Guerre au Soudan

Il y a Israël qui se venge et veut prendre toute la Palestine, il y a la Russie qui veut refaire l’URSS de force (c’est au tour de l’Ukraine), cela est omniprésent dans nos journaux, mais il y a aussi, dans l’éclipse médiatique de l’Afrique, des massacres oublés. 

Le 15 avril 2023, les combattants des Forces de soutien rapide (FSR dirigé par Hemeti) attaquent plusieurs camps des Forces armées soudanaises (FAS dirigé al-Burhan) à Khartoum. Ils prennent possession de l’aéroport international et encerclent le palais présidentiel. Des affrontements à l’arme lourde sont signalés partout. Des MiG-29 (avions de chasse soviétiques) tirent des roquettes et des missiles sur les positions rebelles, sans épargner la population souvent forcée de servir de boucliers humains. Hemeti accuse Al-Burhan de tenter de ramener au pouvoir le dirigeant déchu Omar el-Bechir, un suprématiste arabe, condamné pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide durant la première guerre civile au Darfour (une région du Soudan abritant essentiellement des Noirs de religions animistes et chrétiennes). El-Béchir est emprisonné au Soudan après une révolte étudiante de grande envergure. Il utilisait les ressources du pays pour acheter des armes lourdes, gonfler deux armées, des milices, une police. Il s’était lié à Poutine et à Xi Jinping pour piller son pays trois fois et demi plus grand que la France et riche en pétrole et en or. Ce qu’il a fait durant trente ans de règne. Après une forte tentative de démocratisation d’environ deux ans, les deux généraux se sont associés pour prendre le pouvoir. Al-Burham contrôlait alors l’armée officielle de Khartoum, Hemeti dirigeait les forces d’interventions rapides qui ont commis le génocide et tellement d’atrocités au Darfour. Il s’est fortement enrichi par le pillage, il est soutenu par les pays périphériques (sauf l’Égypte). Hemeti a recruté les jeunes et les enfants de la misère, les payant 1000 dollars par mois, une fortune leur permettant de faire vivre leur famille. Il attaque son associé devenu son rival.

Peinture de Michel Casavant

Comme à peu près tous les pays d’Afrique, le Soudan est une entité nationale artificielle, fruit des colonisations. Les Noirs du sud-ouest avaient une longue histoire conflictuelle avec les Arabes du nord. Les Arabes ont été des commerçants d’esclaves sans pitié. Abandonner ces derniers à un gouvernement arabe avait toutes les chances d’aboutir à une guerre civile. Quelques jours après la déclaration de l’indépendance, les Arabes se sont retournés contre les ethnies du Darfour. Alors, les Noirs se sont unis et organisés pour se défendre. Il s’en est suivi une répression à grande échelle. Les massacres ont fait au moins trois cent mille morts et deux millions et demi de déplacés. Tout cela était évidemment exacerbé par l’abondance de pétrole et d’or dans le pays, ressource convoitée entre autres par la Russie et la Chine. La sécheresse accélérée par le réchauffement climatique est venue s’en mêler. La soif et la faim étaient devenues des armes de génocide.

Pour l’ex-président Omar el-Béchir, il n’y avait pas assez de ressources pour tout le monde, il fallait tout simplement forcer les Noirs du sud-ouest à partir ou à mourir. Pour cela, il avait financé les milices Janjawids* dirigées par Choukratalla, un homme qui ne reculait devant aucune cruauté et ensuite par Hemeti tout aussi cruel. Le génocide fut systématique et le gouvernement a tout fait pour empêcher les secours et l’aide humanitaire. La Syrie en profitait pour tester des armes chimiques. Durant ce temps, l’armée officielle de Khartoum et l’armée paramilitaire des régions absorbaient 80% du budget national. Les vendeurs d’armes jubilaient.

C’était trop, la jeunesse, surtout féminine, s’est soulevée en 2018 et a initié une transition démocratique. Les deux généraux ont pris le pouvoir en 2021 (l’avait-il perdu!).

Après la première attaque d’Hemeti, le 16 avril, l’opérateur de télécommunications a fermé les services internet dans tout le pays et la télé a interrompu ses émissions. Les crimes se font mieux dans le noir. Des soldats de l’un, puis de l’autre, pénètrent dans les hôpitaux de Khartoum, tuent et saccagent. Des bombes thermobariques (venant des Émirats Arabes Unis), tombent sur la ville. Le groupe Wagner (mercenaires russes habitués à torturer) passe des accords avec les FSR. En échange : l’exploitation de l’or du pays. Début décembre, les FSR contrôlent environ 90 % de Khartoum et quatre des cinq capitales du Darfour. Le 10 décembre dernier (2023), les FSR ont pris la grande ville Wad Madani, un nœud de communication et une région agricole aux terres encore productives. Un tournant fondamental.

Si l’année 2023 s’achève en faveur du général Hemeti, une victoire rapide et totale reste difficilement envisageable. Car l’armée régulière ayant distribué des armes aux populations de la vallée du Nil, elles se tiennent prêtes à défendre leurs villes et leurs villages. En outre, Hemeti ne peut pas compter sur le soutien des populations noires qu’il a tant massacrées.

Cette guerre qui continue la guerre d’el-Bechir a faits des milliers de morts et au moins 7 millions de déplacés, 80% des hôpitaux et centres de soin ne fonctionnent plus, 25 des 45 millions de la population ne survivent que par l’aide humanitaire. En février dernier (2024), un rapport de l’ONU dénoncait des crimes de guerre commis sur des populations civiles par les différentes factions, l’utilisation de boucliers humains, de nombreux cas de recrutement d’enfants-soldats. Médecins Sans Frontières alertent sur un niveau de malnutrition et un taux de mortalité infantile catastrophiques. 

Comme pour tant d’autres malheurs d’Afrique, on regarde ailleurs.

Demain, nous verrons l’étincelle de la beauté poindre dans la nuit.

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