La personne ukrainienne

Que se passait-il en Ukraine alors que la Russie consolidait l’idée délirante de l’État totalitaire, c’est-à-dire l’idée d’un Tout (pourtant devenu un seul individu décideur) devant contrôler les éléments qui le composent jusque dans leurs pensées et sentiments les plus intimes? Revoyons très brièvement l’histoire de l’Ukraine.

Peinture de Michel Casavant

Antes, Huns, Avars, Bulgares, Khazars, Magyars, Petchénègues, Polovtses, Varègues forment les premiers noyaux de la population. En 1240, Kiev est pillée avec grande cruauté par les Mongols. Ensuite apparaît le règne des princes et des seigneurs propres au Moyen Âge. Au XIVe siècle, le territoire passe sous l’autorité de la Pologne-Lituanie. Il est habité par des Polonais, des Moldaves, des Allemands, des Arméniens, des Juifs et des Russes. Les paysans cosaques et les Tartares développent leur indépendance par opposition à l’assimilation polonaise. Se dessine peu à peu la polarité ukrainienne : le nord-ouest pro-européen et le sud-est pro-russe, mais un peu partout la personne tend à s’affranchir. Les Cosaques se soulèvent contre la noblesse polonaise. Ce soulèvement aboutit à la création d’un territoire cosaque autonome baptisé «Ukraine». Les Cosaques combattent la Pologne et plus tard la Russie afin de garder leur indépendance. En 1708, l’Ukraine devient vassal de la Russie, mais la Crimée tartare est soumise à l’Empire ottoman. Il y aura encore bien des départages selon les empires qui se disputent l’Ukraine comme une proie.

Avant la Première Guerre mondiale, l’Ukraine est découpée entre les Empires autrichien et russe et cela jusqu’à la Révolution de 1917. Elle est devenue le principal pôle de l’industrie lourde de l’Empire russe. Néanmoins, comme d’autres peuples en Europe, un mouvement de renaissance nationale ukrainien se fait jour. Des associations culturelles prospèrent et des mouvements politiques s’organisent, par exemple, l’Union pour la libération de l’Ukraine. Pour sa part, la Russie considère le pays comme sa « Petite-Russie ». C’est une terre d’émigration pour les Russes.

Après la Première Guerre mondiale, le 20 novembre 1918, le Rada proclame indépendante la République populaire ukrainienne. Cependant, quelques mois plus tard, l’offensive des Bolcheviks chasse le gouvernement de Kiev. En mars, Lénine livre l’Ukraine à l’Allemagne qui, elle, permet le retour du gouvernement à Kiev. En janvier 1919, les Allemands se retirent. Les troupes tsaristes (les Blancs), l’armée bolchevik (les Rouges), l’armée nationaliste (les Noirs) s’affrontent en pillant la paysannerie, en violant et en massacrant. Les Bolcheviks finissent par l’emporter. Durant tout ce temps, les Juifs sont sauvagement massacrés par de terribles pogroms. Le 30 décembre 1922, l’Ukraine entre dans l’URSS. Elle demande une fédération, Lénine qui rêve d’une révolution mondiale « dénationalisée » rejette l’idée. Son idée de communisme repose sur la dépersonnalisation du citoyen ouvrier au service de la totalité.  Après sa mort, Staline entre au pouvoir, on sait comment. Il ordonne la collectivisation forcée de l’agriculture qui va engendrer d’horribles famines, la terreur de la police secrète, les déportations massives dans les Goulags, en fait, tout ce que faisaient le Tsar et Lénine, mais à une échelle sans précédent. On évalue à quatre millions le nombre de morts, juste en Ukraine. Plus de 200 000 Ukrainiens, beaucoup de Juifs parmi eux, trouvent refuge au Canada et aux États-Unis. La stratégie de Staline consiste à diviser les communautés, mélanger les ethnies, les cultures et la langue, y aller arbitrairement, procéder par dénonciations. Impossible de faire confiance à qui que ce soit, plus de langue maternelle, plus d’amitié, plus d’intimité, plus d’initiative personnelle. La population ukrainienne a longtemps vécu à l’ombre d’états oppressifs, et c’est dans l’oppression qu’elle s’est forgé une solidarité d’aspiration à la liberté personnelle et qu’elle a conservé sa langue propre.

Les nazis vont exploiter la langue ukrainienne à des fins de propagande. Lorsque l’Allemagne nazie envahit l’URSS en 1941, certains Ukrainiens accueillent la Wehrmacht en libératrice. Ce qui n’empêche pas des massacres de Juifs et de rebelles. En 1944, l’Armée russe réussit à libérer l’Ukraine des nazis. Les Ukrainiens qui avaient supposément collaboré avec les Allemands sont internés dans les Goulags. L’armée insurrectionnelle ukrainienne continue son combat contre l’assimilation. À la fin de la guerre, les pertes ukrainiennes s’élèvent approximativement à 8 millions. Du fait de sa victoire, l’URSS entre au conseil de sécurité des Nations Unies avec un droit de veto et tous les crimes de Staline restent secrets. Victorieux, Staline déplace des frontières et des populations à l’intérieur de l’URSS, un demi-million d’Ukrainiens sont envoyés ailleurs en Union soviétique. La reconstruction commence, les autorités soviétiques choisissent de donner la priorité à l’industrie lourde au détriment de l’agriculture. Une troisième grande famine ravage le pays dont le potentiel agricole est unique, le fameux tchernoziom, une terre noire particulièrement fertile.

À la suite du décès de Staline en 1953, Khrouchtchev natif d’Ukraine et qui l’a gouvernée de nombreuses années va progressivement faire exécuter ses concurrents et obtenir les pleins pouvoirs de l’URSS (1958). Il transfère la Crimée à l’Ukraine. Les Tatares qui occupaient la Crimée avaient été déportés en Sibérie durant le règne de Staline. Les colons russes qui les ont remplacés ont cependant de la difficulté à s’adapter aux conditions climatiques. L’agricole s’effondre. Khrouchtchev qui a dénoncé les déportations menées par Staline envoie des dizaines de milliers d’Ukrainiens dans les Goulags pour avoir participé au mouvement nationaliste. On donne à L’Ukraine une mission essentiellement industrielle : grands barrages, usines chimiques, aciéries, un rôle majeur dans le programme spatial et le nucléaire civil. L’Ukraine est ainsi fortement liée à la Russie.

En 1986, boum! la catastrophe nucléaire de Tchernobyl. L’Ukraine prend conscience qu’elle devient le dépotoir nucléaire de l’URSS. Cette même année, la libération d’un grand nombre de détenus politiques favorise l’organisation de groupes de défense des droits de la personne. En 1989, c’est la chute du mur de Berlin. En 1990, le bloc démocratique obtient environ 25 % des sièges au Parlement. Le Parlement adopte la Déclaration sur la souveraineté politique de l’Ukraine. En 1991, le président Kravtchouk fait du resserrement des liens avec l’Europe démocratique sa priorité. Son successeur, Koutchma, ramène l’Ukraine à la Russie, mais affirme ne pas vouloir devenir son vassal. Il raconte que sa priorité est d’intégrer l’Ukraine à l’Union européenne et à l’OTAN. Durant cette décennie, l’Ukraine connaît un effondrement économique, une redistribution très inégale des richesses et la montée des oligarques. Le gaz russe dont dépend l’Ukraine, ainsi que d’autres biens font l’objet d’un chantage. Se détacher de l’URSS sera très difficile économiquement autant que politiquement. En 2013, un accord d’association doit être signé entre l’Union européenne et l’Ukraine. En raison de pressions russes, l’accord échoue. Ce revirement entraîne d’immenses manifestations réprimées dans le sang. L’opposant Ioulia Tymochenko est libéré et fait sa première apparition le soir sur la place de l’Indépendance, en fauteuil roulant, après deux années de détention… En mars 2014, la Russie annexe la Crimée. La guerre commence.Volodymyr Zelensky arrive au pouvoir en 2021, il lutte contre les oligarques et contre la corruption (viscérale dans l’organisation étatique russe) et se tourne vers l’Europe et l’OTAN. Poutine nie le droit à l’existence d’un État ukrainien, mais surtout, à l’existence des personnes. Le citoyen n’est qu’un simple rouage d’un État totalitaire qui a droit de vie ou de mort sur ses sujets.

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