Haïti, l’éternel Phoenix

Après le départ de Christophe Colomb en 1492, les relations se dégradent entre la garnison espagnole et les Arawaks. Les autochtones les liquident. Les Espagnols reviennent. En moins de vingt-cinq ans, il ne reste presque plus d’Arawaks. Des esclaves noirs les remplacent en même temps qu’on débarque des chevaux, des vaches, des chèvres, des moutons, des porcs au point de rompre l’équilibre l’écologique de l’île qui devient le domaine des boucaniers. Elle est reconquise par les Français en 1764 pour des cultures intensives de tabac, d’indigo, de café et de canne à sucre. Pour chaque famille blanche, on compte une vingtaine d’esclaves. Inspirés par la Révolution française, les Noirs se révoltent : nombre de blancs sont tués et les plantations, incendiées. La suprématie noire est imposée, mais le travail forcé reste. Bonaparte envoie 42 navires militaires. Les Français reprennent le contrôle de l’île. La révolte se réorganise. L’armée des indépendants noirs reprend l’île. La population blanche est massacrée. La République noire est proclamée en 1804. Une première mondiale. 

Peinture Michel Casavant

Par la nouvelle constitution, tous les métis sont considérés comme « Noirs » et les survivants blancs sont spoliés de tout droit de propriété terrienne. Le chef du soulèvement se fait couronner empereur et remet en place le travail forcé salarié. Le peuple reprend les armes. L’« empereur » est assassiné par ses propres généraux. Les deux généraux se combattent; l’un d’eux se proclame roi. Il établit une noblesse, édifie des palais et reprend le système des travaux forcés. La population se révolte. Le roi se suicide. Le successeur procède à des distributions de terres au plus grand nombre. Une économie autarcique s’installe. Le président se nomme à vie, mais il meurt. Nous sommes en 1816. Le commandant de sa garde devient président. La culture du café prend son essor. Mais la compétition du Brésil et de Cuba, esclavagistes, fait baisser les prix de 75 %. L’économie s’effondre, Louis XVIII envoie des émissaires à Haïti, ils sont assassinés. Après plusieurs missions semblables, la France exige le versement d’une énorme indemnité en or contre la reconnaissance de l’indépendance. Un impôt spécial très lourd est levé. Le peuple se soulève. Le président abdique. Nous sommes maintenant en 1843.

Haïti sombre dans l’instabilité et la violence politique pendant près de 75 ans. Le pays est déchiré entre les élites métisses, les noirs propriétaires terriens, et la majorité très pauvre. Les dirigeants ne se soucient ni de gouvernance ni d’économie. Pour garder son pouvoir, le sénat ne permet l’élection que d’hommes très âgés et débilités. L’un finit, malgré tout, par se faire proclamer empereur. Il se lance dans une sévère répression. Il est renversé par un général. Le général rétablit l’ordre par la répression. Il développe l’instruction publique primaire et supérieure. Il instaure les corvées pour reconstruire le pays. Il réduit l’armée de moitié. Mais les finances sont toujours grevées par la dette à la France. La population se soulève, le général démissionne.

Des groupes de paysans armés, les « cacos », s’organisent. Ils forment une sorte de pouvoir politique. Plusieurs coups d’État se succèdent, entraînant des massacres avant, pendant et après. Un dénommé Salomon arrive au pouvoir par la force, il parvient à rétablir les finances du pays, la dette est enfin payée. Mais devant une révolte des cacos, il doit s’exiler. Nous sommes maintenant 1888. Après une année d’anarchie, un certain Hippolyte prend le pouvoir. Il tient tête à la volonté des États-Unis de se faire concéder une partie de l’île. Mais les luttes entre factions reprennent de plus belle. Le pays retombe dans l’instabilité et s’affaiblit. Des industriels américains négocient d’énormes concessions pour construire des voies ferrées et établir des plantations de bananes. Les paysans sont expropriés. La Banque National City achète la majorité de la Banque d’Haïti et prend le monopole de l’économie. Les États-Unis décident d’occuper militairement Haïti. Les « cacos » menés par Rosalvo Bobo se révoltent. Le président américain envoie les Marines, ils vont y rester pendant une vingtaine d’années. Ils font élire un Président et signer un Traité d’occupation. L’administrateur américain dispose d’un pouvoir de veto sur toutes les décisions et 40 % des recettes de l’État passent aux États-Unis.

Le racisme américain soude les Noirs et engendre une fierté raciale plus forte que jamais. La réaction populaire est violente. C’est l’insurrection. Les cacos sont plus de 40 000. Il faut deux ans aux Marines pour étouffer la révolte dans le sang. Les États-Unis envoient une commission d’enquête du Sénat. Nous sommes en 1922, les États-Unis fournissent à Haïti une aide politique et économique pour compenser l’occupation. L’administration et l’armée sont professionnalisées, et la corruption est combattue. L’instruction publique se développe, mais est presque entièrement orientée vers le travail compétent au service des entreprises.  

En 1929, la crise économique mondiale frappe les paysans déjà si mal payés. Haïti n’est plus rentable. Les troupes américaines partent du pays en 1934, mais gardent le contrôle des douanes. Après la Seconde Guerre mondiale, l’armée organise les premières élections présidentielles au suffrage universel. Au terme de son mandat, le président élu doit s’exiler devant l’ampleur des grèves. L’armée organise des élections. Duvalier, dit Papa Doc, gagne. Il se fait dictateur par tous les moyens habituels : armée, police secrète (les tontons macouts), assassinats, massacres, emprisonnements, tortures… Après un long règne, il s’exile en France. La junte militaire continue « le travail ». L’armée organise les élections de 1988 qui sont boycottées. Un nouveau coup d’État militaire porte au pouvoir le général Avril. Acculé au départ, il s’exile. 

Enfin! des élections sous contrôle international, et c’est le règne du prêtre Aristide, avocat des pauvres. Il a à peine le temps de redonner un peu d’espoir. Il est renversé par une junte militaire et plusieurs de ses « disciples » sont massacrés. La faction putschiste de l’armée connaît un essor considérable grâce au trafic de la drogue. 20 000 soldats américains débarquent en Haïti. Le président Aristide est rétabli dans ses fonctions, mais il transmet le pouvoir à Préval. S’ensuit une purge politique. Est élu Jean Bertrand Aristide alias Titid, sans légitimité à cause de fraudes électorales manifestes, il n’a pas d’autorité sur la junte militaire. Il est obligé de démissionner. Interviennent les Casques bleus. Une autre élection sous supervision internationale. En 2019, le FMI exige une hausse du carburant de 50 % et des mesures d’austérité pour paiement de la dette. Cette pression économique sur une population si pauvre, ainsi que de nombreux scandales de corruption provoquent des manifestations massives. Les conditions de vie de la population se dégradent encore… 

Le président Jouvenel Moïse est assassiné en 2021. Ariel Henry démissionne. C’est le chaos des gangs criminels. Les morts et les blessés ne se comptent plus.

Une histoire tragique qui donne le tournis, elle est poncturée de plus de 50 tremblements de terre et 35 ouragans particulièrement dévastateurs.

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