L’histoire traumatique de la Chine 

Si la Chine entre dans l’aventure du pouvoir et de la colonisation économique, c’est qu’elle l’a déjà subie.

Au XIXe siècle, l’invasion économique de la Chine par le Royaume-Uni se fait à travers le commerce de l’opium, un peu comme en Amérique, on échangeait des fourrures contre de l’alcool, mais de façon systématique et mortelle. La société chinoise en est fractionnée. Des révoltes éclatent et déstabilisent le pouvoir impérial. Mais la détermination britannique à poursuivre sa « guerre de l’opium[1] » va jusqu’à une première défaite chinoise de 1842. Le Royaume-Uni obtint alors la cession de Hong Kong et l’ouverture de ports de commerce sous son contrôle exclusif. Par la suite, profitant de la désorganisation sociale entraînée par l’opium, les États-Unis et le Japon occupent des territoires côtiers et jouissent de larges privilèges commerciaux. Pendant la seconde guerre de l’opium (1856-1860), les troupes franco-britanniques marchent sur Pékin, pillent et incendient le Palais d’Été de l’Empereur. Parallèlement, la révolte des Taiping[2] (1851-1864), renforcée par l’agitation que la Russie entretient au nord, se transforme en guerre civile particulièrement horrible : entre 20 à 30 millions de personnes sont tuées. La dynastie des Qing ne put venir à bout de cette tentative de révolution qu’avec l’appui des colonisateurs. Malgré la répression et la défaite, la révolte des Taiping qui prêchait à la fois la stricte égalité entre les humains et le communautarisme avait conquis bien des cœurs et marqua la population chinoise en profondeur, une sorte d’ensemencement précommuniste. En 1853, 40 % de la Chine est sous l’autorité de l’utopie Taiping de la « Grande Paix » communautaire et égalitaire. Malgré l’effort des révolutionnaires, des régions étaient frappées par des famines. L’armée impériale renforcée par l’armement moderne de la Grande-Bretagne et de la France et assistée par des mercenaires occidentaux purent reconquérir les territoires rebelles au prix de terribles massacres. À la fin, la Chine était devenue une colonie partagée entre le Royaume-Uni, l’Allemagne, la France, la Russie et le Japon.

Peinture de Michel Casavant

À partir des années 1860, l’impératrice Qing Cixi représentait le pouvoir, mais vivait sous la pression extrême des colonisateurs. Son armée fut vaincue par la France qui contrôlait l’Indochine, puis par le Japon (1894-1895). L’Impératrice faisait face à un dilemme : poursuivre des réformes en direction d’une occidentalisation des structures sociales pour survivre économiquement, et cela au détriment de l’aristocratie qui se retournerait inévitablement contre elle, ou soutenir l’aristocratie en espérant réunifier l’empire dans ses traditions. L’Impératrice chercha le moyen terme et s’aliéna les deux côtés de l’équation. Cette ambivalence mena à la révolte des Boxers au tournant du XXe siècle. Profitant de la déstabilisation, de jeunes fonctionnaires, officiers et étudiants, inspirés par les idées révolutionnaires de Sun Yat-sen, envisagent le renversement de la dynastie Qing au profit d’une république à l’Occidental. Le mouvement séduit l’armée impériale, le dernier empereur Qing, Pu Yi, fils de l’impératrice, dut abdiquer. Présidé par Sun Yat-sen, un gouvernement provisoire est formé à Nankin le 12 mars 1912. La République de Chine est proclamée. Peu de temps après, Sun Yat-sen est forcé de céder le pouvoir au général Yuan Shikai (général de l’armée). Celui-ci abolit les assemblées nationales et provinciales. Les chefs républicains durent s’exiler, Sun se réfugia au Japon. Yuan Shikai se fit proclamer empereur à la fin 1915. Ses subordonnés militaires se révoltèrent. Il mourut une année plus tard en laissant le pouvoir vacant. Commença alors l’ère des « seigneurs de la guerre » qui ravagèrent le pays. Sun Yat-sen rentra au pays et reprit ses efforts en vue d’une république à l’Occidentale.

En 1919, au traité de Versailles, le Japon obtint l’annexion des anciennes colonies allemandes en Chine. Le Royaume-Uni, la France et le Japon contrôlaient déjà un grand nombre d’infrastructures chinoises et s’appropriaient la plus grande partie des revenus fiscaux et douaniers du pays. En réaction, les mouvements nationalistes marxistes gagnèrent du terrain dans la population. En 1922, une série de grèves majeures toucha le pays et fut violemment réprimée par la police britannique.

Sun Yat-sen avait déjà établi sa base révolutionnaire prodémocratique dans le Sud, et commençait la réunification de la population, il recevait l’aide des Soviétiques et s’allia au Parti communiste chinois (PCC) alors embryonnaire. Une milice composée de 100 000 hommes et financée par des commerçants britanniques tenta d’arrêter la révolution. La conférence des délégués ouvriers, dirigée par les communistes et son Armée ouvrière, contribua à briser la contre-révolution.

Après la mort de Sun Yat-sen en 1925, un de ses lieutenants, Tchang Kaï-chek, le remplaça et réussit à  prendre le contrôle de la Chine du Sud et du Centre et il obtint l’allégeance des seigneurs de la guerre du Nord. À partir de là, il se retourna contre les communistes, ce qui déclencha une guerre civile. En 1931, le Japon envahit la Mandchourie. En 1934, les communistes entreprennent la Longue Marche sous le commandement de Mao Zedong. À mesure qu’ils avancent, ils distribuent des terres. Les combats persistent entre républicains et communistes alors que l’invasion japonaise gagne du terrain. Au début de la Seconde Guerre mondiale, le Japon attaque la Chine avec une cruauté indescriptible, une véritable entreprise de broyage de la population. À ce moment, le parti nationaliste de Tchang Kaï-chek s’unit au parti communiste, une union très fragile. Néanmoins, la Chine réussit à se réorganiser comme seuls sont capables de le faire les Chinois. Ils ont démantelé leurs industries, les ont transportées sur leur dos, en charrette, à dos d’ânes, en longues pirogues et les ont remontées au nord, dans des villes creusées dans les montagnes. Ils ont fabriqué de nouvelles armes et avec l’aide de la Russie, ils purent reconquérir le pays. Dès la capitulation du Japon, républicains et communistes se séparent et se déchirent. Après d’énormes efforts, en 1949, les maoïstes contrôlent l’ensemble du continent et proclament la République populaire de Chine à Pékin. Les républicains ne tiennent plus que Taïwan.

De 1949 à 1954, l’État communiste s’organise. L’assemblée vote la Constitution. Le modèle patriarcal de la famille est supprimé. La réforme agraire répartit 47 millions d’hectares en parcelles. Un premier plan quinquennal est encourageant et favorise le Grand Bond de 1958. Hélas! par la suite, des erreurs de planification tournent au désastre : de vingt à trente millions de Chinois meurent dans des famines. De 1960 à 1966, le système de production reprend lentement de la vigueur. En 1966 arrive Révolution culturelle. De nombreuses œuvres anciennes, livres, sculptures, bâtiments sont détruits. Les intellectuels sont humiliés, rééduqués ou éliminés. La délation, l’arbitraire et la cruauté désolidarisent la population. Les modérés sont rétrogradés ou éliminés. L’armée réprime les mouvements de résistance. Mao Zedong meurt en septembre 1976. 

Hua Guofeng fait arrêter ses opposants et dirige la Chine à la façon de Mao. C’est Deng Xiaoping qui lance les réformes. Il ouvre la Chine aux investissements étrangers et favorise un système mixte : capitalisme d’État et capitalisme privé. La Chine connaît alors progressivement une forte croissance. En 1984, commence une décentralisation des pouvoirs et de l’économie. En 1989, les étudiants de Pékin occupent la place Tian’anmen pour l’instauration d’une démocratie à multiples partis. La répression fait plus de dix mille morts. Néanmoins, de 1990 et 2000, la Chine est en pleine croissance économique en raison du travail à la chaîne et du faible salaire de la main-d’œuvre. En 2010, la Chine devient la seconde puissance économique et profite de la concentration de sa richesse dans une oligarchie active pour investir à l’étranger et partir à la conquête économique et idéologique du monde. Xi Jinping prend le pouvoir en 2013.


[1] Conflits qui opposent la dynastie Qing, voulant interdire le commerce de l’opium sur son territoire, au Royaume-Uni qui peut l’imposer en paiement des marchandises qu’elle importait.

[2] Un soulèvement idéologique communautariste majeur (nommé Grande Paix) qui tourna en guerre civile. Son chef, Hong Xiuquan affirmait être frère de Jésus-Christ. Il promulga des profondes réformes sociales inspirées du christianisme : interdiction de la polygamie et des mariages arrangés au nom de l’égalité des sexes; l’interdiction, des jeux d’argent, de l’esclavage, de la torture, de la prostitution, de l’opium, du tabac et de l’alcool; abolition de la propriété; mis en commun des fruits du travail.

Une réflexion sur “L’histoire traumatique de la Chine 

  1. Bonjour Jean, cet hiver j’ai fait des recherches sur l’opium pour alimenter mon dernier roman sur les contrebandiers et la  »gangstérisation » de notre monde moderne. (Sunny White, contrebandier maudit de la Gaspésie; il vivait à Mitis-Beach). Tes articles sur la chine (et les autres sur les conflits mondiaux) me confirment la complexité de notre monde et les difficultés sans nom du travail pour la paix. Merci de si bien nous informer sur l’histoire de cette complexité. Devant cela, nos gouvernements sont dépourvus de moyens et surtout dépassés par cette violence indescriptible. D’où le rôle important des écrivains et philosophes.

    Le 28 septembre prochain, au mini-salon de Saint-Ulric, (contact Andrée Gendron: gendron.andree@outlook.com ), il y aura lancement de mon prochain roman sur les pirates des Maritimes: Peuples pirates suivi de Les enfants de Louisbourg, Éditions La Grande Marée, Tracadie. Si tu veux t’inscrire, c’est sans doute encore possible.

    Au plaisir

    Gérald

    Écrivain de Saint-Léandre

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