Le Chevalier de la mort (COVID-19), pourquoi s’en soucie-t-on autant?

Blogue de Gabriel Leblanc

« En quelques jours, le Chevalier de la mort (on appelait ainsi les grandes pandémies au Moyen âge, principalement la peste) a tout fait basculer. »

« On peut bien mourir de faim au Soudan et au Bangladesh, étouffer de pollution dans les mégalopoles, périr par obésité ou de n’importe quelle maladie du stress ou de la civilisation, mais pas mourir d’une pandémie, non, pas cette mort. »

  • Jean Bédard, « Le Chevalier de la mort a-t-il terrassé le capitalisme? », 26 mars 2020.

À en constater le soulèvement solidaire et international des décideurs politiques, la pandémie que nous vivons, parmi tous les autres fléaux qui affligent l’humanité, connaît de toute évidence un traitement privilégié! Jamais la famine n’aurait provoqué les gouvernements à appeler à l’effort collectif et mondial, il en va de soi : d’ailleurs, je ne me souviens pas de la dernière fois où nous nous sommes fait commander de consommer seulement l’essentiel afin que nos surplus de nourriture soient acheminés vers les personnes et les pays touchés par la faim. Alors, pourquoi cette menace en particulier, le virus – plutôt que n’importe quelle autre – arrive à mobiliser une planète entière dans un vent sans pareil et va jusqu’à appeler à des mesures qui contournent les fondements de notre démocratie?

J’avance deux principaux arguments : d’abord qu’on voue un intérêt à la crise parce qu’elle concerne les principaux pays capitalistes, et ensuite que l’intégrité fragilisée de ces États provoque l’adoption de mesures radicales, voire totalitaires, et que la réponse gouvernementale offre un aperçu de la tournure que pourraient prendre les systèmes politiques à relativement court terme.

D’emblée, les « famines », « pollution » et « maladies du stress » ne sont pas des événements ponctuels qui surgissent aussi inopinément que le Covid-19. En vérité, ce sont des enjeux issus d’une cause précise et identifiable : ils découlent des mécanismes internes de la production et de la redistribution capitaliste. À cet effet, j’exprimais dans un précédent blogue que « les problèmes mondiaux liés à la famine ne sont impartis à aucune insuffisance globale; qu’ils découlent plutôt d’un enjeu se situant au niveau de la redistribution; et que cette redistribution, assurée par des entreprises initialement créées pour générer des profits, est par définition incapable d’accéder à quelconque forme d’égalité sociale. » De plus, il est dorénavant scientifiquement admis que les enjeux environnementaux (changements climatiques, déforestation, acidification des océans, etc.) sont causés par le mode de production capitaliste – le GIECC préfère dire « activité humaine » – et ne sont pas des faits inhérents à la nature, ni même d’origine stellaire comme le fabulent les climatosceptiques.

Ces « morts », pour reprendre les mots de Jean, sont des conséquences du système économique tel que maintenu par la collaboration des États. Si les dirigeants se refusent à les attaquer de front, c’est parce qu’elles impliquent nécessairement une remise en question du système économique qui stabilise leur pouvoir.

Alors, qu’est-ce qui permet au Covid-19 d’occuper une place aussi centrale dans presque toutes les sphères de nos vies collectives et individuelles, jusqu’à en restreindre nos libertés? Qu’est-ce qui, devant cette pandémie qui nous affecte, donne la légitimité à nos dirigeants de mettre le monde entier sur pause en imposant des mesures draconiennes? Pourquoi, dans ce cas précis, sommes-nous prêts à risquer les dommages collatéraux (mais passagers) d’une économie capitaliste ralentie par des mesures préventives aux apparences totalitaires?

Pour me faire une idée sur ces questions, j’ai d’abord voulu connaître le lien qui existe entre le nombre de cas répertoriés de Covid-19 et le produit intérieur brut (PIB) national, un indicateur économique permettant de quantifier la quantité de richesse produite annuellement. Étant moi aussi confiné, nombreux sont les projets qui me traversent l’esprit! Ainsi, à partir d’un échantillon de 167 pays et quelques manipulations dans un logiciel de données tabulaires, j’ai pu constater une forte corrélation positive (0,74) entre ces deux variables. En mots clairs, cela signifie simplement que plus le PIB d’un pays est élevé, plus on y observe de cas de Covid-19. Pour illustrer cette affirmation, on peut dire sans se tromper qu’il y a un nombre énormément plus grand de gens atteints du virus en Amérique du Nord ou en Europe qu’en Afrique, par exemple. Quoi qu’il en soit, il faut bien sûr interpréter prudemment cette corrélation! Par exemple, la différence de cas répertoriés ne serait-elle pas due à l’incapacité en certains endroits de détecter le virus et d’en rendre compte statistiquement?

cas de covid mondial

Et partant du principe que les États évoluent dans une économie mondialisée et que le PIB peut être un indicateur du niveau d’intégration à cette dernière, ce coefficient de corrélation permet de poser certaines hypothèses :

  • Les pays les plus touchés sont ceux qui sont les plus intégrés à l’économie mondiale, c’est-à-dire ceux dont le niveau d’interdépendance avec les autres économies nationales et les marchés mondiaux sont les plus marqués.
  • Si la pandémie occupe une place aussi importante dans nos vies (regardez n’importe quel média et constatez la quantité d’information qui traite du sujet!), c’est parce que les premiers touchés sont les principaux acteurs du capitalisme mondialisé, à savoir nous et toutes économies nationales qui y contribuent.
  • Une économie différente, moins intégrée et interdépendante, n’aurait peut-être pas permis au virus de traverser les frontières à une telle vitesse, de voyager d’un pays occidentalisé à un autre comme elle le fait maintenant, n’en épargnant aucun sur son passage. Autrement dit, la mondialisation est en quelque sorte un vecteur du Covid-19.

Ces hypothèses peuvent expliquer en partie cette mobilisation mondiale sans précédent qu’organisent nos dirigeants (ceux des pays « les plus » capitalistes, il va sans dire). Néanmoins, à elles seules, elles ne nous renseignent pas sur les raisons qui favorisent l’adoption de mesures autoritaires par l’élite dirigeante. J’aimerais avancer l’idée que le totalitarisme que nous subissons, qu’on appelle publiquement « état d’urgence », est possible parce que nous rencontrons quelques signaux annonciateurs d’un bouleversement du capitalisme.

Effectivement, il m’est difficile d’analyser la situation actuelle sans réfléchir à la mondialisation économique (ou au « capitalisme globalisé »), car tout cela m’apparaît étroitement lié. J’ai aussi du mal à penser que nos dirigeants soient présentement en train de mettre au premier plan la santé publique sans avoir en arrière-pensée cette mondialisation ébranlée, potentiellement menacée. Ils agissent immédiatement pour éviter que la pression sur l’appareil étatique devienne trop grande et que l’économie en subisse les conséquences dans un avenir rapproché. Car ce qui se passe en ce moment est l’attente du passage de la tempête pour que nous puissions retourner à la situation « normale » le plus rapidement possible, c’est-à-dire à la remise en fonction de la machine productrice, au détriment certain de l’environnement qui, depuis deux semaines, se plaît incroyablement au répit qu’on lui accorde. Les mesures sont draconiennes et totalitaires, certes, mais c’est pour se débarrasser au plus vite de la pandémie… ou redonner incessamment l’impulsion au capitalisme, on ne sait plus. Ce qui me semble certain, c’est que ce n’est pas seulement pour sauver quelques vies.

Néanmoins, les temps que nous vivons sont aussi très propices à la réflexion holistique et transformatrice. Les étagères parfois vides dans les épiceries, les quelques problèmes d’approvisionnement qu’on rencontre ici et là avec diverses marchandises, la pollution globale qui chute comme jamais depuis les débuts de l’ère industrielle : voilà quelques raisons qui pourraient nous amener à considérer les limites du modèle global de production dans lequel nous nous retrouvons coincés. Pourtant, les mesures adoptées ne mènent pas du tout vers cette ambition, bien qu’il s’agirait aussi d’une alternative hautement pertinente pour mitiger les crises prochaines. Des économies moins dépendantes entre elles, des souverainetés alimentaires, des flux de marchandises confinées à parcourir des distances décentes, etc. seraient les ingrédients d’une recette efficace. Plutôt, les autorités au pouvoir appellent à un retour à la situation pré-crise, à la stabilité qu’on y trouvait avant, à la manière d’un bond en arrière.

Sans vouloir m’avancer sur la nature des prochaines crises mondiales ou ce qui les occasionnera, il m’apparaît assez évident qu’à assez court terme, elles pourraient s’avérer récurrentes. C’est au moins ce qu’annoncent les changements climatiques et l’étude macroéconomique de l’évolution des cours pétroliers. Comment se prémunir de leurs effets dévastateurs? Pour l’instant, l’expérience actuelle montre que l’avenue la plus probable sera de se doter d’un gouvernement fort, de lui accorder un nombre important de pouvoirs, en éliminant les structures démocratiques qui contraignent sa liberté d’action.

Je n’oserais pas affirmer qu’il s’agit d’une initiative délibérée des gouvernements, mais le dessein d’une élite bourgeoise au pouvoir reste d’assurer le statu quo, même insidieusement, c’est-à-dire d’œuvrer à perpétuer le système économique tel qu’on le connaît. S’il faut que le système faillisse, le rétablir sera la priorité des autorités; qu’il n’en déplaise aux droits et aux libertés. Les dirigeants n’apprennent rien de la crise actuelle, sinon qu’ils sont « nécessaires » à l’équilibre social… surtout en des temps où le capitalisme est affecté. Ils n’apprennent pas à questionner le système qui les sous-tend, car ils en sont gardiens, agents de sa reproduction perpétuelle. Ne nous y méprenons pas : la classe dirigeante ne proposera pas de travailler collectivement à redéfinir une économie politique nouvelle, à se débarrasser du capitalisme globalisé, à mettre en action des mesures qui protègeraient une forme pure de démocratie. Cette proposition doit provenir de la masse : elle ne viendra certainement pas de ceux à qui bénéficie le système!

Que l’on requière actuellement un chef à la baguette de fer pour diriger l’orchestre populationnelle, c’est là où je vois une pente glissante dangereuse. Et j’ai bien peur que l’imaginaire collectif en soit teinté indélébilement; que le totalitarisme avec élection aux quatre ans devienne la démocratie du capitalisme de crises qui se pointe à l’horizon.

Le Chevalier de la mort a-t-il terrassé le capitalisme?

Si vous êtes comme moi, vous êtes abasourdis par les événements. On dirait que la « santé » l’a emporté sur l’économie, et on n’en revient pas!

L’économie ou plutôt le profit apparaissait le dieu au-dessus de tous les dieux. Il était si bien installé. Les milliardaires s’enrichissaient au détriment des exclus, des travailleurs surexploités, d’une atmosphère devenue toxique, des océans devenus acides, des terres transformées en déserts, de millions de morts directs et indirects de la pollution. Nous étions nombreux à protester, une jeune fille en tête… Rien n’y faisait, le profit transcendait tout, commandait tout, exigeait tout. Nous désespérions d’un changement. Le capitalisme semblait fatal et transcendant.

Le chevalier de la mort

Mais non, en quelques jours, le Chevalier de la mort (on appelait ainsi les grandes pandémies au Moyen Âge, principalement la peste) a tout fait basculer. Il a fait dérailler la bourse, il a déclaré qu’il fallait éviter la mort, que l’argent n’est rien vis-à-vis d’elle. Il parle évidemment d’une forme de la mort. On peut bien mourir de faim au Soudan et au Bangladesh, étouffer de pollution dans les mégalopoles, périr par obésité ou de n’importe quelle maladie du stress ou de la civilisation, mais pas mourir d’une pandémie, non, pas cette mort.

Tout à coup, par-dessus toutes les morts, le Chevalier en a placé une, digne de tous les combats : la pandémie. Il l’a même placée au-dessus du profit. Et bravo pour l’environnement, il a fait plus en quelques jours que tous les écolos.

Mais n’est-ce pas un peu étrange, presque inquiétant?

L’autre dimension du phénomène, c’est la galvanisation de « tous vers une action unique ». La gauche et la droite, les écologistes et les consommateurs compulsifs, les activistes, les journalistes les plus critiques, les écrivains aux dents les plus acérées, les artistes rebelles, tous, le même discours : « Obéissez aux consignes de la Santé publique ». N’est-ce pas étonnant!

Si je comprends bien, lorsque le sentiment d’urgence est unanime, les voix discordantes se taisent ou sont immédiatement ostracisées. Ce phénomène social pourrait être utilisé inconsciemment…

L’intention de la Santé publique est indiscutable (d’ailleurs, nous avons toujours cru que la vie est au-dessus de l’argent); en revanche, le moyen proposé (imposé?) surprend. Quoi! Au siècle de la haute technologie, on ne peut pas isoler les corps humains d’un virus sans les encabaner, la vieille méthode de l’antiquité et du Moyen Âge! La technologie n’a pas inventé de masques efficaces, de moyens quelconque de protéger l’appareil respiratoire sans isoler l’animal le plus social de l’évolution! Cela me laisse perplexe.

Dans l’histoire des pandémies, la claustration s’est avérée assez peu efficace et elle n’a pas été sans conséquence. Quels seront les effets sur la santé du chômage, de l’isolement, de l’inoccupation, du stress? Une augmentation d’un seul point de chômage entraîne un accroissement immédiat des signalements à la protection de la jeunesse, des drames familiaux, des suicides. Pour les petits travailleurs surexploités répartis dans les pays les plus pauvres, c’est la faim, et souvent la mort. Et on ne peut absolument pas éviter cela! Et puis, que fera-t-on si quelqu’un sur le bord de la route a besoin d’aide? Perdrons-nous nos réflexes de solidarité? La méfiance risque-t-elle de s’installer, la peur de l’autre? Dans les sociétés où cela est arrivé, le climat social a changé pour des générations.

Qui, actuellement, est en train de mesurer les souffrances, les drames, les morts, les effets collatéraux que va assurément engendrer le seul moyen proposé pour réduire la vitesse de l’épidémie? Dans six mois, qui pourra répondre scientifiquement à la question : Les résultats positifs ont-ils été supérieurs aux « effets secondaires »?

Par ailleurs, pourquoi ne parle-t-on pas des moyens actifs de lutte contre un virus, comme si on pouvait gagner la partie avec seulement des joueurs de défense? Pourquoi pas, en même temps, organiser une campagne pour favoriser les facteurs de santé : gestion du stress (le stress affaiblit immédiatement le système immunitaire), activités physiques, bonne alimentation, bonne élimination, etc.?

Ce ne sont que quelques questions parmi bien d’autres. L’unanimité sur la finalité est facile à comprendre, mais sur les moyens! Pourquoi n’y a-t-il pas de débat sur les moyens? Peut-être que cette absence vient de la stupéfaction et de l’urgence provoquées par le Chevalier de la mort, comme s’il avait étouffé nos facultés de penser. Et moi j’ai peur que ce réflexe soit utilisé pour favoriser les tendances totalitaires qui ne meurent jamais, elles.

Bref, je pense qu’il est possible que le Chevalier de la mort frappe le capitalisme pour favoriser une certaine forme de totalitarisme.

Karl Marx pensait que le capitalisme était transcendant, le dieu des dieux qui aliénait l’être humain de son humanité, mais moi, comme beaucoup de philosophes, je pense que le dieu des dieux, ce n’est pas le capitalisme, mais le totalitarisme. Certes, le capitalisme actuel est un totalitarisme, celui du profit, mais il y a toujours eu d’autres formes de totalitarisme qui ont su l’abaisser au deuxième rang, par exemple les totalitarismes religieux. La leçon qu’il faut peut-être retenir en ce moment, c’est que le totalitarisme a toujours profité de la peur. C’est peut-être cela que les révolutions marxistes si sanglantes n’ont pas vu. Elles n’ont pas détruit le capitalisme, elles ont favorisé le totalitarisme.

Il y a quelque chose à comprendre de l’histoire : derrière le capitalisme, il y a le Chevalier de la mort, et derrière le Chevalier de la mort, il y a le totalitarisme.

L’histoire enseigne. La grande peste du XIVe siècle, en plus de tuer près du tiers de la population, a favorisé le totalitarisme : l’Église et l’État, déjà soudés ensemble au Moyen Âge, en sont ressortis à la Renaissance encore plus unis et forts. Ce qui semble être au-dessus de l’économie et du capitalisme, c’est la peur de la mort épidémique qui, tout à coup, oriente toutes les pensées dans une seule direction, une seule préoccupation, une action unanime. Cette unidimensionnalité de la pensée est justement le propre du totalitarisme.

J’espère avoir tort sur l’utilisation possible d’une pandémie, mais cela me fait penser au mécanisme de la panique : une peur contagieuse, et tout à coup, la population prend la direction demandée par le premier en tête. Et ce n’est pas sans risques. L’histoire le prouve. En Occident, le totalitarisme étatique et religieux s’est surdimensionné à la Renaissance et a fini par dégénérer en guerre totale, catholiques contre protestants (la guerre de Trente Ans) dans laquelle sont morts plus de gens que durant la grande peste, et continuant le drame s’est lancé à la conquête des pays dit « sauvages » pour faire bien plus de victimes que toutes les pestes n’ont jamais faites. Le fait que nos démocraties se subordonnent tout à coup à la Santé publique m’inquiète. L’angoisse de la mort pourrait être utilisée pour un nouveau totalitarisme, laïc celui-là, scientiste (et non pas scientifique), et tout aussi sûr de lui que tous les autres totalitarismes. Je ne suis pas le premier à m’inquiéter de cela.

Dans son roman La peste, Camus raconte tout le drame social de l’isolement, les souffrances, les conséquences qui s’ajoutent à l’épidémie que l’on n’arrive pas à contenir, mais seulement retarder. Alors pourquoi, en 1947, juste après la guerre, a-t-il écrit La Peste ? Non pas, comme on le croit, pour montrer l’absurdité du monde et l’inexistence de Dieu, mais bien plutôt pour dénoncer le totalitarisme. Ceux qui connaissent sa vie savent que c’était son grand combat.

Albrecht Dürer a gravé dans nos mémoires Le Chevalier de la mort (gravure 1513). Le Chevalier de la mort possède quatre chevaux : la conquête (cheval blanc), la guerre (cheval rouge), la famine (cheval noir) et l’épidémie (cheval baie), et c’est au moment où il déambule sur son cheval baie que le diable lui chuchote à l’oreille ses meilleurs conseils. En sommes-nous là? Sans doute pas. Mais tout comme pour une pandémie, il faut lutter contre dès qu’il pointe le nez. Et on lutte contre le totalitarisme par la diversité des pensées, la discussion ouverte, le courage des opinions divergentes, ce qui ne nous empêche pas d’agir pour éviter le malheur.

Personnellement, je prends peut-être plus de précautions que plusieurs, je respecte les consignes, je travaille à ma santé, j’ai soixante-dix ans, j’ai réussi à surmonter, du moins jusqu’à ce jour, un cancer agressif par des moyens naturels. Cependant, mon épouse est allée chercher à l’hôpital une dame de son âge qui venait d’être opérée et qui devait quitter l’hôpital rapidement pour laisser sa place, au cas où… Et ce fut toute une aventure, car on voulait bien que la dame quitte, mais on acceptait mal que quelqu’un prenne le risque de venir la chercher. Et je dors avec mon épouse, je l’embrasse encore, je suis fier d’elle.

Petite définition pour réfléchir.

Totalitarisme :  « C’est un régime politique qui paralyse toute opposition et dans lequel l’État tend à confisquer la totalité des activités d’une société pour l’orienter vers un but jugé au-dessus de tous les autres. » (Rf. Wikipédia) Ce qui amène l’homme unidimensionnel.

Dans L’Homme unidimensionnel, « Marcuse affirme que les deux systèmes (capitalisme privé ou capitalisme d’État), augmentent et multiplient constamment les formes de répression sociale pour neutraliser toute liberté de penser. La conséquence, c’est un univers de pensée et de comportement « unidimensionnel », au sein duquel l’esprit critique est progressivement écarté. » (Rf. Wikipédia)

Dites-moi que je fabule, dites-moi que j’ai tort, qu’on peut être optimiste, qu’un jour nouveau arrive : la vie au-dessus du profit. Dites-moi qu’après la pandémie, on prendra des mesures aussi unanimes pour lutter contre un fléau bien plus dramatique : les gaz à effet de serre.

Et pour mettre en perspective les chiffres que nous recevons sur le coronavirus, rappelons que selon l’Organisation mondiale de la Santé, chaque année dans le monde :

  • 59 millions de personnes meurent;
  • 303 000 femmes meurent suite à des complications pendant la grossesse ou l’accouchement ;
  • 9 millions d’enfants meurent avant son cinquième anniversaire ;
  • 2 millions de nouveaux cas de VIH, et 214 millions de paludisme ;
  • 1,7 milliard de personnes ont besoin de traitement pour des maladies tropicales laissées à l’abandon ;
  • plus de 10 millions de personnes meurent avant 70 ans à cause de maladies cardiovasculaires et du cancer ;
  • 800 000 personnes se suicident ;
  • 25 millions de personnes meurent dans les accidents de la route ;
  • 3 millions de personnes meurent à cause de la pollution ;
  • 475 000 personnes sont tuées.

 

Le covid-19 du climat

Qu’est-ce qui rattache la crise climatique à la pandémie actuelle?

D’abord, quelle est la situation climatique? L’ère industrielle a augmenté les concentrations des gaz à effet de serre de 146% pour nous amener à une hausse totale de 41% de l’effet de serre, ce que les climatologues appellent le « forçage radiatif », ce sont les rayons de soleil que nous retournons contre nous. C’est plus que doubler l’enveloppe de la serre chaude dans laquelle nous nous enfermons, comme pour faire un plat cuisiné.

2020-03-15 15.55.01

Ce n’est pas le réchauffement seul qui inquiète, il détraque les systèmes de régulation : les courants océaniques qui distribuent la chaleur et absorbent les gaz, les immenses territoires de pergélisol qui séquestrent les gaz carboniques, les grandes forêts qui retiennent le carbone, les couverts de neige permanente qui retournent le rayonnement solaire dans la stratosphère… Tout cela, le réchauffement le démembre.

Bref, nous augmentons l’effet de serre et nous détruisons le système de régulation de la température.

Ce qui ajoute encore à l’inquiétude, c’est qu’un être vivant, complexe comme notre écosphère, est aussi sensible aux variations de température qu’un enfant. Avec un réchauffement de 2 degrés Celsius de plus (que la base de -0,40 Celsius de moyenne planétaire calculé en 1850), nous dépassons la zone de réchauffement climatique pour entrer dans la zone de dérèglement climatique; à plus 4 degrés, nous sortons de la zone de dérèglement climatique pour entrer dans la zone de désorganisation climatique. C’est précisément là où nous nous dirigeons. C’est comme placer un enfant fiévreux sous des couvertures de laine. À 37,50, on ne s’inquiète pas trop pour l’enfant; à 380, on fait quelque chose; à 38,50, on a touché la température critique; à 390 ou 400, sans intervention d’urgence, l’enfant meurt. Personne ne peut dire : « Deux degrés, c’est pas grave. »

Nous sommes actuellement à 2 degrés de l’irréparable, et on ne pourra pas plonger la planète dans un bain d’eau froide. Cela ressemble à une fièvre, la pollution apparaît comme un problème respiratoire pour toute la planète, une inflammation des poumons de la terre…

Mais au-delà de cette analogie, qu’est-ce qui rattache cette crise climatique à la pandémie actuelle?

Réponse : nous.

Derrière l’état actuel du climat, il y a surtout une mentalité. Dans cette mentalité, il y a une vision de la nature et de notre nature.

La nature est vue comme une mécanique, c’est-à-dire un système de causalités que l’on croit connaître suffisamment pour intervenir dessus sans s’inquiéter du principe de prudence (le principe de prudence exige qu’une industrie fournisse la preuve qu’il n’y aura pas d’incidence néfaste sur la santé de l’environnement et des êtres humains). On se contente du principe de précaution, qui est bien différent (face à l’incertitude, il faut développer des programmes de recherche pour lever le doute, mais en attendant, on prend le risque). Le choix de la précaution plutôt que de la prudence est raisonnable uniquement si nous connaissons à quels risques nous avons affaire. On doit donc connaître la mesure de notre ignorance.

Cependant, en réalité, nous découvrons progressivement que nous vivons, non pas dans une « mécanique » dont nous pouvons contrôler tous les paramètres, mais dans un écosystème vivant d’une complexité inouïe. Nous découvrons aussi que le propre d’un écosystème consiste à réagir globalement comme une totalité et non comme un processeur de causes (un ordinateur). Bref, nous découvrons la limite de nos sciences actuelles dont les méthodes (et toute l’épistémologie) sont encore très mal ajustées à l’étude du vivant.

Cette surévaluation de nos connaissances, nous l’appliquons sans prudence à tous les écosystèmes, y compris nous-mêmes, nous immergeons notre corps dans une soupe aux milliers de molécules nouvelles (produits de toilette, nettoyeurs, retardateurs de feu, produits de conservation alimentaire, nanoparticules, pesticides, engrais chimiques, aérosols, polluants atmosphériques, eaux contaminées aux médicaments…) Même lorsque ces molécules ne sont pas toxiques (environ 50% le sont lorsqu’on fait des études sur ces substances), elles exigent de notre système immunitaire une adaptation beaucoup trop rapide.

Nos systèmes immunitaires sont épuisés. Un des signes de cet épuisement est la multiplication des allergies. De plus, nous combattons les virus et les bactéries toujours de la même façon, à coups de médicaments uniquement (surtout des antibiotiques), sans jamais miser sur la santé (bonne respiration, bonne gestion du stress, bonne alimentation, bonne élimination, bonne hydratation, exercices physiques adéquats…). Or ces médicaments ne sont soumis qu’au principe de précaution, mais dans la vraie vie, ajoutés à la soupe des nouvelles molécules, ils stimulent bien souvent les facultés d’adaptation des virus et des bactéries et donc, favorisent des mutations qui en font des ennemis de plus en plus redoutables.

Tout cela favorise les épidémies. Et que fait-on pour les combattre? Uniquement des mesures de réclusion et la recherche de médicaments. C’est bien et même très bien, mais c’est la moitié de la solution. On pense toujours à combattre la maladie, mais on en fait très peu pour agir directement sur l’environnement et sur les facteurs de santé.

L’affaiblissement de notre santé (ce n’est pas la même chose que la longueur de notre espérance de vie) et l’affaiblissement de la santé de notre planète résultent d’une même vision mécaniste du monde. La vision écologiste ne fait pas partie de nos réflexes. La pollution atmosphérique et les épidémies s’entraînent dans un cercle vicieux que l’on ne pourra pas briser sans prendre soin de notre santé et de celle de la terre.

Cependant, une chose apparaît évidente à cette étape-ci : même si notre réaction contre le coronavirus se limite à combattre la maladie, nous sommes en train de prouver notre capacité à réagir rapidement et de façon coordonnée. Cela donne à espérer. Nous sommes en train de démontrer que lorsque nous nous sentons acculés au pied du mur, nous réagissons. Hélas! Nous le faisons selon nos vieilles habitudes.

Que ce soit vis-à-vis de nous-mêmes ou vis-à-vis de notre planète, pourquoi donc sommes-nous si embourbés dans le cercle vicieux de la maladie et du combat contre la maladie, plutôt que dans le cercle positif de la santé? On s’en reparle dans la suite de ces blogues.

Jean Bédard

Phénix, l’homme de feu, blogue 4

La dérive de l’agriculture (Genèse, la suite), Gabriel Leblanc

Le lac était grand. Et si au départ, nous nous retrouvions d’un côté, là, nous étions à l’extrémité opposée. Non pas qu’on désirait être où on était, même si cela nous importait peu, mais notre bateau répondait à peine à nos commandes et nos têtes étaient, de toute façon, trop occupées pour commander nos bras. Et puis, vous avez déjà essayé de ramer avec une pelle? Nous étions à la dérive… dans l’indifférence la plus totale. Ce qui importait alors étaient nos mots, transformés dorénavant en projet, en contestation affirmée, en lutte. Ces champs rêvés nous approchaient du concret. Nés têtus, nous avions une idée en tête, que pouvait-il donc arriver? Et les réflexions émergeaient, littéralement. « À l’époque industrielle, le salaire des ouvriers équivalait à peine à ce qui lui en fallait pour manger et se reproduire. C’était un cycle de dépendance réciproque : la dépendance à l’alimentation était l’aliment qui nourrissait le capital. Et la situation de l’époque n’a pas beaucoup changé par rapport à aujourd’hui. Si tu n’enrichis personne, tu ne manges pas et tu meurs. »

On déposait à nouveau les pelles au fond de la barque, les couchant à nos pieds. « Parce que ce que tu consommes, ce n’est pas un fruit ou un légume, mais un objet de commerce, une marchandise comme une autre, avec un prix, une marque, un propriétaire. Au même titre qu’une télévision, une chaise ou une lampe, on ignore les humains qui se sont trouvés en amont de sa production et les multiples étapes parcourues pour que l’objet soit acheminé jusqu’à nous. » Notre projet s’élaborait au rythme où se révélaient les absurdités d’un système artificiellement soutenu. Nous étions déjà au courant que les problèmes mondiaux liés à la famine n’étaient impartis à aucune insuffisance globale; qu’ils découlaient plutôt d’un enjeu au niveau de la redistribution; et que cette redistribution, assurée par des entreprises initialement créées pour générer des profits, était par définition incapable d’accéder à quelconque forme d’égalité sociale.

On embobinait dorénavant nos fils, trop concentrés ailleurs pour que se poursuive notre vaine expérience de survie. Les pelles occupaient maintenant nos mains et traversaient le reflet des nuages, nous faisant avancer péniblement dans le sens contraire du courant. «On trouve tout à fait naturel d’aller cueillir des pommes dans des étagères de plastique; de récolter des carottes debout, les pieds sur des dalles de céramique. L’agriculture industrielle nous renvoie à une conception très particulière du monde, très contemporaine. De ce que je sache, c’est un modèle dont la naissance pourrait presque être pointée sur un calendrier : ce n’est rien de naturel, rien qui n’existe depuis toujours!»

Dériver à contre-courant d’un système hyper puissant : la tâche qu’on se construisait progressivement était sans doute grande. Et nos rames de fortune ne nous en offraient qu’un très bref aperçu. Néanmoins, on était presque convaincus qu’à deux ans de là, l’agroécologie serait la norme culturale dans nos champs, qu’on aurait libéré les agriculteurs de la main sale des corporations multinationales. On criait déjà : Adieu supermarchés parasites! Et pareillement pour les grands consortiums de l’agrochimie! Nul besoin de toi, pétrole dégueulasse! Deux ans et le territoire s’enivrerait d’une souveraineté alimentaire complète. Une force ardente, comme une énergie presque palpable, se dégageait de notre engouement soudain. Mais bon, je crois avoir déjà mentionné qu’on pelletait au travers des nuages.

Je me souviens de ce moment avec une clarté si vive qu’elle me berce parfois encore en veilleuse. Je me souviens aussi du retour fastidieux, de la barque instable, de trois gars qui foulent finalement la terre ferme, les mains vides, mais décidés. On s’était alors arrêtés quelques instants pour se faire la promesse de se rappeler quotidiennement la conversation qu’on venait d’avoir, sans cesser, jusqu’à l’été suivant. Quelques bières traînaient. Et on a poursuivi un peu. « Qu’est-ce qu’une tomate des États-Unis? » Évidemment, la réponse qu’on espérait n’était pas : un beau fruit rouge trop rond.

« Une tomate des États-Unis, c’est des hectares et des hectares de monocultures, où sont déversées des soupes de pesticides et d’herbicides pour compenser les failles d’un écosystème trop peu résilient. » Et on renchérissait. « C’est aussi une main d’œuvre exploitée, ghettoïsée, vulnérable, jetable, parce qu’elle provient surtout de l’Amérique centrale. » Encore. « Et c’est des semi-remorques chargées, propulsées aux énergies carbonées sur des distances faramineuses et absurdes. C’est des entreprises immenses qui, en autant que quelques cennes traînent encore au fond de nos poches, accepteront peut-être de nous nourrir. » La réponse qu’on cherchait était : une marchandise de l’agriculture industrielle.

Si le projet devait naître, il serait génétiquement politique. Le supermarché, dernier maillon d’une longue chaîne de production destructrice, s’érigeant en façade géante comme pour cacher l’ironie trouvée en amont, demeurait pour une immense majorité de la population le dernier lien qu’elle entretenait avec l’agriculture. Et de là devait découler toute notre démarche.

Maintenant assis dans la boîte d’un vieux pick-up turquoise avec le lac dans le paysage, les mots commençaient à nous manquer, mais l’essentiel avait probablement déjà été dit. On se regardait, comme étourdis par une soif de justice, dans un moment qui retournait lentement au silence.

Amazonie

Photo du coeur de l’Amazonie

Alors que j’arpentais les longues routes sinueuses pour accéder aux différents ranchs que j’avais contactés, j’étais frappé par le bleu d’un ciel extrêmement grand. À gauche et à droite, en avant et en arrière, un paradoxe à peine subtil se dévoilait à moi. On m’avait jadis vanté les luxuriantes forêts humides et ses sons étonnants qui en sortaient parfois; sa canopée dense et sauvage; la vie verte et mouillée dans un exotisme sans pareil. Mais tout ce que je voyais, c’étaient des sols infinis de terre rougeâtre, où quelques arbres de castanha do Pará, géants et isolés, laissaient comprendre qu’il n’y avait plus rien de tel. Au cœur de l’Amazonie, je me retrouvais dans un triste désert de champs vides qui attendaient le début de la prochaine saison pour être parsemés d’un cultivar unique.

Comment l’humanité s’était-elle rendue jusque-là?

Phénix, l’homme de feu, blogue 3

Un « heureux » dérapage climatique

Je dis « heureux dérapage » parce que cette fois, collectivement, nous arriverons au seuil de l’intelligence d’un enfant capable d’apprendre de ses erreurs. Si à sept ans, nos consciences souffrent déjà de l’injustice, de la violence et du chaos, c’est que nos yeux ne sont pas encore enfouis dans la programmation de masse. Le grand éducateur Comenius et d’autres survivants de la première guerre totale d’Europe (guerre de Trente Ans, 1608 à 1648) espéraient développer des écoles où les petits enfants pourraient apprendre à vivre aux adultes.

2020-02-22 09.21.36

Étant jeune, ma révolte me venait de l’impunité face à l’exploitation extrême des petits salariés, mon père en était un. Les plus pauvres de la rue Alma (Montréal) payaient de leur misère le mode de vie des plus riches de la rue Beaubien. Mais aucune conséquence sur les riches ne pointait à l’horizon, l’impunité totale régnait, on récompensait même les voleurs de travail.

Lorsque plus tard, j’ai pris conscience que l’exploitation extrême de la nature n’allait pas se passer de cette manière, que la planète des conséquences allait cette fois rejoindre la planète des causes, que nous ne pourrions pas l’éviter sans nous humaniser, j’avoue que j’étais content : il existe dans la nature, un principe rectificateur.

Cela me rassure. Il y a des lois dans l’univers qui l’emportent sur la loi du marché, la nature semble posséder une aptitude à rectifier les comportements périlleux de ses créatures.