il n’y a pas non plus de néant qui puisse séparer l’Être en deux réalités. Rien ne sépare l’Être.

Il s’ensuit que l’Être* est non fini, et selon la loi des nombres, il comporte un infini d’infinis. Comme il y a un infini de nombres pairs, un infini de nombres impairs, un infini de décimale entre les nombres, etc., il y a un infini d’infinis, chaque infini ayant ses propres particularités.

Ces infinis sont nécessairement liés et ils ne sont pas n’importe quoi, ils doivent avoir les caractéristiques de l’être, c’est-à-dire être assez cohérents pour être. Cohérence, dans son sens le plus simple, veut dire : pas d’impasse incontournable.

Le néant n’existe pas, cela veut dire que l’Être est infini et non divisible en morceaux qui seraient totalement disjoints (un néant entre les deux). Cela veut donc aussi dire que le continu et le discontinu ne peuvent pas être des opposés, mais sont des complémentaires puisque toutes les réalités sont nécessairement liées par au moins un fil de continuité.

Fusain de Pierre Lussier

Voyons maintenant l’autre côté de « tout ou rien ».  Si tout était, rien ne pourrait plus avancer. L’Être serait trop plein pour exister. Exister veut dire : se trouver. Pour se trouver, il faut s’égarer sans se perdre totalement. Il faut marcher à l’intérieur de soi; « soi » ne peut pas être un tout plein de béton. L’image d’un fleuve est meilleure, car un tourbillon forme une discontinuité dans la continuité de l’eau.

« Ton fleuve coule vers les grandes steppes? » Il faut l’ouvert devant lui. Si tout était plein de tout, aucun devenir ne serait possible. Donc ce « tout plein de tout » ne serait pas absolument plein puisqu’il ne contiendrait pas le mouvement, le devenir des imprévus et encore moins, le surpassement de soi que les imprévus peuvent engendrer. Tout est l’impasse inverse du néant : l’idée d’un être absolument réalisé. Ce Dieu a été imaginé, on a pu penser qu’il était, mais alors rien d’autre ne pouvait vraiment être, sinon comme une l’illusion (vision orientale) ou comme une chute dans la matière (vision grecque ou bouddhique) ou un péché (vision juive).

  • Il s’ensuit que le cosmos avec toutes ses réalités liées et dynamiques suit le chemin de la cohérence nécessaire à l’existence* de l’être. 
  • Il s’ensuit aussi que le devenir ne peut pas être le simple décalque de formes parfaites déjà établies (comme le pensait Platon). Le déterminisme absolu, l’idée d’un futur totalement prévisible parce qu’il est donné d’avance, comme une équation mathématique avant = après, est donc erronée.

En conséquence, l’être, l’existence et le devenir sont intimement liés, en mouvement vers l’ouvert, c’est-à-dire en direction de « steppes » imprévisibles.

Cela signifie qu’il y a sans cesse créativité. 

Chaque moment est un commencement.

***

Maintenant, joignons l’être en devenir à l’Esprit.

Pour que la logique serve de fondement, il faut que l’être s’y plie. Alors se pose la question : est-ce que l’Esprit structure l’Être? Est-ce que l’Être structure l’Esprit?

Dans son imaginaire, l’Esprit peut explorer l’ouvert même hors de la logique. Dans l’imaginaire, il peut se tromper, imaginer autre chose, sinon, il ne serait pas esprit mais chose; le réalisé, lui, ne peut subsister que s’il reste accrocher à la cohérence logique. L’Esprit est donc plus large, plus élastique que le réalisé, il peut le conduire vers son devenir, il est doué d’imagination, c’est-à-dire d’un espace-temps d’expérimentation qui lui permet d’inventer des chemins, des issus, au prix d’erreurs et au bénéfice d’une créativité. 

L’Esprit*, joue ici le rôle de Principe premier*, il n’exclut rien, surtout pas ce que l’on nomme « matière » qui est dans un premier temps l’Esprit cohérent obligé de tenir compte de ce qu’il a déjà réalisé.  Cette matière n’est pas une substance autre que l’Esprit, mais sa vibration, c’est-à-dire son rapport à soi pour engendrer des différences, des tourbillons dans la rivière.

Voilà, les préliminaires terminés, le reste en découle.

Métaphysique

Introduction

La métaphysique* a fait l’objet d’une sorte de meurtre au XIXe et XXe siècle. Rien ne justifiait ce meurtre. Tout un monde de questions existentielles y trouvait un chemin d’évolution. Entre les réponses toutes faites des institutions religieuses et les questions qui appartiennent au champ de la science, il y avait les travailleurs d’en bas, les foreurs, les métaphysiciens qui avançaient sur la piste des questions existentielles. Tous ces siècles de recherches par des milliers de pèlerins de l’Esprit* pour dégager progressivement le sens de notre vie dans l’environnement incroyablement grand et mystérieux du cosmos ont été traités avec tellement de mépris! 

Dessein de Pierre Lussier

J’ai dit ailleurs que vivre dans les ruines de grandes cultures effondrées constitue une chance extraordinaire : comme  dans les décombres d’Athènes, on peut distinguer ce qui a tenu le coup dans ce qui a été emporté. Pourquoi je dis que nos cultures sont en ruines malgré le faste des bâtiments? Parce qu’elles ont perdu toute crédibilité. Après les guerres mondiales, les génocides, les camps de concentration, les goulags, le règne des grands profiteurs, l’extrême pauvreté de ceux dont on profite, voici maintenant le désastre écologique! Qui pourrait se fier à nos traditions intellectuelles? Et pourtant aucune des grandes cultures n’a éprouvé le besoin de distinguer dans les ruines ce qui pouvait être un fondement pour un avenir différent. Les philosophes qui ont travaillé à cette tâche ont été éclipsés par ceux qui prônaient l’impossibilité de tout fondement.

Je voudrais résumer ici quelques éléments de métaphysique* qui m’apparaissent résistants et compatibles à la fois avec la science la plus avancée, l’intelligence logique, la conscience lucide, nos besoins de sens et les espoirs de paix entre nous et avec la nature.

Les vrais métaphysiciens ont toujours exploré les fondements comme des plongeurs en eau profonde, au risque de perdre toutes leurs illusions et de se retrouver dans un abîme sans fond. Je les appelle sages, ils ont généralement partagé leurs intuitions sous des formes poétiques. Je fais comme eux.

Entre tout et rien, ton fleuve coule vers de grandes steppes.

Toi et moi, rivière tourbillonnante entre les écueils de l’être et du néant, tantôt explorant nos cœurs tremblants, tantôt déambulant sur nos terres trop vastes.

Nos terres sont fertiles, jamais nous ne retournerons dans l’engourdissement des eaux tièdes. Jouons l’un dans l’autre, toi et moi, sous les draps de l’aube.

Les écueils que tu heurtes, le noyau vide des tourbillons, nous détachent l’un de l’autre pour mieux nous enlacer.

Notre eau est lumière et ténèbres, elle est fluide et percutante, visible et transparente. Ne trouves-tu pas que nous sommes beaux!

Notre lit n’est pas très stable, notre ciel est brouillé, nos mers sont houleuses. Sans nos métamorphoses, nous serions perdus.

Qui peut nous limiter? L’arbre est notre infiltration en terres et notre montée en lumière. La terre : notre passé nourrissant notre avenir. Le soleil : notre tourbillon de feu.

Qui est l’informe qui nous transforme? Est-ce toi la caresse et moi la vibration? Tu me fais, me défais, me refais. Mais comment te distinguer, des sensations profondes de mon esprit incarné? Tu es mon Verbe. Nous serons des milliards à n’être qu’un.

Tu m’es intérieur, tu m’es extérieur, tu me laisses te pénétrer, tu m’enveloppes, je rêve, je suis, je cherche ton visage. J’ouvre la fenêtre, tu te fais autre. Demain, je me reposerai sur la plage, par petites vagues, la marée m’inondera de toi…

En moi, ton silence est une onde. Sur ma peau, ton silence est une brise. Les ailes suspendues dans tes fluides, je danse.

Je chante. Mon corps vibre. Le son me répond avec une harmonie qui me saisit. Est-ce toi, est-ce moi, est-ce notre combat, notre union? Je me compose de toi.

Nous étions si légers. Insouciant, j’ai chanté dans le tintement de tes oiseaux. L’écho strident a froissé l’harmonie. Où sont les cavernes qui nous réfractent?

Pouvais-tu faire autre chose? Mes oreilles dans ton silence, mon nez dans tes odeurs, mon cœur entre tes poumons.

J’ai percé un trou dans mes hésitations, j’ai dilaté mes pouvoirs insouciants. Sur la plage, j’ai fait un grand château de sable. Au loin, la marée rigole en s’approchant.

Nous, rivières, descendons.  Nos vagues divaguent en se recourbant. Sous nos pieds, nos propres ondes. Dans nos cœurs, nos propres battements. De chaque côté, des saules se penchent vers nous. C’est toi, c’est moi, c’est nous tous.

Quand je t’ai vu, je me suis replié. Ton amour trop vaste m’avait arqué sur moi-même. Tombé à genoux sur le sable, le front dans l’obscurité, Tu me faisais enfant dans ton ventre agité.

J’ai voulu être parfait, car je t’aimais. Avec ta montagne, j’ai construit un temple. J’ai adoré ma propre image de pierre. Pour te plaire, j’ai versé le sang sur la dalle de ton Temple. Et tu as pleuré sans que j’entende tes éclairs et ta colère.

Tu me voulais fulgurant et non esclave, aimant, mais pas délirant.

J’étais là, pauvre mâle, incapable d’enfants, acte incomplet. Je frémissais de désir sur le bord de ton sein. Soudain, l’envie d’être moi me prit à la gorge comme un lasso attaché sur un côté au cheval Désir et sur l’autre, au cheval Peur.

Nous, c’est moi, c’est toi… Eux, que font-ils à notre fenêtre? Je me suis crispé. Nous aurions pu faire un orchestre et sonner notre musique dans l’harmonie.

Elle me répond :

« Écoute! Si tu savais comme mes hanches sont douces et tendres, tu te balancerais sans te cabrer. Tous tes excès, pour de vrai, sont faux. L’amour ne s’empoigne pas. Ouvre la main, déploie ta vitalité en moi. Tu n’en mourras pas.
C’est vrai que je suis belle, tu en oublies mes volcans. Quand je gronde et lance mes laves, tu oublies que je féconde tes forêts. Ne me crains pas. Si je tisonne tes entrailles, c’est parce que tu en étouffes le feu. »

Je n’ai jamais su ce qui guidait mon chant. J’y vais d’instinct. Je vocalise. À mon insu ma voix cherche la syntonisation et le son qui suit enchante l’oreille. Le mystère de l’harmonie.

Si nous étions deux, nous serions morts depuis longtemps. Un feu dans l’âtre, un pain sur la table, une femme à la fenêtre, nos enfants dans les champs.

Dans la fumée dansent des étincelles et soudain un étalon galope dans l’herbe. J’ai toujours compté sur ta magie. Pourquoi ai-je peur lorsqu’il fait nuit?

Finalement m’est apparu ton visage, paupière de forêts devant ton œil lumineux.

J’ai vu ton cœur s’ouvrir au milieu de tes yeux.