Qui est l’informe qui nous transforme?
Est-ce toi la caresse et moi la vibration?
Tu me fais, me défais, me refais.
Mais comment te distinguer
des sensations profondes de mon esprit incarné?
Tu es mon Verbe.
Nous serons des milliards à n’être qu’un.
Nous serons des milliards à n’être qu’un, qu’est-ce que cela signifie?
L’ouvert* oblige la transformation, la différenciation et la complexification, sinon, ce serait l’homogénéité statique, la solitude totale. La transformation est un changement de forme, un changement dans l’information. Un jeu réciproque d’échanges de vibrations.
Tout ce qui est possible finira par advenir lorsque les conditions le permettront, même l’improbable. La pensée cherche toujours à déployer toutes les possibilités réalisables, et même, les plus improbables.
La recherche de différenciation suppose la complexification, l’augmentation des liaisons, l’harmonisation des différences… Ne l’oublions pas, mémoire = réitération de l’information. La lumière est mémoire, les atomes sont mémoires, les roches sont mémoires, les gènes sont mémoires… En réalité, tout ce qui est visible, tangible, audible est mémoire et nous force à nous adapter. Mais si la mémoire était absolue, elle étoufferait toute créativité.
L’Esprit est donc soumis à la nécessité de l’entropie*, l’érosion de l’information, la défaillance de la mémoire pour alléger l’Esprit et stimuler sa créativité. Mais l’entropie* ne suffit pas. Il faut son contraire, la néguentropie*, la créativité, les tentatives d’améliorations, l’ajout d’informations, de complexité*.
La néguentropie* est orientée vers l’ouvert comme si elle recherchait l’infinie complexité, diversité, liaisons, corrélations* à longue portée. L’entropie tend à réduire cette complexité comme si elle cherchait à revenir en arrière.
Le temps entropique suit les chaînes enchevêtrées des causes et des effets. Pour chaque grain d’énergie dépensée, l’entropie réduit d’un degré la complexité en brisant des liaisons, désagrégeant des informations. Notre métabolisme résulte d’un jeu de déliaison des nutriments et de reliaison des protéines. Le temps néguentropique utilise l’entropie pour ajouter et ajuster à la complexité. Par exemple, un soleil brûle de l’énergie gravitationnelle qui compresse les atomes, mais dans son cœur*, il augmente la diversité des atomes, leurs complexités, leurs liaisons. Diffusant un flux thermique stable vers ses planètes (mouvement entropique), il y provoque des liaisons complexes et même, dans certaines conditions, la vie (mouvement néguentropique).
Ces deux mouvements vont entraîner des miracles, des sauts par-dessus les possibles pour engendrer des improbables qui devront s’adapter au déjà réalisé. Néanmoins toutes ces pertes et ces gains restent liés : « Nous serons des milliards à n’être qu’un. »
Tambour de Jean Bédard
Tu m’es intérieur, tu m’es extérieur,
tu me laisses te pénétrer, tu m’enveloppes,
je rêve, je suis, je cherche ton visage.
J’ouvre la fenêtre, tu te fais autre.
Demain, je me reposerai sur la plage,
par petites vagues, la marée m’inondera de toi…
« Je rêve, je suis, je cherche ton visage. J’ouvre la fenêtre, tu te fais autre. »
Dans l’Esprit, la pensée découvre ce que peut devenir l’Être et ce qu’il ne peut pas devenir. Dans le devenir se reflètent les creux (ce qui ne peut être toléré qu’un temps) et les saillies (ce qui est un surpassement dans la durée) de l’Être. Un visage est fait de creux et de saillies, de retraits et d’avancées, de caché et de montré.
En réfléchissant et en créant, mon esprit participe du devenir et participe au devenir. Par ce fait, ce qui était prévu bafouille et trébuche, mais ces défaillances engendrent parfois des développements bien plus grands que prévu. Par exemple, une personne en santé tombe malade, elle combat la maladie, elle réussit à la vaincre, sa santé n’est plus seulement l’équilibre précédent, elle a acquis de meilleures armes contre les maladies futures.
« J’ouvre la fenêtre, tu te fais autre. »
En moi, ton silence est une onde.
Sur ma peau, ton silence est une brise.
Les ailes suspendues dans tes fluides,
je danse.
Je danse. Cette oscillation et ce tourbillon si présents dans la poésie et la pratique soufie, quel sens a-t-elle?
Lorsque la pensée pense la logique, elle n’est pas enfermée dans une forme de logique qu’on pourrait définir absolument, elle découvre la logique au fil de son exercice. Si elle la découvre, c’est qu’elle est là (en potentiel) dans la structure même de l’Être-Esprit. Mais la pensée n’est pas prisonnière de l’Être (car l’Être est Esprit).
Il y a deux ouverts : le très ouvert, celui de l’imagination et l’ouvert contraint, celui de la réalisation. L’esprit humain ne peut que danser, osciller et tourbillonner entre ciel et terre.
Je chante. Mon corps vibre.
Le son me répond avec une harmonie qui me saisit.
Est-ce toi, est-ce moi, est-ce notre combat, notre union?
Je me compose de toi.
Le son me répond avec une harmonie qui me saisit. L’harmonie* est sans doute le plus grand mystère de l’Être-Esprit en devenir.
Tous les impossibles et les possibles logiques forment une sorte de réservoir à réaliser, c’est un potentiel répondant*. Le logicien, n’importe quel logicien (un potentiel actif*), peut découvrir des morceaux du potentiel logique répondant. La pensée logique est un verbe qui se forme dans une plongée au cœur des potentiels répondants de la logique. C’est vrai pour tous les actes de n’importe quel esprit.
Rien n’est créé du vide absolu. Mais, rien ne sort du néant. Tout surgit de potentiels toujours ineffables, mais jamais incohérents. Une composition musicale, par exemple, surgit des possibilités de la musique qui ne sont pas n’importe quoi. Certaines ondes sont incompatibles entre elles.
On doit retenir que les impasses sont définissables, mais pas les ouvertures. Sur une route, un mur a une forme précise, il se tient à un endroit précis dans une forme finie avec une résistance déterminée. Mais à côté du mur, au-dessus, en dessous, il y a l’ouvert indéfini, indéfinissable et pourtant, pas n’importe quoi. Cet ouvert est toujours ancré dans le fond logique et écologique (en accord avec le déjà réalisé)… Et cela se traduit par une sorte d’harmonie* qui se forme lentement, comme par l’arrière, et fait que le devenir est sous le contrôle de deux choses :
- les contraintes de la cohérence;
- la nécessité d’une harmonie qui veille à maintenir un certain équilibre et une certaine beauté…
Nous étions si légers.
Insouciant, j’ai chanté dans le tintement de tes oiseaux.
L’écho strident a froissé l’harmonie.
Où sont les cavernes qui nous réfractent?
Où sont les cavernes qui nous réfractent, qui nous corrigent?
La réflexion est possible dans l’imaginaire. Mais il est impossible de tout réfléchir avant de réaliser quelque chose. Pourquoi! Parce que la créativité toujours l’emporte sur la connaissance. Sinon, l’Être plein serait là sous l’Être comme un Dieu omnipotent, et alors l’Absolu serait défini (erreur logique) et les dogmatiques auraient raison. On pourrait posséder la vérité.
La réflexion peut éviter des impasses, des erreurs, mais pas toutes. D’un autre côté, elle ne peut pas découvrir d’avance l’ouvert. Elle y va avec des pas créateurs.
Il y a un fond de cohérence et d’harmonie qui empêche le découplage entre le devenir et l’Être. Mais l’harmonie vit dans une caverne profonde qu’aucune pensée ne peut attraper d’avance. L’harmonie ferme la marche.
Pouvais-tu faire autre chose?
Mes oreilles dans ton silence,
mon nez dans tes odeurs,
mon cœur entre tes poumons.
« Mon cœur entre tes poumons », mon devenir dans ton Esprit.
La Pensée première*, l’Esprit, fonctionne de façon similaire à notre propre pensée, mais elle est infiniment cohérente. Le cosmos est l’Esprit en acte de réalisation. Étudier et comprendre notre pensée permet d’étudier et comprendre l’organisation du cosmos. Nous sommes des microcosmes à la fois semblables et différents de l’Esprit. Sans alter ego, l’Esprit ne serait pas créateur, mais en boucle sur lui-même et l’Absolu serait Narcisse se noyant dans son image.
En réalité, créer, c’est lier : se lier à soi, onduler, réitérer cette ondulation, se différencier en alter ego; se lier aux alter ego; lier les alter ego entre eux; engendrer la participation et la garder sous le contrôle des contraintes logiques et écologiques.
Mes oreilles dans ton silence… Et la musique chante son ouverture.
J’ai percé un trou dans mes hésitations,
j’ai dilaté mes pouvoirs insouciants.
Sur la plage, j’ai fait un grand château de sable.
Au loin, la marée rigole en s’approchant.
Au loin, la marée rigole en s’approchant…
Le mal évitable, les maladies biologiques, psychiques, sociales ou écologiques évitables arrivent lorsqu’il y a un blocage de la réflexion, un rejet de la mémoire des faits. L’action court trop vite dans la réitération, dans le refus d’apprendre. Le risque peut être terrible, surtout s’il y a entêtement. Plus les changements retarderont, plus la rupture risque d’être dramatique.
« La marée rigole » en s’approchant de nos « châteaux de sable. »
Nous, rivières, descendons.
Nos vagues divaguent en se recourbant.
Sous nos pieds, nos propres ondes.
Dans nos cœurs, nos propres battements.
De chaque côté, des saules se penchent sur nous.
C’est toi, c’est moi, c’est nous tous.
Sous nos pieds, nos propres ondes.
L’Esprit se fait des « images » de lui-même qui prennent vie en eux-mêmes. Nous sommes des alter ego de l’Esprit. D’ailleurs, comment un auteur pourrait ne pas se réfléchir dans son œuvre!
Dans notre fond psychique, nous retrouvons le potentiel actif, l’acteur du mouvement, notre « je ». Cet acteur n’est pas dans une liberté absolue, la cohérence contraint la réflexion, la réalité est chargée de contraintes.
Le « je » est planté dans un fond répondant qui n’est pas n’importe quoi, mais demande la cohérence et invite à l’harmonie. On peut tricher, la vie nous rattrapera.
Toute réalisation est le résultat du potentiel actif décidant dans le cadre d’un potentiel répondant qui oblige.
Ainsi nous sommes des créateurs, nous nous créons nous-mêmes en créant des œuvres, mais nous le faisons sur un fond qui répond en exigeant un minimum de cohérence. Nous devenons musiciens en composant des mélodies et pas seulement en nous en délectant, car c’est en composant qu’on prend conscience des contraintes de la cohérence et de l’harmonie.